(Ottawa) L’Agence des services frontaliers estimait que la menace des convois de camions était faible avant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, mais son évaluation a changé dès le lendemain. Une phrase indiquant une menace à la sécurité économique du Canada a alors été ajoutée à ses rapports de renseignement quotidiens.

Cet ajout inusité a été soulevé mercredi par l’avocat de la Commission sur l’état d’urgence, Gordon Cameron, lors du témoignage de l’ancien grand patron de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), John Ossowski.

« Pourquoi la description de la menace est-elle passée de faible pour vos agents et vos infrastructures à l’ajout de ce point sur l’impact opérationnel qui pourrait entraîner une menace pour la sécurité économique et la prospérité du Canada ? », lui a demandé MCameron. Il a noté qu’il s’agit du même type de langage utilisé par le gouvernement pour justifier le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

M. Ossowski a répondu qu’il s’agit d’une initiative personnelle de la direction générale du centre des opérations frontalières. « Je suis convaincu qu’ils l’ont fait sans essayer de fournir un soutien tacite ou implicite à la Loi sur les mesures d’urgence », a-t-il dit.

« Je pense que vous conviendrez qu’une évaluation de la menace est censée guider les actions et les politiques publiques et non servir de véhicule pour les rationaliser », a avancé l’avocat. Il a ajouté que le fait de répéter « les lignes du gouvernement » dilue l’habilité des douaniers à évaluer la menace et à protéger les Canadiens.

La Commission sur l’état d’urgence doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence était justifié pour mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.

Un convoi de camions a bloqué le poste frontalier de Coutts en Alberta à compter du 29 janvier, soit le lendemain de l’arrivée des premiers poids lourds au centre-ville d’Ottawa. D’autres camions ont bloqué le pont Ambassador à Windsor à partir du 7 février et ont bloqué celui d’Emerson au Manitoba à partir du 10 février.

Malgré tout, les rapports de renseignement préparés par les employés de l’agence indiquaient que « la menace globale pour les agents et l’infrastructure de l’ASFC est faible » jusqu’au matin du 14 février, le jour où le gouvernement a annoncé qu’il utiliserait la Loi sur les mesures d’urgence. La phrase sur la menace que les blocages faisaient peser sur l’économie et la prospérité du Canada a été ajoutée dans un deuxième rapport publié le même jour en fin d’après-midi. Elle a par la suite été incluse dans les rapports produits les jours suivants.

Pas le pouvoir de refouler les manifestants

Le grand patron de l’ASFC a découvert avec étonnement qu’il ne pouvait d’interdire l’entrée aux Américains qui voudraient se joindre au « convoi de la liberté » et a signalé cette lacune au gouvernement. Néanmoins, la plupart des étrangers qui ont tenté le coup ont été refoulés parce qu’ils n’étaient pas vaccinés contre la COVID-19.

En contre-interrogatoire, l’avocate du gouvernement fédéral a présenté plusieurs preuves de menaces reçues par l’ASFC durant cette période. Parmi celles-ci, deux courriels envoyés le 12 février en provenance d’un Américain qui voulait se joindre au « convoi de la liberté ».

« Aucune frontière ne nous retiendra, avait-il écrit. La liberté ou la mort, à vous de choisir. »

« Nous allons donner une potence au peuple canadien pour la pendaison de Justin [Trudeau] », avait-il ajouté dans son deuxième message.

L’ASFC était préoccupée par ces menaces. Elle a finalement obtenu le pouvoir d’empêcher des ressortissants étrangers d’entrer au Canada dans le but de participer à des manifestations avec le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. En bout de piste, seulement deux Américains ont été refoulés le 19 février en vertu de ce pouvoir extraordinaire.

Rectificatif
Une correction a été apportée à la version de ce texte initialement publiée qui contenait une erreur dans le nom de l’avocat de la Commission sur l’état d’urgence. Nos excuses.