Les députés fédéraux ont levé le camp jusqu’au 30 janvier, laissant derrière eux une année 2022 fertile en évènements. En voici sept, en ordre plus ou moins chronologique, et pas forcément en ordre de pertinence.

23

Les rues du centre-ville d’Ottawa ont été paralysées pendant 23 jours, des poids lourds, camionnettes et autres véhicules s’y imbriquant comme dans un jeu de Tetris géant, en laissant tout de même assez d’espace pour un spa gonflable dans la rue Wellington. La réaction du gouvernement libéral à ce que certains voyaient comme un calque canadien de l’assaut du Capitole aux États-Unis aura été sans précédent : le 14 février, Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour la première fois de l’histoire du Canada. La Chambre des communes l’a avalisée le 21 février, et le 23 février, alors que le Sénat débattait de la législation, le gouvernement l’a révoquée. L’occupation, qui a eu raison du chef conservateur Erin O’Toole, a été l’évènement le plus marquant de l’année politique fédérale 2002, ont unanimement déterminé trois politologues consultés par La Presse (voir autre texte).

1500

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES REUTERS

Chrystia Freeland, ministre des Finances et vice-première ministre du Canada

Le gouvernement Trudeau a imposé plus de 1500 sanctions à des individus ou entités se trouvant en Russie, en Biélorussie ou en Ukraine depuis le 24 février dernier, journée où l’Ukraine a été envahie par son voisin russe. Le Canada a livré des véhicules blindés, des obusiers, des caméras pour drones, a bonifié ses contingents d’instructeurs militaires pour former les forces ukrainiennes et a déjà versé des centaines de millions de dollars en aide. « Je pense que le Canada a bien fait. Nous ne sommes pas l’acteur le plus important, mais le gouvernement a joué son rôle », estime Daniel Béland, professeur titulaire de science politique à l’Université McGill. Si l’influence d’une Chrystia Freeland, notoirement anti-Poutine, n’est pas étrangère à la posture ferme d’Ottawa, ce n’est pas le seul facteur qui entre en ligne de compte, croit le politologue : l’approche est « au diapason de l’opinion publique » du Canada, où se trouve la deuxième diaspora ukrainienne en importance au monde, et elle rallie tous les partis, contrairement à ce que l’on voit aux États-Unis.

2025

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

C’est l’année jusqu’à laquelle le gouvernement minoritaire libéral pourrait demeurer au pouvoir grâce à « l’entente de soutien et de confiance » conclue le 22 mars dernier avec les troupes néo-démocrates. Elle tient donc la route depuis bientôt neuf mois, même si, dans ce laps de temps, le chef Jagmeet Singh a menacé deux fois de la déchirer. « Ça a poussé les libéraux à jeter les bases d’un régime de soins de santé dentaire qui a été mis de l’avant à cause de ce pacte-là. C’est un moment important pour le parlementarisme canadien », soutient Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval. L’accord a provoqué la furie dans les banquettes de l’opposition. Et il sera sous haute surveillance l’an prochain (voir autre texte).

8,1 %

PHOTO CARLOS OSORIO, ARCHIVES REUTERS

Le taux d’inflation a culminé à 8,1 % en juin dernier.

Le taux d’inflation a culminé à 8,1 % en juin dernier. Il a légèrement baissé depuis, pour s’installer à 7,1 % en novembre, mais cet emballement a contraint la Banque du Canada à revoir son taux directeur à la hausse à sept reprises en 2022 : de 0,25 % en janvier, il a bondi à 4,25 % en décembre. Chacun à leur manière, conservateurs et néo-démocrates en font leurs choux gras à la Chambre des communes. Et les libéraux peinent à avancer des explications solides, dit Geneviève Tellier, professeure titulaire en études politiques à l’Université d’Ottawa : « Ils ont de la difficulté en termes de communication. Ce n’est pas leur fort, disons, de faire de la pédagogie. »

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PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Treize ministres ont été désignés pour faire partie d’un comité du Cabinet créé en juillet afin de trouver des solutions aux énormes failles dans la prestation de services fédéraux comme la délivrance de passeports ou les délais dans le traitement de demandes d’immigration.

C’est le nombre de ministres – le tiers du Cabinet – qui ont été désignés pour faire partie d’un comité du Cabinet créé en juillet afin de trouver des solutions aux énormes failles dans la prestation de services fédéraux comme la délivrance de passeports ou les délais dans le traitement de demandes d’immigration. « On a eu l’impression que la machine s’était mise en veille, fonctionnait au ralenti pendant la pandémie », note le politologue Thierry Giasson. Il aura fallu que le gouvernement constate que les gens installaient des tentes devant des bureaux de passeports avant de réellement bouger. « Ça s’est amélioré, mais on ne peut pas tout le temps fonctionner en gestion de crise. Les solutions qui viennent en réaction à une crise ne sont pas nécessairement pérennes », ajoute le professeur.

68,15 %

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Poilievre a amassé 68,15 % des points dès le premier tour de la course à la direction du Parti conservateur du Canada.

