(Ottawa) Le Canada continuera de punir la Russie pour sa guerre « injustifiée », mais il n’est pas rendu à emboîter le pas aux pays qui ont fermé leurs portes au tourisme russe en refusant l’octroi de visas : on souhaite offrir aux dissidents russes qui veulent fuir leur pays la possibilité de venir ici, a indiqué la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

La cheffe de la diplomatie canadienne, qui se trouve aux Nations unies, à New York, a réitéré jeudi dans une conférence téléphonique que la mobilisation partielle de réservistes décrétée par le président russe Vladimir Poutine constituait un « aveu d’échec ».

Et « quand les soldats russes sont prêts à déserter » leur pays pour éviter de se retrouver au front de la guerre en Ukraine, cela démontre « à quel point le président Poutine est isolé », a-t-elle lancé, qualifiant au passage les menaces nucléaires de l’homme fort du Kremlin d’« irresponsables et impensables ».

C’est le motif qu’elle a invoqué pour expliquer la position du gouvernement Trudeau quant à la délivrance de visas pour les citoyens russes. « Ce qu’on voit présentement, c’est qu’il y a des soldats russes qui sont prêts à contester l’autorité et qui désertent les rangs et qui fuient le champ de bataille en Ukraine », a-t-elle souligné.

« Cela pousse le président Poutine à faire une annonce de mobilisation partielle de 300 000 Russes. Et au même moment, ce qu’on voit, c’est que le peuple russe n’est pas dupe. Il y a plusieurs Russes qui veulent quitter la Russie, et en plus, il y a plusieurs manifestations à travers le pays », a poursuivi la ministre Joly.

« Et donc, ce qu’on veut faire, c’est qu’on veut être capables, un peu comme les Européens et les Américains le font, c’est d’être capables de soutenir les dissidents russes. Et c’est pourquoi nous, on veut être très ouverts à pouvoir les accueillir au moment où ils sont dans une posture très difficile », a-t-elle plaidé.

Quatre des cinq pays limitrophes de la Russie – Pologne, Estonie, Lituanie et Lettonie – ont commencé lundi à refuser l’entrée de touristes russes. Ces interdictions excluent les dissidents russes ainsi que les chauffeurs routiers, les réfugiés et les résidents permanents des pays de l’Union européenne.

Il y a quelques jours, au cabinet du ministre de l’Immigration, Sean Fraser, on a signalé que cette possibilité n’était pas catégoriquement écartée. « Nous continuons à évaluer toutes les options disponibles pour nous assurer que les actions de la Russie ne restent pas impunies », a dit son attachée de presse, Aidan Strickland.

« Une réponse appropriée »

Le tour de vis contre les ressortissants russes est réclamé par le gouvernement ukrainien. Il y a environ un mois, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, a élargi aux pays G7 cette demande controversée, qui avait été formulée dans un premier temps à l’intention de l’Union européenne.

« En termes simples, les touristes, les gens d’affaires et les étudiants russes devraient être interdits d’entrée dans les pays de l’UE et les pays du G7. C’est une réponse appropriée à la guerre d’agression génocidaire de la Russie », faisait-il valoir dans une lettre ouverte publiée le 25 août dans Politico.

Ici, au pays, le Congrès Ukrainien-Canadien milite en faveur de la même chose. « Nous appuyons fermement cette requête, et nous l’avons communiqué au gouvernement fédéral », a indiqué en entrevue il y a quelque temps Orest Zakydalsky, un porte-parole de l’organisation.

Et il ne considère pas injuste de pénaliser de simples citoyens pour la guerre que mène leur pays : « C’est la Russie qui commet ce génocide. Je ne vois pas pourquoi les ressortissants d’un pays qui mène une agression ne seraient pas responsables des actions de leur pays ».

Le Bloc québécois ne juge pas « opportun » de suivre cette voie.

« On peut comprendre que les Ukrainiens souhaitent qu’on augmente la pression exercée sur la Russie, mais le Bloc québécois a toujours insisté pour qu’on fasse une distinction entre le peuple russe et ses dirigeants du moment », a récemment écrit dans un courriel le député Stéphane Bergeron.

« Appliquer la même interdiction pour l’ensemble des ressortissants russes peut apparaître injuste pour ceux qui s’opposent à cette guerre injustifiée et qui pourraient même vouloir quitter leur pays en raison de la répression dont ils feraient l’objet », a-t-il aussi argué.

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique n’ont pas fourni de réaction à ce sujet.

D’autre aide à venir

La ministre Joly a par ailleurs assuré qu’Ottawa frapperait prochainement Moscou de nouvelles sanctions, et que de l’aide additionnelle pour Kyiv pourrait suivre sous peu. On songe en particulier à soutenir l’armée de l’Ukraine avec davantage de formation militaire, a-t-elle signalé.

Le réseau CBC a rapporté mercredi que le ministre de la Défense de l’Ukraine, Oleksii Reznikov, a demandé il y a trois semaines à son homologue canadienne Anita Anand de lui envoyer de nouveaux équipements militaires, dont des véhicules blindés légers.