Lorsqu’il s’est entretenu avec Xi Jinping en marge du sommet du G20 de Bali, Justin Trudeau aurait évoqué l’ingérence étrangère de Pékin dans les élections fédérales canadiennes. Les médias du Canada ont été avisés. Le président chinois aussi. Et il a été ulcéré.

Une vidéo de cet échange peu chaleureux entre les deux hommes a été captée par les médias canadiens. On y entend le président Xi Jinping reprocher à son homologue canadien d’avoir révélé aux journalistes de la délégation qui le suit en Asie la teneur de leur courte conversation de la veille.

« Tout ce dont nous avons parlé a fuité dans les médias, et cela n’est pas approprié. […] Et ce n’est pas comme ça que la conversation s’est déroulée », a dénoncé le dirigeant chinois par l’entremise d’un interprète, avant d’être interrompu par Justin Trudeau.

« Au Canada, nous croyons au dialogue libre, ouvert et franc, et c’est ce que nous continuerons à avoir. Nous continuerons à chercher à travailler ensemble de manière constructive, mais il y aura des choses sur lesquelles nous ne serons pas d’accord », a insisté le premier ministre.

« Établissons d’abord les conditions », a riposté son interlocuteur avant de tourner les talons, l’air agité.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, aurait elle aussi fait part de ses préoccupations à cet égard auprès de son vis-à-vis chinois, Wang Yi.

Nous n’allons accepter aucune forme d’ingérence étrangère dans nos élections, dans notre système démocratique, ou de façon générale.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

« Il n’y a pas de conversation à avoir sur cette question-là : c’est intolérable », a aussi assuré la cheffe de la diplomatie, qui a récemment durci le ton à l’endroit du régime chinois, signe de l’orientation que prendra la stratégie indopacifique canadienne attendue d’ici la fin de l’année.

Réactions mitigées

À Ottawa, le ministre François-Philippe Champagne a applaudi le comportement de son patron.

« Je n’étais pas sur place, mais ce que j’apprécie, c’est que le premier ministre se tient debout pour le Canada, comme il le fait toujours », a-t-il plaidé en mêlée de presse mercredi matin, avant la rencontre du caucus hebdomadaire de son parti.

Sa collègue aux Finances, Chrystia Freeland, qui est aussi vice-première ministre, n’a pas voulu répondre aux questions des journalistes au sujet de cet incident diplomatique.

Le député conservateur Luc Berthold a pour sa part laissé entendre que Justin Trudeau était celui qui avait le plus mal paru dans cette affaire. « Il aurait dû arriver là mieux préparé pour être capable d’affronter, de faire face au président Xi », a-t-il soutenu en mêlée de presse au parlement, mercredi midi.

« Personne ne peut savoir qu’est-ce qui s’est dit lors de cet échange, et on a vu que manifestement, c’était un échange de corridor qui était pas prévu, sans stratégie, sans plan […]. Malheureusement, c’est encore une fois le Canada qui a l’air fou à l’échelle internationale », a-t-il conclu.

Le bureau du premier ministre publie normalement des sommaires d’entretiens bilatéraux à l’intention des médias, comme le font la plupart des dirigeants mondiaux. Cette fois, comme il s’agissait d’une rencontre brève et informelle, l’entourage du dirigeant canadien a fourni un bref résumé aux médias sur place.

Preuve de la poigne de Xi Jinping

La confrontation entre les deux hommes, qui s’est taillée une place dans l’édition de mercredi du New York Times, témoigne de la façon musclée de faire de la politique de Xi Jinping, dit Margaret McCuaig-Johnston, spécialiste de la Chine de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

« Ça démontrait son désir de tout contrôler », estime-t-elle, plaidant que Justin Trudeau ne s’en est pas si mal sorti.

« Je pense que l’élément clé, c’est qu’il a eu raison de soulever l’enjeu de l’ingérence. Il fallait qu’il prévienne Xi Jinping que le gouvernement canadien devra inévitablement agir pour sanctionner cette ingérence politique », enchaîne Mme McCuaig-Johnston.

Ingérence de Pékin dans le processus électoral

Si Justin Trudeau a parlé des stratagèmes de Pékin, c’est que le réseau Global News a dévoilé la semaine passée que la Chine aurait déployé une campagne d’ingérence, entre autres par le truchement d’un réseau clandestin de candidats fédéraux aux élections fédérales de 2019.

Les conservateurs exercent depuis le début de la semaine une intense pression sur le gouvernement Trudeau, lui demandant de dévoiler l’identité des candidats qui auraient été financés par le régime de Pékin. Ils ont insinué mardi et mercredi que les libéraux refusaient de mettre cartes sur table pour protéger leurs intérêts.

Dans le camp libéral, on estime que ce genre de renseignement sensible devrait être discuté dans un comité secret comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

En savoir plus
  • 11
    Nombre de candidats à l’élection fédérale, libéraux et conservateurs, qui auraient été des pions de Pékin pendant la campagne de 2019
    Source : global news