(Ottawa) Le bureau du maire et de hauts fonctionnaires de la Ville d’Ottawa savaient qu’au moins 10 000 personnes se préparaient à rester jusqu’à trois mois dans la capitale fédérale quelques jours avant l’arrivée des premiers membres du « convoi de la liberté ». Le service de police s’attendait plutôt à une manifestation de quelques milliers de personnes qui allait durer quatre jours, et aucun plan de contingence n’avait été préparé.

C’est ce qu’a révélé le directeur général de la Ville d’Ottawa, Steve Kanellakos, lors de son témoignage à la Commission sur l’état d’urgence lundi. Le président de l’association hôtelière d’Ottawa avait transmis au bureau du maire le courriel d’un des organisateurs du « convoi de la liberté » qui était à la recherche de chambres d’hôtel « à 15 minutes de route » pour « approximativement 10 000 personnes » pour un séjour « minimum de 30 à 90 jours ».

Mathieu Gravel, directeur des enjeux et des relations avec la communauté du bureau du maire, fait suivre ce message le 25 janvier à trois hauts fonctionnaires de la Ville, trois jours avant l’arrivée des premiers camions. Il indique que le président de l’association hôtelière a parlé au représentant du convoi et que le plan des camionneurs est de « laisser leurs camions sur place, les enchaîner ensemble et tenter de bloquer l’accès à la ville ».

« Quel est notre niveau de préparation pour y répondre si cela devait durer plusieurs semaines ou plusieurs mois ? », demande-t-il. Le directeur général de la ville lui répond qu’une « approche coordonnée » est en cours d’élaboration.

L’information avait été transmise au Service de police d’Ottawa. La police s’attendait malgré tout à voir seulement 1000 ou 2000 manifestants au centre-ville d’Ottawa durant la fin de semaine du 29 janvier et à les voir partir le mardi suivant.

« Les gens avaient confiance dans leur évaluation de la situation pour nous guider », a affirmé M. Kanellakos. Il a souligné que la police d’Ottawa avait beaucoup d’expérience dans l’encadrement des manifestations, qui se produisent fréquemment dans la capitale fédérale.

Les participants du « convoi de la liberté » ne sont pas partis après cette première fin de semaine de manifestation, et encore plus de camions se sont mis à arriver le samedi suivant. Au lieu de limiter l’accès à la ville, la police a plutôt guidé ces nouveaux manifestants vers des zones désignées pour qu’ils se stationnent de façon à pouvoir les contenir.

Il y avait toujours cette notion que nous ne pouvions pas les empêcher d’exercer leur droit de manifester et d’entrer [dans la ville].

Steve Kanellakos, directeur général de la Ville d’Ottawa

En contre-interrogatoire, il a admis qu’il n’y avait aucun plan de contingence au cas où la manifestation durerait plus que trois ou quatre jours et qu’il n’en avait pas demandé.

L’ex-chef de police Peter Sloly, qui était en poste au moment des faits, a déjà dit publiquement que l’ampleur du « convoi de la liberté » était « sans précédent ». « Un changement de paradigme », a rappelé son avocat. Il a démissionné un peu plus de deux semaines après l’arrivée du « convoi de la liberté ». Il doit témoigner plus tard durant cette commission.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Quelques-uns des véhicules stationnés au centre-ville d’Ottawa en février dernier

M. Kanellakos a également indiqué que la Ville n’avait pas pu obtenir l’aide du gouvernement de l’Ontario qui était réticent à s’en mêler. Elle a déclaré l’état d’urgence le 6 février, soit environ une semaine après le début de la manifestation, « pour mettre de la pression » sur le gouvernement Ford, selon un document présenté en preuve.

Le premier ministre ontarien Doug Ford estimait qu’il s’agissait plutôt d’un problème d’application de la loi et qu’il revenait donc à la police de s’en occuper. Il ne participait pas aux réunions trilatérales avec le gouvernement fédéral pour tenter de dénouer la crise. M. Ford ni aucun de ses ministres ou hauts fonctionnaires ne sont sur la liste des témoins. « On ne me l’a pas demandé », a-t-il affirmé lundi. De hauts responsables de la Police provinciale de l’Ontario doivent toutefois témoigner.

La sécurité du parlement n’a pas été consultée

Une entente avec les organisateurs du « convoi de la liberté » et le directeur général de la Ville pour dégager les rues résidentielles a fait bondir le responsable du Service de protection parlementaire. Dans un courriel adressé à M. Kanellakos le 14 février, Larry Brookson s’étonne que la Ville ait laissé 200 camions se stationner dans la rue Wellington devant le parlement, d’autant qu’ils viennent de terminer une formation sur les bombes et les explosifs transportés dans ce type de véhicules.

« Il était déjà trop tard », a affirmé M. Kanellakos en faisant allusion aux véhicules qui étaient déjà stationnés à cet endroit avant la conclusion d’une entente avec les manifestants.

L’entente leur permettait de déplacer d’autres camions sur Wellington pour libérer des rues résidentielles du centre-ville en échange d’une éventuelle rencontre avec le maire d’Ottawa, Jim Watson. L’entente n’a finalement jamais été appliquée, sauf pour environ 40 poids lourds.

Tandis que la manifestation prenait de l’ampleur et perdurait, la Ville avait de la difficulté à obtenir les 250 agents de la Gendarmerie royale du Canada qui avaient été promis par le gouvernement fédéral. Serge Arpin, chef de cabinet du maire Watson, a exprimé sa frustration à plusieurs reprises dans des échanges de textos avec de hauts responsables politiques du gouvernement Trudeau. Il a reconnu que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence avait fait une différence dans la coordination de la réponse policière.

La Commission sur l’état d’urgence doit déterminer si le gouvernement avait raison de recourir à cette loi pour la première fois de son histoire afin de mettre fin au « convoi de la liberté » à Ottawa et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays. Ses travaux se poursuivront mardi.