Jusqu’à la fin, l’équipe de Jean Charest assurait qu’il y avait un chemin vers la victoire. Il y avait cependant sur la route un obstacle insurmontable : Pierre Poilievre. On l’a vu le soir du 10 septembre, alors que le député de Carleton a amassé 68,15 % des points dès le premier tour. Un triomphe qui donne les coudées franches à ce (jeune) vétéran de la politique, qui avait rempli des salles partout au pays au cours de sa campagne à la direction. S’il n’a pas trop perdu son style cassant dans les débats en Chambre, Pierre Poilievre parle moins de son affection pour le bitcoin – que les libéraux, eux, sont toujours prêts à ramener sur le tapis. Il parle aussi peu aux médias de la colline, s’étant pointé deux fois à un micro du foyer de la Chambre depuis qu’il a hérité de la couronne conservatrice.

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PHOTO DADO RUVIC, ARCHIVES REUTERS

Le réseau Global News a rapporté que Pékin s’était adonné à de l’ingérence lors de la campagne de 2019, par le truchement d’un réseau clandestin qui aurait financé 11 candidats.

La Chine a peut-être rendu au Canada ses deux Michael, mais elle n’a pas fini d’être « perturbatrice », épithète dont l’a affublée la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, dans la stratégie indopacifique qu’elle a dévoilée à la fin de novembre. Quelques jours auparavant, le réseau Global News rapportait que Pékin s’était livré à de l’ingérence lors de la campagne de 2019, par le truchement d’un réseau clandestin qui aurait financé 11 candidats. Le gouvernement et une poignée de hauts fonctionnaires ont remis en question ce reportage. « Nous n’avons aucune information au sujet de ces 11 candidats », a récemment assuré Mme Joly devant un comité des Communes qui a commencé à se pencher sur ce nouveau casse-tête chinois. Les postes de police clandestins situés au Canada, qui seraient exploités par le régime chinois (il y en aurait cinq), suscitent aussi des inquiétudes. L’ambassadeur de Chine à Ottawa, Cong Peiwu, a été sommé de s’expliquer auprès d’Affaires mondiales Canada trois fois cette année à ce sujet.

Un rétroviseur et  une boule de cristal

Trois politologues cernent l’évènement qui a le plus marqué, selon eux, l’année 2022, et révèlent ce qu’ils auront à l’œil en 2023.

Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill

PHOTO FOURNIE PAR DANIEL BÉLAND

Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill

2022 : Le « convoi de la liberté »

« Tellement de choses ont découlé de l’occupation, dont la démission précipitée d’Erin O’Toole comme chef conservateur. En révélant des vulnérabilités, la présence du convoi a également remis en question la capacité des services de sécurité de protéger la capitale d’un pays du G7. La communication entre les différents corps policiers a été un véritable échec. »

2023 : Le pacte entre Parti libéral et NPD

« Il faudra surveiller comment le NPD réagira au dépôt du prochain budget, parce que c’est probablement la prochaine occasion de peut-être faire tomber le gouvernement. Jagmeet Singh a raison de presser les libéraux, car il est devenu l’ombre de Justin Trudeau en signant ce pacte. C’est un pari risqué. »

Geneviève Tellier, professeure titulaire d’études politiques à l’Université d’Ottawa

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, 
ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Geneviève Tellier, professeure titulaire d’études politiques à l’Université d’Ottawa

2022 : Le « convoi de la liberté »

« On voyait le clivage à l’américaine s’installer au Canada ; on se demandait si cela allait affecter la vie politique ici. Et évidemment, la réponse du gouvernement n’a pas été banale, avec l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, puis l’ouverture de la commission Rouleau. Et d’ailleurs, aura-t-on un nouveau convoi en février prochain ? »

2023 : La situation économique

« S’en va-t-on vers une crise économique ? Est-ce que les taux d’intérêt vont monter ? Les premiers mois risquent d’être difficiles. Ça viendra embêter le gouvernement… et aurons-nous un nouveau ministre des Finances ? Que fait-on de Charles Sousa [ancien ministre des Finances de l’Ontario, élu dans un scrutin partiel fédéral en décembre] ? La performance de Chrystia Freeland n’est pas la meilleure. Je vais dire ça comme ça. »

Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval

2022 : Le « convoi de la liberté »

« Ça a bousculé l’échiquier politique d’un peu tout le monde. Au Parti conservateur, cela a permis à Pierre Poilievre de prendre du coffre et de devenir un peu plus visible auprès des Canadiens qui ne le connaissaient peut-être pas. Il a osé prendre parti pour le convoi et je pense que cette stratégie l’a servi, et lui a permis de devenir chef. »

2023 : Le pacte entre Parti libéral et NPD

« Ça peut sauter, cette affaire-là, et ça peut devenir l’élément déclencheur d’un vote de défiance, et de la chute du gouvernement. Je ne pense pas que le Bloc québécois ou le NPD veulent aller en élections ; peut-être que ça ferait l’affaire de Justin Trudeau… mais certainement, Pierre Poilievre voudrait bien qu’il y ait des élections. »

Pour des raisons de clarté et de concision, les propos des intervenants ont été remaniés.