Le compte Instagram du Parti québécois (PQ) a connu un bond de nouveaux abonnés aussi prodigieux que suspect dans les jours qui ont précédé et qui ont suivi les élections. Le président du parti affirme qu’il ne sait pas ce qui explique cette croissance, mais qu’on a demandé aux « autorités compétentes » d’enquêter sur une possible tentative d’ingérence étrangère.

Mercredi à 20 h, quand La Presse a commencé à examiner l’activité du compte, le PQ avait 287 000 abonnés sur Instagram. Jeudi à la même heure, il en avait plus de 328 000, et ça continuait de monter.

La croissance a été si rapide que l’outil d’analyse de l’engagement sur les réseaux sociaux HypeAuditor indiquait toujours jeudi soir que le compte du PQ avait moins de 13 000 abonnés — ce qui était effectivement le cas jusqu’à tout récemment.

Qu’est-ce qui explique le phénomène ? « La théorie prévalente pour l’instant, c’est qu’on ne sait pas », laisse tomber le président du parti, Jocelyn Caron. « Ce qui est sûr, c’est que ce n’est absolument pas de notre fait et qu’on n’a jamais rien eu à voir avec ça », affirme-t-il.

« Si on avait acheté ces affaires-là, ça paraîtrait dans les rapports publics, puis on aurait l’air d’une belle bande de personnes malhonnêtes, ce qu’on n’est pas », se défend M. Caron en faisant référence aux rapports sur les dépenses électorales d’Élections Québec, qui sont rendus publics dans les mois suivant le scrutin.

S’il s’agissait de véritables abonnés, cette vague ferait du PQ le meneur en la matière, et de loin. Québec solidaire a quelque 53 000 abonnés sur Instagram, et les autres partis beaucoup moins. La Coalition avenir Québec a environ 12 000 abonnés, alors que le Parti libéral et le Parti conservateur en ont chacun moins de 7000.

Mais la vaste majorité des récents abonnés du PQ ont toutes les caractéristiques de faux comptes.

Ils ont des noms d’utilisateur comme « brianturnerpraggykpmi » ou « nikatartookat3542181275 », et suivent des centaines ou des milliers d’autres comptes, mais n’ont eux-mêmes que quelques dizaines d’abonnés. Le contenu qu’ils publient semble choisi au hasard et montre peu ou pas d’engagement.

Ingérence étrangère ?

Selon M. Caron, ils viennent aussi de l’étranger, notamment de la Russie, du Vietnam et d’ailleurs en Asie. Craint-on une ingérence étrangère ? « On ne sait pas », répète M. Caron. « A priori, quand on suit la politique, on peut se dire que c’est peut-être ça », ajoute-t-il en faisant référence à la politique américaine, notamment. Mais ce pourrait tout aussi bien être des gens qui veulent « narguer » le parti, dit-il. « On n’en a strictement aucune idée. »

« Ce qu’on m’a dit, c’est que les autorités compétentes allaient enquêter, puis peut-être nous revenir là-dessus », précise M. Caron.

C’est un peu étrange. Ce n’est pas le mode opératoire qu’on a l’habitude d’observer dans ce qu’on connaît des cas de tentative d’ingérence étrangère.

Alexis Rapin, chercheur à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand

M. Rapin souligne qu’il est possible que des acteurs privés et intérieurs se trouvent derrière la campagne, même si les comptes viennent de l’étranger. Quoi qu’il en soit, l’objectif demeure nébuleux.

Des attaques politiques par l’entremise des réseaux sociaux ont déjà visé le Canada. En 2018, des « trolls » saoudiens ont mené une campagne de dénigrement sur Twitter en marge d’une crise diplomatique entre le Canada et l’Arabie saoudite au sujet du militant Raif Badawi. Ils ont critiqué le « génocide culturel commis contre les autochtones » au Canada et défendu « le droit du Québec à devenir une nation indépendante ».

La nouveauté ici, c’est le contexte électoral, note le chercheur. Par conséquent, « la sensibilité de l’enjeu est plus grande ».

La Presse a envoyé une série de questions au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui « a pour rôle d’enquêter sur les activités qui pourraient constituer une menace pour la sécurité du Canada ».

L’organisme fédéral note que « le Canada demeure une cible pour les cyberactivités d’espionnage, de sabotage, d’ingérence étrangère et de terrorisme », mais ne répond à aucune de nos questions. « Le SCRS ne peut pas commenter publiquement, ni même confirmer ou infirmer ses enquêtes, ses intérêts opérationnels, ses méthodes et ses activités », indique le porte-parole Eric Balsam.

En fin de soirée vendredi, le PQ avait quelque 397 000 abonnés sur Instagram.