(Ottawa) 1, 2, 3, 4, 5, 6. Le silence à l’autre bout du fil dure six secondes. L’ambassadrice du Canada à Washington, Kirsten Hillman, pèse ses mots lorsqu’on lui demande si elle craint un retour de Donald Trump, dont l’ombre plane sur les élections de mi-mandat du 8 novembre prochain.

« Je vois ce que tout le monde voit. Il est certainement très présent dans le discours », lâche la cheffe de mission au sujet de l’ascendant de l’ancien président sur le Parti républicain, et sur le scrutin qui se tient dans un peu plus de deux semaines.

Le candidat défait en 2020 ne se prive pas non plus de laisser entendre qu’il veut reconquérir la Maison-Blanche en 2024. L’ambassadrice du Canada, qui était en poste à Washington pendant la deuxième moitié du mandat de Donald Trump, ne va pas jusqu’à dire qu’elle craint un retour.

« Je ne dis pas que le chef d’État, que la relation entre chefs d’État, ce n’est pas important. Bien sûr que c’est important, explique-t-elle en entrevue. Ce que je vois, c’est que ce sont les relations entre les Canadiens et les Américains qui soutiennent la relation. »

Et par ailleurs, le gouvernement canadien peut trouver des terrains d’entente avec chacun des deux grands partis aux États-Unis, même si, idéologiquement parlant, il y a davantage d’atomes crochus entre Justin Trudeau et Joe Biden, souligne Mme Hillman.

La lutte contre les changements climatiques, par exemple : en août dernier, le Congrès a adopté (de peine et de misère) l’Inflation Reduction Act — en abandonnant une clause sur un crédit aux véhicules électriques qui enrageait Ottawa.

C’est le genre de prouesses législatives qui pourraient se faire rares au cours des deux prochaines années.

Car si les tendances qui se dégagent des sondages se maintiennent, le Parti républicain pourrait reprendre le contrôle de la Chambre des représentants, voire du Sénat.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU GOUVERNEMENT DU CANADA

Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada à Washington

« La dynamique va certainement changer, estime Mme Hillman. Peut-être qu’il y aura moins de lois qui vont être adoptées s’il y a une division entre l’administration et la colline [du Capitole]. » La diplomate signale qu’il faut aussi garder l’œil sur les élections de gouverneurs dans les États.

Les élections dans les États

Cette année, 36 des 50 postes de gouverneur sont en jeu.

D’un point de vue provincial, ces élections sont loin d’être insignifiantes, car « les négociations se font d’égal à égal avec les gouverneurs, pas à Washington, où le Québec, par exemple, n’a pas de reconnaissance diplomatique », note le politologue Christophe Cloutier-Roy.

Il ne voit pas apparaître dans sa boule de cristal de grands bouleversements dans les États de la Nouvelle-Angleterre avec lesquels le Québec a paraphé des ententes énergétiques. Mais à plus long terme, dans l’optique de 2024, les impacts pourraient être majeurs.

Si on élit des secrétaires d’État [chargés de confirmer les résultats de la présidentielle] et qu’ils invalident les résultats, on pourrait assister à l’éclosion de certaines violences, surtout que des États très polarisés comme le Michigan et le Wisconsin sont à notre frontière.

Christophe Cloutier-Roy, directeur par intérim de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand

D’où la pertinence de ne pas négliger ce scrutin, estime le directeur par intérim de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal : « C’est facile de passer à côté. Ça peut paraître lointain, mais ces élections sont très importantes. »

Le plaidoyer Freeland

Le 11 octobre dernier, à Washington, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a prononcé une allocution qui n’est pas passée inaperçue au nord de la frontière. Elle s’est entre autres engagée à « accélérer la réalisation de projets énergétiques ».

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, et le premier ministre Justin Trudeau

L’ambassadrice du Canada était dans la salle de la Brookings Institution pour l’écouter.

« C’était fascinant », commente-t-elle, sans y voir une indication que le gouvernement canadien voudrait ressusciter le projet d’oléoduc Keystone, que l’administration Biden a mis à la poubelle dès son arrivée.

« Je n’ai pas cette impression, soutient la cheffe de mission dans un français impeccable. Peut-être que ça existe dans certaines sphères, des Américains qui aimeraient revoir cette question, mais récemment, ça n’a pas été soulevé avec moi. »

Une visite de Biden sous peu

Mine de rien (oui, il y a eu la COVID-19), le président Joe Biden n’a pas encore mis les pieds au Canada en visite officielle depuis son élection, et ce, même si la tradition veut que le Canada soit la première destination d’un président nouvellement élu (Donald Trump ne l’a jamais fait).

« Oui, il va venir bientôt, assure l’ambassadrice. Il ne faut pas oublier que le premier appel qu’il a eu avec un leader étranger après son inauguration était avec le premier ministre Trudeau […] Il privilégie vraiment notre relation. »

En savoir plus
  • 9
    Avec 221 représentants, les démocrates disposent actuellement d’une majorité de neuf sièges sur les républicains (212) à la Chambre des représentants. Deux sièges sont vacants.
    SOURCE : CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DES ÉTATS-UNIS
    50-50
    Le Sénat compte 50 républicains, 48 démocrates et 2 indépendants qui sont dans le caucus démocrate. Lorsqu’il y a égalité des votes, la vice-présidente, Kamala Harris, détient le vote décisif.
    SOURCE : SÉNAT DES ÉTATS-UNIS