(Ottawa) La conseillère à la sécurité nationale du premier ministre Justin Trudeau considérait le « convoi de la liberté » et les blocages des postes frontaliers comme une menace à la démocratie le jour où le gouvernement a décidé d’utiliser la Loi sur les mesures d’urgence pour y mettre fin. Des courriels rédigés par Jody Thomas ont été présentés en preuve mardi à la Commission sur l’état d’urgence.

« À l’évidence, ce n’est pas seulement à propos de la COVID et c’est une menace à la démocratie et à la loi », écrit dans un courriel celle qui était devenue conseillère à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre un mois plus tôt.

Elle demande alors une évaluation de la menace que représentent les convois de camions qui paralysent le centre-ville d’Ottawa depuis près de trois semaines et bloquent des postes frontaliers dans plusieurs provinces.

« Il s’agit d’une menace nationale contre l’intérêt national et les institutions, continue Mme Thomas dans un deuxième courriel. Par des gens qui se fichent ou ne comprennent pas la démocratie. Qui se préparent à être violents. Qui sont motivés par un ressentiment contre le gouvernement. »

Ces courriels ont ensuite été transmis à la directrice du renseignement au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Adriana Poloz, qui répond par une analyse des groupes au sein de ce mouvement contre les mesures sanitaires et l’obligation vaccinale pour les camionneurs qui pourraient représenter une menace.

Elle identifie trois groupes extrémistes aperçus au sein du « convoi de la liberté » à Ottawa : les Three Percenters considérés comme terroristes et connus pour leur idéologie anti-immigration et anti-islam ; Diagolon qui est opposé aux mesures sanitaires contre la COVID-19 dont la rhétorique est de plus en plus violente et Canada First, un groupe nationaliste blanc dont l’un des membres a été accusé d’avoir lancé des roches durant la dernière campagne électorale.

M. Poloz note toutefois que ce ne sont pas tous les manifestants qui participent au « convoi de la liberté » qui adhèrent à ces idéologies. Son analyse ne fait pas mention de Canada Unity et son protocole d’entente pour renverser le gouvernement de Justin Trudeau avec l’aide de la gouverneure générale et du président du Sénat.

La perception de Mme Thomas contraste avec celle des organisateurs du « convoi de la liberté » qui ont nié vouloir miner la démocratie lors de leurs témoignages au début du mois. Ils avaient toutefois reconnu qu’ils n’avaient pas le contrôle sur l’ensemble des manifestants présents à Ottawa.

Ces courriels ont été déposés en preuve mardi lors du témoignage de la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, et du sous-commissaire Mike Duheme à la Commission sur l’état d’urgence. Cette enquête publique menée par le juge franco-ontarien Paul Rouleau doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence était justifié dans les circonstances. Jody Thomas doit témoigner plus tard cette semaine.

Information manquante

Alors qu’ils discutaient du recours à cette législation massue lors d’une réunion du cabinet le 13 février, les ministres n’ont pas été informés par la commissaire de la GRC du plan concocté par les corps policiers pour mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa.

« Je ne crois pas que ça aurait changé quoi que ce soit », a répondu Brenda à l’avocat de la commission. Elle a rappelé qu’il y avait de nombreuses réunions chaque jour à ce moment-là. Gordon Campbell la questionnait sur des notes préparées pour breffer les ministres. Les notes de la commissaire font état d’un « plan stratégique » préparé par la GRC et la Police provinciale de l’Ontario. Il est également écrit que les corps policiers n’ont pas encore utilisé tous les outils déjà à leur disposition avec le Code criminel et la loi ontarienne sur la protection civile.

« Votre mise à jour au Cabinet alors qu’il envisage de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence est que la police a un plan et que vous considérez que ce plan peut être déployé sans cette législation, mais votre message ne se rend pas, a décrit MCampbell. Comprenez-vous la signification de ce scénario ? »

« Oui et non », a-t-elle répondu. Elle a ensuite ajouté que les ministres savaient déjà que les corps policiers préparaient un plan et le fait qu’il soit terminé ou pas pesait peu dans la balance.

Le lendemain de cette réunion, soit le jour même du recours à Loi sur les mesures d’urgence, elle avait envoyé ces informations par courriel au chef de cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

La commissaire Lucki a également souligné dans son témoignage que la GRC ne pouvait pas prendre les rênes de la réponse policière au « convoi de la liberté ». Cette idée avait circulé lorsque la Ville d’Ottawa cherchait une façon de répondre à la crise. « C’est une idée fausse », a-t-elle affirmé. Nous ne sommes pas la police ayant compétence en Ontario. » La GRC pouvait offrir son aide, mais pas supplanter la police d’Ottawa ou la Police provinciale de l’Ontario.