(Québec) L’ex-député François Paradis, toujours président de l’Assemblée nationale jusqu’à ce qu’on lui trouve un successeur, a tranché : les députés de Québec solidaire et du Parti québécois qui n’ont pas prêté serment au roi Charles III pourront être expulsés du Salon bleu de l’Assemblée nationale.

« Je donne l’ordre formel à la sergente d’armes de veiller à ce que la présente décision soit appliquée de manière que les députés qui n’ont pas prêté serment ne puissent prendre place dans la Salle de l’Assemblée nationale ou dans l’une de ses commissions. Dans le cas où une personne refuserait de se plier à cette interdiction, la sergente d’armes sera légitimée de l’expulser », a écrit M. Paradis dans une décision rendue le 1er novembre.

M. Paradis a déclaré que « le serment d’allégeance visé à l’article 128 de la Loi constitutionnelle de 1867 est obligatoire pour prendre part aux travaux parlementaires ». Les députés rebelles peuvent prêter serment en tout temps pour remédier à cette situation.

Le 19 octobre dernier, les 11 députés de Québec solidaire (QS) ont prêté serment « envers le peuple du Québec », mais n’ont pas prêté allégeance au roi Charles III. Même chose pour les trois élus du Parti québécois (PQ). Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a martelé en campagne électorale qu’il ne le ferait pas.

M. Paradis reconnaît dans sa décision qu’il est « inabituel » pour un président sortant de se prononcer de cette façon, mais affirme que la situation le justifie. « La question n’est pas hypothétique puisque certains députés ont déjà refusé de prêter le serment d’allégeance […] ». Il craint « des difficultés dès le début de la première séance de la nouvelle législature, avant l’élection des nouveaux membres de la présidence ».

Il a statué que « dans la hiérarchie des sources de droit, les dispositions législatives et constitutionnelles ont préséance sur toute autre règle de procédure interne », et que « l’Assemblée nationale […] ne peut y déroger par simple motion ». Il ferme la porte au PQ, qui affirme qu’une simple motion permettrait aux élus d’oublier pour de bon ce fameux serment, mais semble reconnaître qu’une loi pourrait changer la donne, juge le constitutionnaliste Patrick Taillon. C’est aussi la lecture du gouvernement. « Pour siéger, les députés doivent respecter la loi qui s’applique présentement et donc se conformer aux deux serments. La décision confirme aussi qu’une motion n’est pas suffisante », a indiqué le cabinet du leader parlementaire caquiste Simon Jolin-Barrette.

Le PQ demande à la CAQ d’intervenir

Le PQ n’est pas friand de la sortie de M. Paradis. « Le très sortant président de l’Assemblée a émis une opinion que personne n’a sollicitée », a lancé le député péquiste Pascal Bérubé, qui était loin d’être enchanté. M. Paradis, « par coïncidence », va « exactement dans le même sens que ses collègues de la CAQ », a-t-il déploré.

« C’est son opinion. Nous, on a 12 avis qui nous disent qu’on peut procéder », a affirmé le député de Matane-Matapédia à La Presse. La solution est politique, croit M. Bérubé, qui souligne que la balle est dans le camp de la Coalition avenir Québec (CAQ).

On ne devrait pas questionner ceux qui se tiennent debout, on devrait questionner ceux qui s’écrasent. Le gouvernement de la CAQ a clairement indiqué dans le passé qu’il voulait mettre fin aux liens avec la monarchie. C’est maintenant que ça se passe, les trois quarts de la population sont avec nous.

Pascal Bérubé, député péquiste de Matane-Matapédia

C’est la demande que le parti formulera mercredi, lors de la première séance de négociation entre les formations politiques pour déterminer si QS et le PQ obtiendront le statut de groupes parlementaires reconnus, avec un budget et des temps de parole. Sur cette question, d’ailleurs, la CAQ est « ouvert[e] à reconnaître les groupes », contrairement au Parti libéral.

M. Bérubé demande également à la députée caquiste Nathalie Roy, qui fait campagne pour être élue présidente de l’Assemblée, de prendre position publiquement sur cette question.

QS n’est « pas en mode panique »

Du côté de QS, le nouveau leader parlementaire, le député d’Hochelaga-Maisonneuve Alexandre Leduc, a répété plusieurs fois que son parti n’était « pas en mode panique » et qu’il prendrait le temps d’analyser la décision de M. Paradis.

« C’est un moment important, c’est une décision officielle du président. Ce n’est pas un texte d’opinion. On va le jauger en sa qualité de texte officiel du président », a-t-il dit à La Presse.

Quant à savoir si les députés de QS prêteront serment au roi Charles III d’ici au 29 novembre, jour de reprise des travaux parlementaires, M. Leduc a affirmé que son parti souhaitait d’abord vérifier si des précédents existent ailleurs sur le sujet dans d’autres législations semblables au Québec.

Sans serment au roi, les députés reçoivent un salaire et peuvent embaucher du personnel de circonscription, mais ils ne peuvent pas entrer au Salon bleu, là où les lois sont votées.

QS a déposé un projet de loi pour rendre optionnel le serment au roi avant les élections, mais il n’a pas pu être adopté. La CAQ veut maintenant aller de l’avant avec son propre projet de loi pour tourner le dos à cette pratique jugée rétrograde. Mais le processus législatif prend du temps, et les élus de QS et du PQ devront jouer aux spectateurs lors de la rentrée parlementaire s’ils refusent toujours de prêter allégeance à Charles III.