(Ottawa) Le projet de loi bloquiste visant à mieux protéger la langue française a échoué mercredi après-midi à franchir l’étape permettant d’être étudié en comité, faute de l’appui des libéraux et des conservateurs.

Après le vote, la marraine du projet de loi, la députée Claude DeBellefeuille, s’est dite « abasourdie » par le refus de députés québécois de faire passer ce projet de loi là à l’étape du comité.

« C’est assez simple ce qu’on demandait dans le fond : d’appliquer la loi 101 aux entreprises de juridiction fédérale et puis d’accueillir les nouveaux citoyens en leur demandant une connaissance du français, a-t-elle déclaré. Je pense qu’il n’y avait pas plus simple, un geste simple à faire pour reconnaître la nation québécoise et sa langue officielle. »

Le Bloc québécois avait présenté ce vote comme un « test de cohérence » pour les autres partis politiques, estimant que ceux-ci sont « toujours prêts » à faire des énoncés de principes, mais qu’« un énoncé de principes, ça coûte pas cher pis ça vaut pas cher ».

Les libéraux avaient annoncé, dès les premiers débats en mai, qu’ils voteront « contre » l’envoi du projet de loi en comité, estimant qu’il faut se soucier des langues minoritaires d’un océan à l’autre et « pas seulement au Québec ». Et les néo-démocrates s’étaient dit en faveur malgré une réticence sur l’un des aspects.

Les conservateurs ont rompu le suspense quelques minutes avant la période des questions, mercredi, lorsque leur porte-parole en matière de langues officielles, Joël Godin, a révélé la décision prise lors d’une réunion de leur caucus en matinée : c’est non.

« Disons qu’un projet de loi émanant d’un député est beaucoup moins fort qu’un projet de loi du gouvernement, a-t-il répondu aux questions des journalistes. Nous avons une très bonne collaboration avec les partis d’opposition pour faire en sorte que le projet de loi C-13 soit efficace et qu’il arrête le déclin du français, surtout au Québec. »

Le projet de loi bloquiste était « peut-être » pertinent lorsqu’il a été déposé en février, mais le dépôt quelques semaines plus tard du projet de loi C-13 qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles a changé la donne, a-t-il expliqué dans le foyer de la Chambre des communes.

Or, c’est une « fausse excuse », a tranché Mme DeBellefeuille, puisque C-13 ne comprend pas le volet sur la citoyenneté.

Le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, a pour sa part indiqué qu’il entend ramener l’application de la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale dans les amendements qui seront proposés au projet de loi C-13.

« Le véritable test »

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor, a indiqué ne pas être disponible pour une entrevue, mais a transmis une déclaration écrite dans laquelle elle soutient que son projet de réforme de la Loi sur les langues officielles est « le véritable test pour la pérennité du français au pays, y compris au Québec ».

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La ministre fédérale des Langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor

À titre de comparaison, la ministre plaide notamment que son projet de loi C-13 « offre des droits équivalents de travailler et d’être servis en français que dans la proposition du Bloc », mais il « va plus loin en les offrant également à l’extérieur du Québec dans les régions à forte présence francophone ».

Appelé à réagir, le chef bloquiste Yves-François Blanchet a soutenu que « les meilleurs amis que les francophones hors Québec peuvent avoir, c’est le Bloc québécois ».

Selon le Bloc, le projet de loi libéral « a ses mérites pour les communautés francophones hors Québec », mais au Québec, il permet aux entreprises de choisir d’appliquer les dispositions de la Loi sur les langues officielles ou celles de la Charte de la langue française.

Ainsi, de l’avis de M. Blanchet, l’idée voulant qu’il soit nécessaire de protéger l’anglais au Québec n’a « de toute évidence, absolument aucun sens » et les libéraux « affaiblissent la protection du français au Québec » afin de le protéger davantage dans le reste du pays.

Oui, mais

Les néo-démocrates avaient indiqué cette semaine qu’ils sont en faveur de faire cheminer le projet de loi en deuxième lecture. Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, s’était dit « extrêmement d’accord » avec le volet ayant pour objectif d’appliquer la Charte de la langue française aux entreprises de compétence fédérale, la situation actuelle étant « complètement absurde ». Il avait donné l’exemple d’un employé d’une caisse populaire qui n’avait pas les mêmes droits linguistiques qu’un employé d’une banque.

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Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice

« L’objectif pour nous, c’est que les gens puissent travailler en français, puis communiquer avec leur employeur en français, communiquer avec la clientèle en français également », a-t-il renchéri mercredi en mêlée de presse.

Mais, estimait-il précédemment, « le bât blesse » lorsqu’il s’agit d’imposer un test de français à l’ensemble des immigrants qui veulent obtenir la citoyenneté depuis le territoire du Québec puisque comme « progressistes » ce serait une exigence « abusive » dans le cas des réfugiés et des cas de réunification familiale.

Lors d’une conférence de presse en matinée, la députée DeBellefeuille avait affirmé être « convaincue » qu’elle obtiendrait l’appui des néo-démocrates sur le deuxième volet une fois que le projet de loi sera débattu en comité, leurs inquiétudes n’étant « pas fondées ».

« Quand on entre (au Canada) comme réfugié, on ne va pas dire : « Parlez-vous français ? Si vous ne parlez pas français, on vous retourne », avait-elle expliqué. Pour obtenir notre résidence permanente au Canada, il y a un certain nombre d’années, entre cinq et sept ans. Et donc mon projet de loi exclut les réfugiés, les demandeurs de résidence permanente. »

Dans le projet de loi C-238, le Bloc québécois reprenait d’abord le contenu de son projet de loi C-254 mort au feuilleton lors de la dernière législature, mais qui avait été précédemment envoyé en comité grâce à l’appui des conservateurs et des néo-démocrates.

Cette partie visait à assujettir à la Charte de la langue française les entreprises de compétence fédérale exploitées au Québec, à faire reconnaître dans la Loi sur les langues officielles le français comme « langue officielle et commune au Québec » et à forcer toute compagnie assujettie à la Loi canadienne sur les sociétés par actions qui exerce des activités au Québec à avoir une dénomination sociale qui satisfait aux exigences de la Charte de la langue française.

Ce volet, insiste le Bloc, jouit au Québec de l’« appui massif » de tous les anciens premiers ministres du Québec encore vivants, des maires des plus grandes villes et des principaux syndicats, en plus d’avoir fait l’objet d’une motion unanime de l’Assemblée nationale du Québec.

Dans un deuxième temps, les bloquistes faisaient un copier-coller du contenu de leur projet de loi C-223 qui, lui, avait échoué à franchir l’étape de la deuxième lecture, obtenant seulement l’appui des conservateurs. Ce volet visait à exiger qu’un résident permanent âgé de 18 à 64 ans qui habite au Québec ait une connaissance suffisante du français pour obtenir la citoyenneté canadienne, alors qu’en ce moment le Canada exige la connaissance de l’anglais ou du français.

Des données du recensement publiées le mois dernier par Statistique Canada révélaient que le français poursuit son déclin au Québec et dans le reste du pays. Le pourcentage de Québécois parlant principalement cette langue à la maison est passé de 79 % à 77,5 % entre 2016 et 2021.