Quatre mois après avoir quitté le Parti conservateur, Alain Rayes se dit serein. « Heureux », même.

(Ottawa) Alain Rayes affirme qu’il s’est éloigné des banquettes du pouvoir comme jamais en quittant le Parti conservateur en septembre. Mais il ajoute que depuis qu’il siège comme député indépendant, il ne s’est jamais senti aussi proche des gens.

Trois mois après avoir pris l’une des décisions les plus difficiles de sa carrière politique, le député de Richmond-Arthabaska dit avoir retrouvé la sérénité.

En trois mois, il a appris à faire de la politique autrement. Il n’avait guère le choix. Il n’avait plus à sa disposition la puissante machine qu’est normalement un parti politique. Il a aussi appris à voir la politique sous un autre angle : la collaboration a bien meilleur goût.

M. Rayes a appuyé l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest dans la course à la direction du Parti conservateur, remportée par le député de Carleton, Pierre Poilievre, dès le premier tour, au terme d’une campagne acrimonieuse de près de six mois.

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Alain Rayes, député indépendant, à la Chambre des communes à Ottawa

Sage décision

Deux jours après la victoire de M. Poilievre, M. Rayes a quitté les rangs du Parti conservateur, affirmant ne plus se retrouver au sein de cette formation dirigée par un chef qui, selon lui, fait peu de cas de la lutte contre les changements climatiques, mine les institutions canadiennes en attaquant la Banque du Canada et a fait fi de la loi et l’ordre en appuyant le convoi des camionneurs qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines en février.

« Je suis heureux », affirme d’emblée le député indépendant dans une entrevue avec La Presse au Café Moulin de Provence, situé à un jet de pierre du parlement, quelques jours avant la fin de la session.

« Je reprends de l’énergie. J’avais des préoccupations à savoir si je pourrais continuer à jouer un rôle qui est intéressant et qui peut me permettre d’exercer une certaine influence. Dieu sait aujourd’hui que je n’ai jamais été aussi loin du pouvoir », raconte-t-il, sourire en coin.

J’avais un objectif quand je me suis lancé en politique. C’était d’être utile et de pouvoir influencer le cours des choses. C’est ce que je suis en train de tester depuis que je suis indépendant. La réponse à ces deux questions est encore oui.

Alain Rayes, député indépendant

La réponse est d’ailleurs tombée rapidement. Le 17 octobre, M. Rayes a profité de la période des questions aux Communes afin d’interpeller le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, au sujet du cas d’une jeune femme de sa circonscription, Emmy Pruneau, âgée de 19 ans et atteinte d’un cancer incurable.

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Emmy Pruneau

Pour ralentir la progression de la maladie, elle avait besoin d’un médicament, le tazémétostat. Le problème, c’était qu’il était impossible pour les médecins du Canada de s’en procurer, même s’il a été approuvé par Santé Canada en 2020 et est en vente aux États-Unis et en Europe.

M. Rayes a exhorté le ministre Duclos à lever les embûches administratives le plus rapidement possible afin de donner de l’espoir à Emmy. « Les médecins ont déjà dû lui amputer un bras et, si rien n’est fait rapidement, son espérance de vie se calculera en semaines », a notamment souligné le député indépendant dans sa question.

Visiblement touché par le cas d’Emmy, le ministre Jean-Yves Duclos a invité M. Rayes à le rencontrer et il s’est aussi engagé à faire en sorte que son ministère prenne les mesures qui s’imposent. Quatre jours plus tard, le dossier était réglé. Emmy a pu obtenir le médicament en question après que Santé Canada l’eut admis en vertu du programme d’accès spécial.

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Emmy Pruneau et son père, Éric Pruneau

Quelques jours plus tard, M. Rayes s’est levé aux Communes pour remercier le ministre. « Tout est possible lorsqu’on travaille ensemble et la politique peut être belle, efficace et humaine, a-t-il dit. Grâce à vous tous, la vie d’Emmy et de sa famille, et, par ricochet, la vie de toutes les autres personnes qui pourraient vivre la même situation à l’avenir, vient de prendre une autre direction, celle de l’espoir. »

En entrevue, M. Rayes se demande s’il aurait pu poser cette question s’il était encore député conservateur et s’il aurait eu la même collaboration du ministre.

« Avec toute la méfiance et l’hostilité qui existent entre le gouvernement et le Parti conservateur, j’ai un doute. Mais juste ce cas, ça a permis à une jeune femme d’avoir plus d’espoir. Et les médecins m’ont écrit pour me dire que quatre autres Canadiens ont eu accès à ce médicament au cours des dernières semaines. C’est la première pierre de quelque chose qui va faire une différence dans la vie des gens. »

En mission

Ce cas en est un parmi d’autres que M. Rayes a pu faire avancer à l’automne, en tant que député indépendant.

Aujourd’hui, M. Rayes se réjouit de l’appui qu’il a obtenu de la part de ses électeurs après son départ du Parti conservateur. Et il salue les ministres et les députés libéraux, le Nouveau Parti démocratique, le Bloc québécois et le Parti vert qui lui ont offert de l’aider au besoin.

« C’est très satisfaisant de voir cela. Et mes concitoyens me disent qu’ils sont contents. Et cela me ramène à l’essentiel, à savoir pourquoi on se lance en politique. À la base, c’est de servir nos concitoyens. »

Quant à son avenir politique, M. Rayes affirme qu’il compte terminer son mandat comme député indépendant. Et il décidera ensuite s’il sollicitera un autre mandat et si, le cas échéant, il sera candidat indépendant ou portera la bannière d’un autre parti.