(Ottawa) « Toutes les options sont sur la table. » C’est la réponse donnée par l’ex-chef de la police d’Ottawa, Peter Sloly, à la suggestion de recourir à l’armée canadienne pour déloger les manifestants du « convoi de la liberté », quatre jours après leur arrivée. Cette information provient de l’un des nombreux documents déposés à la Commission sur l’état d’urgence vendredi.

Il s’agit d’un compte rendu d’une réunion de planification avec celui qui dirigeait alors le Service de police d’Ottawa (SPO). Il est écrit que la chef adjointe, Patricia Ferguson, demande s’il serait « possible de faire appel à l’armée ou de déclarer l’état d’urgence ». Le chef Sloly lui répond que « toutes les options sont sur la table ». La police est alors complètement dépassée par les évènements.

Le témoignage de Peter Sloly à la Commission sur l’état d’urgence vendredi était attendu. C’est lui qui était en poste au moment de l’arrivée de milliers de camions dans la capitale fédérale. Il a démissionné le 15 février, au lendemain de la déclaration de l’état d’urgence par le gouvernement fédéral.

Dans un échange de textos entre la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, Brenda Lucki, et le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario (PPO), Thomas Carrique, il est indiqué que le chef de la police d’Ottawa avait déjà perdu la confiance du gouvernement fédéral le 5 février.

« Entre toi et moi, seulement, GduC [le gouvernement du Canada] est en train de perdre/a déjà perdu confiance en le SPO, écrit-elle. Nous devons trouver une façon sécuritaire d’appliquer la loi. » Elle ajoute que si le gouvernement fédéral invoque la Loi sur les mesures d’urgence, le commissaire Carrique ou elle pourraient avoir à gérer la situation. « Pas quelque chose que je veux », souligne-t-elle.

L’enquête publique menée par le juge Paul Rouleau doit déterminer si la déclaration d’urgence fédérale était justifiée pour démanteler le convoi de camions dans la capitale fédérale et mettre fin aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.

« Mon défi jusqu’à mon dernier jour en poste n’avait rien à voir avec des législations ou des injonctions, a affirmé M. Sloly. C’était les ressources. »

Il a défendu le travail du SPO, essuyant une larme lorsque Frank Au, procureur de la Commission, lui a demandé comment ses équipes avaient tenu le coup durant la première fin de semaine du « convoi de la liberté » dans la capitale fédérale.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Peter Sloly, ex-chef de police d’Ottawa, lors de son témoignage vendredi

Elles faisaient de leur mieux dans des circonstances inhumaines. Il faisait trop froid et c’était trop, mais elles ont fait de leur mieux… et je leur en suis reconnaissant.

Peter Sloly, ex-chef de la police d’Ottawa, les larmes aux yeux

Il a raconté comment les choses avaient changé rapidement le 29 janvier, lors du premier samedi de la manifestation.

Sous-estimation ?

Une première séance d’information entre le chef Sloly et ses commandants à 9 h faisait état d’un évènement qui allait durer seulement une fin de semaine et on estimait alors que quelques personnes allaient peut-être décider de rester un peu plus longtemps dans des tentes, sans plus. Deux heures plus tard, le chef de police s’est rendu compte que les participants du « convoi de la liberté » avaient l’intention d’occuper la ville.

« Les circonstances à ce moment-là étaient manifestement sans précédent », a-t-il dit.

M. Sloly a indiqué que 5000 véhicules, surtout des camions, avaient fait leur arrivée dans la ville et ne respectaient pas les demandes de la police. L’idée était de permettre à un certain nombre de manifestants de se garer à des endroits désignés pour qu’ils empruntent ensuite les transports en commun ou fassent du covoiturage jusqu’au centre-ville.

« En présumant que même le 28 [janvier] nous aurions décidé de verrouiller la ville, de fermer tous les ponts interprovinciaux et les bretelles de sortie des autoroutes 416 et 417, nous aurions eu besoin, selon l’estimation du chef adjoint [Steve] Bell, de 2000 agents », a-t-il affirmé.

Il a ainsi défendu sa décision de laisser les véhicules dans la ville en vertu du droit de manifester protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. La police ne pouvait pas, selon lui, les empêcher d’entrer dans la ville à moins qu’ils ne posent une menace à la sécurité publique.

Or, un avis juridique préparé le 27 janvier par les avocats de la police d’Ottawa indiquait que le droit de manifester n’était pas sans limites. C’était la veille de l’arrivée des premiers camions. Cinq limites étaient mentionnées : les menaces de violence, des actes de violence, des actes illégaux, le fait d’entraver les déplacements et de bloquer les routes.

Malgré les renseignements de la PPO indiquant le contraire, la police d’Ottawa s’attendait à ce que la manifestation contre les mesures sanitaires et l’obligation vaccinale pour les camionneurs ne durent qu’une fin de semaine.

M. Sloly a reproché à la GRC de ne pas avoir fourni des renseignements plus tôt sur la nature du convoi, étant donné que les camions arrivaient d’un peu partout au pays, de la Colombie-Britannique, des provinces de l’Atlantique, de l’Ontario et du Québec. « Pourquoi est-ce que je n’ai pas reçu une évaluation du risque de la police fédérale ? », a-t-il demandé.

La GRC informait la PPO qui a produit de nombreux rapports dès la mi-janvier sur le convoi de camions qui s’organisait pour aller à Ottawa. L’ancien chef de la police d’Ottawa a indiqué qu’il avait lu rapidement le premier rapport et qu’il se fiait à son équipe chargée d’en faire l’évaluation.

Lorsque la procureure Natalia Rodriguez lui a demandé ce qu’il aurait fait différemment, M. Sloly a d’abord eu de la difficulté à répondre. Il a ensuite indiqué qu’il aurait mis plus d’accent sur le sommeil et le bien-être « pour être plus résilient ». « Nous ne sommes que des êtres humains », a-t-il dit.