Le débat dure depuis des mois. Le premier ministre François Legault réclame l’ensemble des pouvoirs en immigration. Le premier ministre Justin Trudeau rétorque que le Québec a « tous les pouvoirs nécessaires ». Qui a raison ?

La réponse n’est pas simple. Pour bien comprendre, il faut savoir qu’il y a deux groupes d’immigrants : des résidents permanents et des résidents non permanents.

Commençons par les permanents. Ils sont regroupés sous trois catégories : immigration économique, regroupement familial et réfugiés.

En vertu d’une entente signée avec Ottawa, en 1991, le gouvernement du Québec a le contrôle de 100 % de son immigration économique. C’est lui qui sélectionne les personnes en fonction de ses propres critères, dont la connaissance du français. Il sélectionne aussi les réfugiés à l’étranger. C’est la seule province qui détient autant de pouvoirs en matière d’immigration.

+ 50 %

Quelle est la proportion des immigrants économiques sur l’ensemble des nouveaux arrivants permanents ?

La catégorie économique représente, bon an, mal an, plus de la moitié des immigrants admis chaque année au Québec (entre 50 et 70 %). Les deux autres catégories accaparent en parts à peu près égales le reste des places disponibles à l’intérieur du seuil annuel.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les trois catégories de résidents permanents au Québec, 1980-2020

INFOGRAPHIE FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DE L’IMMIGRATION, DE LA FRANCISATION ET DE L’INTÉGRATION DU QUÉBEC

Parts des immigrants économiques, des immigrants reçus en vertu d’un regroupement familial et des réfugiés au Québec.

Pour le regroupement familial, c’est le fédéral qui établit les principaux critères. Mais le gouvernement du Québec a son mot à dire, car c’est lui qui détermine le respect de la capacité financière de la personne qui parraine le membre de sa famille.

« En absolu, par rapport à l’ensemble de la population du Québec, c’est quand même très peu de gens qu’on parraine au Québec », fait remarquer Daye Diallo, économiste principal à l’Institut du Québec.

En 2019, dernière année normale avant la crise sanitaire, le Québec a reçu quelque 40 000 immigrants permanents, dont 10 000 issus du regroupement familial.

« De 2016 à 2020, 50 % des personnes parrainées au Québec affirmaient parler le français à leur arrivée », souligne l’économiste.

Pour l’autre tranche de 50 %, est-ce que c’est une masse critique de gens qui peut avoir un impact si important sur l’avenir de la langue française au Québec, surtout qu’à leur installation, ces gens pourront bénéficier de cours de francisation ? La question se pose et mérite une réflexion approfondie et rigoureuse.

Daye Diallo, économiste principal à l’Institut du Québec

Le Québec fixe les seuils

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

C’est aussi le Québec qui détermine ses seuils d’immigration.

Le gouvernement Legault a fixé sa capacité d’accueil à 50 000 immigrants permanents cette année. Le premier ministre a dit qu’il serait « suicidaire » pour le Québec français d’en accepter davantage. « Tant qu’on n’aura pas stoppé le déclin du français, je pense que pour la nation québécoise qui veut protéger le français, ce serait un peu suicidaire d’aller augmenter » le seuil d’immigration, a-t-il déclaré le 28 septembre.

Dans les faits, le gouvernement pourrait en recevoir beaucoup plus. Selon l’Accord Canada-Québec, signé en 1991, le Québec peut accueillir autour de 27 % du total des immigrants arrivant au Canada, ce qui correspond à son poids démographique au sein de la fédération, plus une marge de 5 %. Cela représente 116 100 personnes.

Cette année, le Canada compte admettre 431 000 immigrants au pays. Le seuil de 50 000 du Québec ne représente que 12 % de ce total.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

« Par rapport à l’immigration, le Québec a déjà tous les outils s’il veut avoir plus d’immigrants francophones, s’il veut accepter plus d’immigrants », a dit le premier ministre Trudeau à la Chambre des communes le 5 octobre.

Relisez notre article « Immigration : Québec a déjà tous les pouvoirs nécessaires, dit Justin Trudeau »

Les non-permanents

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Campus de l’Université McGill, à Montréal

Parlons maintenant des résidents non permanents. Leur nombre explose depuis une dizaine d’années. En 2021, on comptait 177 000 détenteurs de permis temporaire au Québec. Qui sont ces gens ? Des étudiants étrangers et des travailleurs.

Il y a trois programmes : étudiants étrangers, mobilité internationale et travailleurs étrangers temporaires.

Le plus important est celui des étudiants étrangers. Le Québec a son mot à dire sur le choix des étudiants dans la mesure où toute personne qui désire venir étudier ici, avant de demander au gouvernement fédéral un permis d’études, doit obtenir un Certificat d’acceptation du Québec pour études.

En 2021, près de 91 000 personnes ont fait une demande de permis d’études au Québec.

« Le fédéral ne peut pas accorder de permis d’études à une personne qui n’est pas inscrite dans un établissement désigné par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec, et ne peut pas accorder de permis d’études à une personne qui n’a pas de Certificat d’acceptation du Québec », précise Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval.

Les travailleurs

Les deux autres programmes, qui ont pour but de combler les pénuries de main-d’œuvre, visent des travailleurs.

Le programme de mobilité internationale, en très forte croissance, repose sur une entente établie entre un employeur et un candidat potentiel. En 2021, il comptait environ 62 000 personnes.

L’autre programme est celui des travailleurs étrangers temporaires.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Travailleurs étrangers temporaires dans un champ, à Laval

Dans un très grand nombre des cas, ces travailleurs obtiennent un Certificat d’acceptation du Québec avant de demander un permis au gouvernement fédéral.

Bon nombre de ces résidents non permanents, étudiants internationaux et travailleurs temporaires, vont éventuellement faire une demande de résidence permanente au Québec.

Assez de pouvoirs ?

Tout compte fait, le Québec a-t-il « tous les pouvoirs nécessaires » ?

« Peut-être que le Québec ne fait pas tous ses devoirs », répond le professeur Jean-Pierre Corbeil.

Le gouvernement du Québec a une très bonne marge de manœuvre sur l’immigration en général. Il pourrait en faire plus. Il pourrait être beaucoup plus clair sur le plan de ses exigences, beaucoup plus clair concernant ses attentes, par exemple, en matière de francisation.

Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval

« Pour ce qui est de la réunification familiale et des réfugiés, ajoute le professeur Corbeil, il pourrait y avoir des conditions qui viseraient à faciliter l’apprentissage du français. »

Benoit Pelletier, professeur à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa et sommité dans le domaine du droit constitutionnel, ajoute que « ce n’est pas le moment pour M. Legault d’en discuter avec Ottawa ». « Les relations sont trop tendues, juge-t-il. À mon avis, il y aurait même un risque de resserrement de l’entente si elle devait être renégociée. Ça devient une question de principe pour Ottawa. »