(Ottawa) Au moment même où il se demandait quoi faire pour mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays, le gouvernement ne disposait pas d’une définition claire de ce que constitue une menace à la sécurité nationale et de l’illégalité d’une manifestation. Il a tout de même choisi de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence.

Cette question est au cœur de la Commission sur l’état d’urgence qui doit déterminer si le recours historique à cette législation était justifié dans les circonstances. Le décret adopté le 14 février par le Cabinet accordait des pouvoirs extraordinaires et temporaires qui permettaient notamment aux institutions financières de geler les comptes bancaires des participants sans supervision judiciaire et aux policiers de réquisitionner des remorqueuses.

La conseillère à la sécurité nationale du premier ministre Justin Trudeau a admis lors de son témoignage jeudi qu’elle avait recommandé au gouvernement de recourir à cette loi. « S’il y avait déjà des pouvoirs dans la législation [pour mettre fin aux convois de camions], ils n’étaient pas utilisés ou ne pouvaient pas être utilisés, a expliqué Jody Thomas.

Elle a affirmé qu’elle ne croyait plus à ce moment-là que la négociation avec les organisateurs de la manifestation était possible parce qu’ils étaient incrustés au centre-ville. Les manifestants se faisaient plus nombreux.

« Ce que nous ne savions pas était aussi significatif que ce que nous savions », a-t-elle expliqué. L’importante saisie d’armes à feu à Coutts, en Alberta, a marqué le gouvernement. La police d’Ottawa indiquait qu’il y avait des armes à Ottawa, mais ne savait pas combien.

Un courriel qui circulait parmi les employés du Conseil privé présenté en preuve jeudi indique que le gouvernement n’avait jamais formellement défini le concept de sécurité nationale. D’un point de vue politique, le courriel indique qu’elle inclut la protection du territoire canadien, du gouvernement, de l’économie, des citoyens et des intérêts nationaux.

Or, la définition de menaces à la sécurité est plus étroite dans Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Il doit s’agir d’activités d’espionnage et de sabotage, d’ingérence étrangère, d’usage de la violence grave et d’activités qui visent à renverser le gouvernement. Cette définition est reprise dans la Loi sur les mesures d’urgence.

Dans un contre-interrogatoire serré, l’avocat des organisateurs du « convoi de la liberté », Brendan Miller, a fait valoir que le gouvernement était allé au-delà de sa propre législation. Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ne considérait pas cette manifestation et les autres convois de camions bloquant des postes frontaliers comme une menace à la sécurité nationale. « Vous déformez les propos du SCRS », lui a répondu Mme Thomas du tac au tac. « La loi permet au gouverneur en conseil d’avoir une définition plus large », a-t-elle ajouté.

Elle a affirmé plus tard lors d’un échange avec l’avocate de l’Association canadienne des libertés civiles que la définition de menace à la sécurité nationale « devait être modernisée, pas élargie ». Elle a également indiqué en réponse à l’avocat de la Ville de Windsor que le Canada et les États-Unis considéraient que « la viabilité économique comme un enjeu de sécurité nationale ».

Dans son témoignage, Mme Thomas a également indiqué que la définition d’une manifestation légale ou illégale faisait constamment l’objet de discussion au sein du gouvernement. Ils avaient en tête l’invasion du Capitole américain le 6 janvier 2021.

« Pouvez-vous être dans l’illégalité et pacifique, ce qui signifie que vous n’êtes pas le “6-Janvier” ? », a-t-elle dit, ajoutant que le travail pour tenter de trouver une définition se poursuivait. « Nous avons vu ces soulèvements dans les démocraties du monde entier », a-t-elle rappelé.