(Ottawa et Montréal) Le Bloc québécois revient à la charge pour que des experts soient entendus sur l’interdiction des armes d’assaut. Les libéraux ont déposé deux amendements controversés au projet de loi C-21 qui élargissent la définition d’une arme à feu prohibée et proposent une liste de modèles à interdire.

Une première tentative de la députée Kristina Michaud a échoué mardi parce que les conservateurs ont refusé de donner leur consentement. Elle désirait entendre à nouveau des experts qui avaient témoigné dans le cadre de l’étude du projet de loi en comité parlementaire pour obtenir leur avis sur le contenu des amendements.

« On est un peu dans une impasse, constate-t-elle en entrevue. Ça stagne au comité avec les stratégies de filibusting du Parti conservateur, donc on a l’impression qu’on n’avance pas. »

Elle demande une ou deux journées de consultations sur les amendements pour notamment entendre l’Association des chasseurs et pêcheurs du Québec. « Il faut que des experts viennent s’asseoir devant les parlementaires et fournissent une explication claire et réussissent à définir où est la démarcation entre armes de chasse et armes d’assaut », a fait valoir le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, en mêlée de presse.

Le projet C-21 interdisait au départ les armes de poing, mais le gouvernement veut en élargir la portée pour interdire également les armes d’assaut. Il a déposé deux amendements en ce sens, l’un qui propose une nouvelle définition des armes prohibées et l’autre, une liste d’un peu plus de 300 pages de modèles qui seraient interdits.

Or, les fusils de type SKS, populaires auprès des chasseurs, font partie de cette longe liste. Il s’agit d’une arme de style militaire développée par les Soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale.

« La raison pour laquelle ils sont si répandus est qu’ils sont assez bon marché et que c’est un fusil de chasse très précis », a expliqué le député néo-démocrate Alistair MacGregor en entrevue. Il est le seul de son parti à siéger au comité. « Je sais que de nombreuses communautés autochtones utilisent ce fusil pour maintenir leur mode de vie. »

« C’est facile à modifier aussi », explique le professeur au cégep de Trois-Rivières Francis Langlois, membre de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. « D’ajouter une poignée de type pistolet, une crosse qui est réglable et tout d’un coup, ce n’est plus une carabine, ça devient un fusil d’assaut. » Et ce type d’arme est « particulièrement prisé par les tueurs de masse et les extrémistes violents. »

Reste que les amendements du gouvernement, déposés sans crier gare il y a deux semaines, ont alerté le lobby proarmes, ce qui a incité les chasseurs à faire pression sur les députés.

Ils livrent le courrier dans mon bureau à la chaudière en ce moment.

Alistair MacGregor, député néo-démocrate de la Colombie-Britannique

Kristina Michaud espère avoir l’appui de M. MacGregor et de députés libéraux pour obtenir une réunion d’urgence. Le Bloc québécois a besoin de l’appui de quatre députés de deux partis qui siègent au Comité permanent de la sécurité publique et nationale.

Sans le soutien du Bloc québécois ou du Nouveau Parti démocratique, les libéraux ne réussiront pas à faire adopter les deux amendements en comité. Le premier ministre Justin Trudeau s’est dit ouvert lundi à réviser la liste des armes qui seraient prohibées.

« C’est clair que Justin Trudeau veut bannir les armes de chasse », a dénoncé le chef conservateur Pierre Poilievre, qui a causé la surprise en se présentant au micro pour une rare mêlée de presse. Il l’a accusé d’avoir une « idéologie woke et extrême ».

« Il ne savait pas qu’il allait y avoir une réponse aussi féroce à travers le pays parce qu’il est tout à fait déconnecté des communautés rurales », a-t-il ajouté. Le projet de loi C-21 ne fait rien, selon lui, pour « combattre la criminalité », et il faudrait plutôt mettre des ressources pour intercepter les armes illégales à la frontière.

Étienne Blais, criminologue de l’Université de Montréal spécialisé dans la prévention de la violence par armes à feu, a analysé avec son équipe le potentiel du projet de loi C-21. « On ne peut pas être contre l’amélioration du contrôle des armes à feu, remarque-t-il. Mais quand on regarde les cibles du projet de loi, on pense que ça va prendre beaucoup de ressources pour des retombées marginales [du côté de la sécurité publique]. »

Après avoir rencontré des experts de six pays, dont la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Suède, la France, le Royaume-Uni et Israël, l’équipe de M. Blais en est arrivée à la conclusion qu’il n’y a pas de consensus scientifique sur les effets de la prohibition des armes à feu. Le contrôle demeure toutefois important, soutient-il.

Pour la violence armée criminelle, des approches de dissuasion ciblée sont reconnues unanimement pour être efficaces, observe-t-il aussi. De même que les initiatives qui visent les jeunes à risque et ceux venant de communautés à haut risque.