(Ottawa) Une première opération policière visant les Farfadaas a été annulée 13 jours après le début de l’occupation du « convoi de la liberté » en raison de divergences au sein de la cellule de crise composée de différents corps policiers. La présence de ce groupe québécois d’opposition aux mesures sanitaires inquiétait les forces policières.

Le groupe avait installé son quartier général dans un stationnement du centre-ville de Gatineau, à quelques kilomètres de la colline du Parlement, mais il était également présent à l’angle des rues Rideau et Sussex au centre-ville d’Ottawa.

« [Les Farfadaas] étaient hostiles », a décrit la chef adjointe intérimaire du Service de police d’Ottawa, Patricia Ferguson, lors de son témoignage devant la Commission sur l’état d’urgence jeudi. « Lorsque des gens tentaient de s’en aller, ils les intimidaient en leur disant de tenir leur bout contre la police, qu’ils n’iraient nulle part, ce genre de choses. »

C’est ce qui rendait l’atmosphère à cette intersection majeure du centre-ville d’Ottawa « volatile ».

Leur présence [celle des Farfadaas] a certainement contribué à la fermeture du Centre Rideau.

Patricia Ferguson, chef adjointe intérimaire du Service de police d’Ottawa

Le plus grand centre commercial de la ville, avec ses 300 commerces, avait dû être fermé dès le premier samedi après l’arrivée du convoi de camions, incapable de gérer l’afflux de manifestants à l’intérieur. Les pertes se chiffraient à 2 millions par jour, selon la Zone d’amélioration commerciale du quartier.

L’ancien chef de la Police d’Ottawa Peter Sloly avait demandé à la cellule de crise de planifier une opération pour reprendre le contrôle de ce secteur du centre-ville. Elle était prévue le 9 février, soit 10 jours avant le début de la vaste opération policière qui a mis fin au « convoi de la liberté » après le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Elle avait toutefois été annulée en raison de divergences entre les membres de la cellule de crise formée de plusieurs corps policiers, dont la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et le Service de police d’Ottawa.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Occupation du centre-ville d'Ottawa en février dernier par le « convoi de la liberté »

L’un des officiers supérieurs de la PPO estimait que le plan n’était pas sécuritaire et qu’il ne faisait pas suffisamment appel à l’unité de négociation pour tenter de trouver un arrangement avec les manifestants. « J’étais d’accord avec lui », a indiqué Mme Ferguson.

Elle a décrit le lendemain de cette réunion comme « la pire journée de [s]a carrière ». Des conflits au sein du commandement de la police et des tensions avec la PPO empoisonnaient les relations de travail. Le chef de la police municipale, Peter Sloly, est allé jusqu’à dire qu’il « écraserait » toute personne « qui saperait le plan opérationnel ». Il se méfiait de la main tendue de la PPO et de la Gendarmerie royale du Canada, y voyant une « conspiration » politique provinciale et fédérale, selon les notes prises à l’époque par la chef adjointe intérimaire.

Du renseignement crucial écarté

Patricia Ferguson a admis que l’ampleur du « convoi de la liberté » avait été mal évaluée avant l’arrivée des premiers camions, malgré des informations indiquant qu’ils allaient rester.

Est-ce que nous nous sommes trompés dans notre évaluation ? Oui, de toute évidence.

Patricia Ferguson, chef adjointe intérimaire du Service de police d’Ottawa, répondant au procureur, Frank Au

Le procureur Frank Au lui a demandé comment la police municipale pouvait croire que le convoi de camions en route vers Ottawa allait quitter la ville après une fin de semaine alors que plusieurs rapports de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) et un courriel de l’association hôtelière suggéraient le contraire.

Mme Ferguson, qui gérait à l’époque la police communautaire, a affirmé qu’il y avait beaucoup de désinformation entourant le « convoi de la liberté ». Elle a ajouté que le renseignement de la PPO indiquait à la fois que les manifestants pourraient rester longtemps, mais aussi qu’ils pourraient s’en aller après une fin de semaine. Et les réservations d’hôtel ne démontraient pas qu’ils allaient être au maximum de leur capacité, déjà réduite en raison de la pandémie.

Une manifestation qui tourne en occupation

Lors de son témoignage la veille, le responsable du renseignement de la PPO, Pat Morris, avait souligné que la campagne de financement fulgurante du « convoi de la liberté » constituait un bon indice que les camions allaient s’incruster à Ottawa parce qu’ils auraient les moyens de rester. « Nous ne savions pas comment l’argent allait être utilisé », a dit Mme Ferguson, précisant que cet argent aurait pu servir à autre chose.

Trois jours avant l’arrivée des premiers camions, une campagne de sociofinancement avait déjà permis aux organisateurs d’amasser 4,5 millions et les dons ont continué d’affluer, atteignant 10 millions deux semaines plus tard.

Croyant que les manifestants allaient rester quelques jours et partir, la police d’Ottawa a utilisé un plan de gestion de la circulation comme elle le fait pour tous les grands évènements. Trois jours après leur arrivée, elle ne considérait plus le « convoi de la liberté » comme une manifestation, mais comme une occupation. Aucun plan n’avait été préparé pour cette éventualité.

Patricia Ferguson a affirmé que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence du gouvernement fédéral leur avait donné « plus de confiance » pour exécuter l’opération policière qui a mis fin à la manifestation. La police d’Ottawa réclamait 1800 agents supplémentaires, il en a finalement fallu 2200. Elle a toutefois admis que les pouvoirs accordés en vertu de cette loi n’ont permis de gagner que quelques heures en éliminant la prestation de serment des agents provenant d’autres corps policiers. Ils ont toutefois permis de réquisitionner des remorqueuses et de geler les avoirs de certains manifestants, a-t-elle précisé.

La Commission doit déterminer si le gouvernement a eu raison de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence pour la première fois de son histoire.

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    Nombre d’accusations déposées durant l’occupation du « convoi de la liberté »
    source : Service de police d’Ottawa