(Québec) Le cabinet politique du ministère de l’Éducation est accusé de « manquements graves » et de traitement de faveur dans sa gestion d’un programme de subventions. Le Parti libéral du Québec a demandé à François Legault de mettre le ministre responsable à la porte, mais la plainte a été faite en février 2018, alors que le gouvernement Couillard était au pouvoir. Le problème a été corrigé en avril 2022.

« Les pratiques constatées constituent un cas grave de mauvaise gestion. Il s’agit d’un acte répréhensible […] », conclut une enquête du Protecteur du citoyen, Marc-André Dowd, qui est entré en fonction le 27 mars dernier.

Son processus d’enquête a été déclenché à la suite d’une dénonciation anonyme dans le cadre de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics. Le Protecteur du citoyen n’a pas lui-même identifié le ministère, mais dans une communication écrite en fin de journée, le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a révélé que c’est son ministère qui était visé, et que la plainte a été déposée en février 2018, alors que les libéraux étaient au pouvoir.

Dans sa déclaration, le ministre Drainville affirme cependant que des lignes directrices n’ont été mises en place qu’à partir d’avril 2022. Le Protecteur du citoyen, lui, refuse de dire à quel moment, par exemple, certaines recommandations de ne pas octroyer de subvention ont été transformées en recommandations positives par le cabinet.

« Dès que les autorités du ministère ont été avisées des enjeux soulevés par le Protecteur du citoyen, des mesures ont été prises. Des critères, lignes de conduite et directives ont été établis à partir d’avril 2022 pour encadrer et baliser le programme » affirme son cabinet. Il indique que « ce nouveau cadre permettra de baliser le pouvoir discrétionnaire dans l’attribution de l’aide financière ». Dans le précédent mandat, c’est le ministre Jean-François Roberge qui était aux commandes du ministère de l’Éducation.

M. Drainville a affirmé que le programme de 60 millions vise à soutenir des organismes œuvrant dans le domaine de l’éducation. Il cite en exemple le Club des petits déjeuners, Allô prof ou la Fédération des comités de parents du Québec, sans préciser quels organismes auraient bénéficié des largesses du cabinet politique.

Irrégularités

Dans son enquête, qui vise une période de temps qui n’a pas été communiquée aux médias, le Protecteur a constaté « plusieurs irrégularités dans l’administration » de ce programme. Des « pratiques reprochables ont été adoptées de façon répétée » :

  • Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une subvention a été exercé de façon inéquitable. Dans plusieurs situations, des organismes ont véritablement bénéficié d’un traitement de faveur ;
  • Les autorités politiques ont empiété sur les rôles de l’appareil administratif pour influencer les décisions d’octroi d’aide financière ;
  • Des relations de proximité existaient entre le cabinet et certains organismes. Cela faisait en sorte que des décisions étaient prises en amont par le cabinet au détriment du traitement administratif de la demande ;
  • Certaines recommandations au ministre de ne pas octroyer de subvention ont été transformées en recommandations positives ;
  • Une aide financière a été accordée à des organismes qui n’avaient pas déposé de demande formelle ou de projet. 

« Qui a été arrosé ? », demande Tanguay

Avant de savoir à quel moment la plainte avait été faite, le Parti libéral avait vertement dénoncé la CAQ. « Nous exigeons du gouvernement caquiste de nous dire de quel cabinet on parle, quel ministre, et de quel programme par le temps, et qui a été arrosé. Qui a été arrosé financièrement ? Qui a bénéficié des traitements de faveur ? », avait dénoncé en point de presse le chef par intérim du PLQ, Marc Tanguay.

En soirée, dans une communication écrite, le cabinet M. Tanguay a persisté, en demandant à ce que le rapport du Protecteur « soit rendu public dans les meilleurs délais, tout en maintenant la protection de l’identité́ du lanceur d’alerte ». Il demande également à ce que le ministre Drainville diffuse « l’ensemble des mesures » qui ont été mises en place pour que la situation ne se reproduise plus ».

Le Parti québécois demandait également le départ du ministre « au nom de la responsabilité ministérielle. » Pour des enjeux beaucoup moindres, des ministres ont dû démissionner », a lancé le député péquiste Pascal Bérubé.

Même discours chez QS : « C’est sans nuance, sans équivoque. Il y a eu un traitement de faveur. C’est quelque chose qui est grave. Ça s’apparente à du copinage », a dénoncé le député Vincent Marissal. « À défaut de savoir de qui ça vient et où c’est allé, il faut d’abord et avant tout que le gouvernement mette cartes sur table. Je ne vois pas comment un ministre pourrait survivre à ça. Il y a une faute grave de 60 millions », a-t-il ajouté.

Proximité politique

De son côté, le ministère de l’Éducation a plaidé qu’il a agi « en toute transparence avec son personnel et dans le respect de son travail d’analyse », mais a reconnu « la proximité de certains organismes avec le cabinet ministériel ».

Le Protecteur n’a toutefois pas acheté cette version, et conclu plutôt à des « manquements graves par rapport au comportement attendu des autorités ». Il a dénoncé le « traitement inéquitable » où certains organismes ont été favorisés, l’échec des autorités à « assurer une saine gestion » et à séparer le politique de l’administratif, et estime que les pratiques « non équitables » ont démobilisé le personnel du ministère.

Le chien de garde a envoyé au ministère « neuf recommandations ». Il affirme que le ministère de l’Éducation a « produit un plan d’action d’envergure » et que la moitié des recommandations ont été implantées.

L’ancien ministre Sébastien Proulx se défend

Sébastien Proulx, qui était ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport à l’époque où la plainte a été déposée, a réagi en disant avoir « soutenu les organismes les plus crédibles dans l’aide à l’enfance au Québec ». « Je n’ai rien à me reprocher et si c’était à refaire, je referais exactement la même chose », écrit-il dans un communiqué publié jeudi soir. L’ancien ministre libéral soutient que le recours au « programme discrétionnaire de soutien aux partenaires » évite des « dédales administratifs » aux organismes et permet d’« accélérer la réponse aux besoins ». Il déplore par ailleurs le traitement de cette affaire, « indigne des institutions québécoises », selon lui. « On ne m’a jamais appelé. On ne m’a jamais rencontré. Je n’ai jamais été invité à livrer ma version des faits, dit-il. On diffuse aujourd’hui de façon insidieuse “les constats” d’un rapport qu’on garde confidentiel. » Il conclut en se disant « fier » du travail qu’il a accompli comme ministre de l’Éducation, entre janvier 2016 et octobre 2018.

La Presse