(Ottawa) Maintenant que quatre nouveaux territoires ont officiellement « embrassé » la Russie, la pire chose que Kyiv pourrait faire est de tenter de les reconquérir et « empirer » une situation qui est déjà « mauvaise ». Et le refus du Canada de reconnaître ce redessinage de frontières, les citoyens de ces territoires n’en ont cure – « sans vouloir être impoli ».

L’ambassadeur de Russie au Canada, Oleg Stepanov, s’est levé au petit matin, vendredi, pour écouter le discours du président Vladimir Poutine. « J’ai été impressionné par la façon dont il a expliqué notre approche politique. Ces territoires font maintenant partie de la Russie, selon la charte de l’ONU sur l’autodétermination des peuples », lâche-t-il.

Car les habitants des régions de Donetsk et Louhansk et les territoires occupés par les troupes russes de Kherson et Zaporijjia ont majoritairement exprimé leur désir de rattachement à la mère patrie, se réjouit le chef de mission du Kremlin au Canada. Il dément que les consultations se sont faites dans un climat de répression et de force.

« Je suis complètement en désaccord avec les reportages qui essaient de présenter les référendums comme des référendums forcés », dit-il lors d’une entrevue accordée à La Presse dans un salon de l’ambassade. Si des pressions ont été exercées par des soldats, c’était pour s’assurer « qu’un maximum de gens exerce leur droit de vote », plaide-t-il.

Les résultats de ces scrutins sont soviétiques, allant de 87 % à 99 % de « oui », selon les autorités prorusses.

Que le Canada et ses alliés aient juré ne « jamais » reconnaître la légitimité des résultats était « prévisible », et Oleg Stepanov n’en a « pas été surpris ». Mais « pour les gens de ces régions, pour les Russes, ça ne change rien », lance-t-il. « Je ne veux pas être impoli, mais ça n’a absolument aucune importance », tranche le diplomate.

Cessez-le-feu réclamé

Il faut maintenant que l’Ukraine dépose les armes, indique l’ambassadeur.

Il accuse Kyiv d’être derrière la frappe qui a fait au moins 30 morts parmi des civils dans une zone sous contrôle ukrainien près de Zaporijjia, vendredi : « Ces gens fuyaient vers la Russie, et pour cette raison, les Ukrainiens ont frappé. Je ne vois pas quelle serait la logique pour la Russie de les tirer des gens qui viennent chercher refuge en Russie ».

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky doit maintenant faire une croix sur l’idée de reconquérir les territoires annexés, conseille l’ambassadeur, qui utilise ses doigts pour faire des guillemets en prononçant le verbe reconquérir.

Ça force la Russie à choisir entre le mauvais et le pire.

Oleg Stepanov, ambassadeur de Russie au Canada

« En ce moment, la situation est mauvaise. Le pire, ce serait de laisser le régime de Kyiv persécuter ces gens et commettre un génocide, poursuit-il. Nous n’aimons pas ce qui se passe en ce moment. Nous n’avons vraiment pas de plaisir en ce moment. Mais il faut ce qu’il faut. »

Les Russes qui fuient, des lâches

Entre deux gorgées d’espresso, Oleg Stepanov, un ancien homme d’armée comme son père avant lui, traite de lâches les Russes qui fuient le pays par dizaines de milliers pour éviter d’avoir à se retrouver sur les lignes de front, Vladimir Poutine ayant annoncé une mobilisation partielle de 300 000 réservistes.

Quand je regarde les gens qui font la file à la frontière de la Géorgie ou du Kazakhstan, je me dis qu’on sépare le bon grain de l’ivraie.

Oleg Stepanov, ambassadeur de Russie au Canada

Employant toujours le terme « opération spéciale » pour décrire l’invasion russe en Ukraine, l’ambassadeur nie que l’exode constitue un désaveu du président russe ou de sa stratégie guerrière.

« C’est une frange marginale. Et je ne peux m’empêcher de me demander ce que leurs mères, leurs pères, leurs amis, leurs petites amies ou leurs petits amis vont penser de cela », soupire Oleg Stepanov.

Une présence au Canada contestée

Sur le trottoir et sur le muret de béton soutenant l’imposante grille de l’ambassade, rue Charlotte, des taches de peinture rouge. Vendredi, sous un radieux soleil automnal, une jeune femme accroche un drapeau russe sur la grille et dépose deux bouquets d’œillets rouges sur le muret. Elle ne veut pas accorder d’entrevue, parce que « c’est délicat ».

La présence russe au Canada l’est, en effet, délicate.

Le Parti conservateur, la communauté ukrainienne ainsi que l’ambassadrice ukrainienne ont tous exhorté le gouvernement Trudeau à expulser Oleg Stepanov.

« Très diplomate, n’est-ce pas ? », réagit le principal intéressé en souriant.

« C’est la prérogative du gouvernement de décider s’il veut de nous ici ou pas. S’ils nous disent de partir, on partira, on fera nos valises, ce n’est pas un problème. Mais c’est tout de même mieux de ne pas couper l’arbre qui donne des fruits », ajoute-t-il.

Pour des raisons de réciprocité, les libéraux refusent d’expulser l’homme du Kremlin au Canada.

Pas de mensonges

Dans les bureaux de l’ambassade, en janvier dernier, Oleg Stepanov jurait que Moscou n’avait aucune intention d’envahir l’Ukraine.

« Il n’y a aucune intention, aucun désir, aucune raison de le faire », martelait-il.

Mais lui, qui ne se prive pas de critiquer les médias canadiens, les accusant de véhiculer de fausses informations via le compte Twitter de l’ambassade, se défend d’avoir menti à l’époque lorsqu’on lui demande, à la fin de la longue entrevue, comment on peut croire ce qu’il vient de dire.

Il y avait un mais : on ne comptait pas lancer une offensive militaire, sauf en cas de provocation.

Oleg Stepanov, ambassadeur de Russie au Canada

Et puisque Volodymyr Zelensky allait « lancer un blitz pour conquérir le Donetsk » – territoire ukrainien dont Vladimir Poutine a proclamé l’indépendance trois jours avant d’envahir l’Ukraine – et qu’il « tentait d’obtenir leur propre arme nucléaire », Moscou a mené des « frappes préventives », affirme-t-il.

« Je n’ai pas menti. J’étais honnête et sincère », insiste l’ambassadeur russe.