Alors que se multiplient les cas de locataires évincés par des propriétaires qui veulent transformer leurs logements en Airbnb, Québec solidaire demande au gouvernement Legault d’empêcher de telles pratiques, en dénonçant l’éviction de 16 locataires d’un immeuble du Vieux-Montréal destiné à accueillir des « services hôteliers ».

Sylvain Roy, 64 ans, habite depuis plus de 25 ans cet immeuble de la rue Saint-Louis. Il a reçu le 30 décembre dernier un avis d’éviction, trois jours après l’achat de l’immeuble par Iacobo Capital. Raison de l’éviction : changement d’affectation pour un usage commercial « services hôteliers », est-il indiqué sur l’avis.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Un changement d’affectation est un motif d’éviction accepté par la loi québécoise. « Mettre du monde dehors pour transformer ça en Airbnb permanent pour les touristes, c’est injuste et, en pleine crise du logement, ça devrait être illégal », a dénoncé le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, mercredi en conférence de presse dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Il faut retirer l’hébergement touristique comme motif d’éviction prévu par la loi.

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

M. Roy et ses 15 voisins ont été « abasourdis » par l’avis d’éviction, dit-il. Cependant, certains ont déjà quitté les lieux. « Nous sommes seulement trois locataires à défendre nos droits auprès du Tribunal administratif du logement. Moi, je veux absolument rester dans mon logement », affirme-t-il, déterminé.

Airbnb interdits

L’immeuble, qui date de 1886, a 12 portes qui donnent sur la rue. Sa façade ne peut être modifiée et il ne peut être agrandi, en raison de son statut patrimonial. Sylvain Roy s’étonne donc que le propriétaire songe à y installer un hôtel, puisqu’il serait impossible d’y aménager une réception.

Les logements seront-ils plutôt loués à court terme sur Airbnb ? L’usage « résidence de tourisme » n’est pourtant pas autorisé à cet endroit par l’arrondissement de Ville-Marie.

Le président de Iacobo Capital, Steven Iacobo, est aussi président de la société à numéro qui possède l’hôtel Champ-de-Mars, qui jouxte l’immeuble de la rue Saint-Louis où habite Sylvain Roy. L’hôtel ne possède plus de réception, mais 19 de ses chambres sont louées sur Airbnb, entre 38 $ et 104 $ par nuit, malgré le fait que cet usage n’est pas permis par le règlement d’urbanisme de l’arrondissement.

Dans Ville-Marie, les « résidences de tourisme » ne sont permises que dans la rue Sainte-Catherine, entre les rues Saint-Mathieu et Atateken. Pourtant, on trouve sur le site Airbnb plus de 1000 appartements à louer dans le Vieux-Montréal.

Il a été impossible de joindre Steven Iacobo mercredi pour connaître ses intentions, malgré des messages laissés auprès d’entreprises où il est partenaire.

Le conseiller municipal de ce secteur, Robert Beaudry, a dit suivre ce dossier de près. « La demande du propriétaire est présentement sous analyse par la direction de l’aménagement, de l’urbanisme et de la mobilité, » a-t-il indiqué, dans une réponse écrite, ajoutant que « l’administration continue à déployer d’importants efforts pour protéger les locataires et les unités qui servent à loger la population ».

« Hausse fulgurante » des évictions

Selon Annie Lapalme, organisatrice communautaire à Entraide Logement et au Comité BAILS Hochelaga-Maisonneuve, il y a une « hausse fulgurante » des évictions depuis quelques années à Montréal. « Avec Airbnb, les nouveaux propriétaires peuvent faire en trois ou quatre jours l’équivalent d’un mois de loyer, observe-t-elle. Les expulsions sont souvent faites de manière agressive et intimidante, en violation complète des droits des locataires. Ces évictions sont d’une violence inouïe. Le gouvernement doit cesser de protéger les investisseurs. »

Ces dernières semaines, le cas de Jean-François Raymond et de son voisin, locataires évincés d’un immeuble d’Hochelaga-Maisonneuve nouvellement vendu qui sera transformé en Airbnb, a soulevé l’indignation1.

M. Raymond participait à la conférence de presse de Québec solidaire mercredi pour dénoncer l’éviction dont il est victime, après avoir vécu 22 ans dans son logement, même s’il a peu de chances de gagner sa cause devant le Tribunal administratif du logement, reconnaît-il.

Ça vient détruire des vies de se faire foutre à la porte d’un logement, d’être traités comme des poubelles. On vit des situations de stress effrayantes. Le gouvernement laisse des spéculateurs sans vergogne faire des calculs pour voir qu’ils peuvent faire une passe de fric.

Le locataire Jean-François Raymond

Québec solidaire fait valoir que la province a perdu 116 000 logements abordables, dont 90 000 à Montréal, au cours des cinq dernières années, selon une étude de l’Université McMaster publiée le 22 février dernier. Bien que ces pertes ne soient pas toutes attribuables à la conversion en hébergement touristique, celle-ci vient sérieusement aggraver l’actuelle crise du logement, souligne Gabriel Nadeau-Dubois.

Conséquence logique et inévitable, la pénurie de logements fait en sorte que des locataires dans des quartiers plus modestes comme Hochelaga-Maisonneuve ne sont plus capables de se reloger dans des appartements comparables sans devoir payer beaucoup plus cher. Or, nombre de ménages se trouvent justement dans ces quartiers en raison de leurs moyens limités et occupent le même logement des années durant afin de se protéger de hausses de loyer démesurées qui sont souvent imposées par les propriétaires lorsqu’il y a changement de locataire.

Avec La Presse Canadienne

1. Lisez l’article « Évincés pour faire place à des Airbnb »