(Ottawa) Si Pierre Poilievre devient chef du Parti conservateur du Canada, Joël Godin va réfléchir à son avenir comme député au sein du parti. Quant au sénateur Jean-Guy Dagenais, il va déchirer sa carte de membre.

Joints avant la tenue du troisième débat officiel de la course à la direction conservatrice, qui aura lieu ce mercredi soir dans un studio d’Ottawa, les deux parlementaires pro-Charest manifestent leur inquiétude quant au sort qui attend leur parti si Pierre Poilievre (qui boude cette dernière joute oratoire) en devient le chef.

Le député Joël Godin est le premier (et le seul à ce jour) des 10 membres de la députation québécoise du Parti conservateur à la Chambre des communes à reconnaître ouvertement qu’une victoire du député de Carleton l’amènerait à soupeser ses options.

Des options, il en voit quatre qui s’offrent à lui.

Soit je démissionne comme député, soit je me rallie à un autre parti qui siège à la Chambre des communes, soit je siège comme indépendant, soit je participe à la création d’un autre parti.

Joël Godin, député du Parti conservateur du Canada

Car il a été amèrement déçu de ce qu’il a vu au cours des derniers mois : « Je n’ai jamais vu une course aussi agressive et aussi vicieuse dans les attaques personnelles », regrette dans un entretien celui qui est député de Portneuf–Jacques-Cartier depuis 2015.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le député conservateur Joël Godin

À l’exception de Pierre Paul-Hus, Luc Berthold et Jacques Gourde, l’ensemble des élus du Québec à Ottawa a jeté son dévolu sur l’ex-premier ministre du Québec.

Le premier soutient Pierre Poilievre, et le deuxième demeure neutre en raison de sa position de chef adjoint. Quant au troisième, il n’a pas choisi de favori, afin de s’assurer de ne pas nuire à son projet de loi d’initiative parlementaire qui vise à prolonger le nombre de semaines d’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi pour les Canadiens souffrant de maladies graves.

Les sept autres sont tous dans le camp Charest.

Joël Godin a affiché ses couleurs. Même chose pour Alain Rayes, qui a pourfendu le candidat Poilievre et son entourage, taxant la campagne qu’ils mènent de « haineuse », entre autres épithètes peu élogieuses. Quid des autres ? Seule Dominique Vien a répondu à La Presse.

« Je me concentre sur la victoire de Jean Charest, le seul capable de rallier tous les conservateurs et d’attirer les Canadiens d’autres horizons politiques afin de gagner les prochaines élections fédérales », a fait valoir dans un courriel celle qui a été membre de son cabinet ministériel à Québec.

Une carte et une paire de ciseaux

Alarmé, le sénateur Jean-Guy Dagenais a décidé de prendre la plume pour écrire aux membres du parti. Il n’y va pas par quatre chemins : « Le Parti conservateur du Canada ne joue rien de moins que son avenir sur l’échiquier politique canadien, avec l’actuelle course au leadership », écrit-il d’entrée de jeu.

Une victoire de l’incisif député ne laisse rien présager de bon pour le Canada non plus, insiste celui qui a claqué la porte du caucus sénatorial conservateur en 2019.

La France a Marine Le Pen, les États-Unis ont eu Donald Trump […] Est-ce vraiment nécessaire d’avoir Pierre Poilievre ? Cette personne-là peut devenir premier ministre.

Le sénateur Jean-Guy Dagenais

Il craint une « implosion » du parti en cas de triomphe de Pierre Poilievre, parce qu’il n’y aurait alors « pas de place » pour les progressistes-conservateurs. « Sa base, elle est en Alberta, et dans l’Ouest. On va revenir à l’ancien Parti réformiste d’un côté et les progressistes de l’autre », exprime-t-il au téléphone.

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Le sénateur Jean-Guy Dagenais

Le sénateur Dagenais est toujours détenteur d’une carte de membre du Parti conservateur. Pour le moment, en tout cas. « Je n’ai pas peur de vous dire que ma carte de membre est sur mon bureau… juste à côté d’une paire de ciseaux », conclut-il dans la missive qu’il a rédigée à l’intention des membres.

Harper, la « belle-mère »

Les deux hommes déplorent l’intervention de Stephen Harper dans la course. L’ex-premier ministre a mis de côté son habituelle réserve en publiant une vidéo en appui à Pierre Poilievre sur les réseaux sociaux, le 25 juillet dernier.

L’estime qu’avait Joël Godin pour son ancien patron en a souffert.

« Je suis très déçu de sa sortie. Moi, la belle-mère qui sort et qui vient donner des conseils… ce n’est plus Stephen Harper, le chef du Parti conservateur du Canada ! Qu’on laisse les membres décider », laisse-t-il tomber.

J’avais beaucoup d’estime pour Stephen Harper, un économiste, et j’ai de la misère à comprendre qu’il puisse appuyer un candidat qui veut congédier le gouverneur de la Banque du Canada et baser l’économie sur les bitcoins.

Joël Godin, député du Parti conservateur du Canada

Le même désenchantement s’entend dans la voix du sénateur Dagenais : « Stephen Harper a tenu la barre du navire pendant 10 ans. S’il ne veut pas laisser la barre à Jean Charest, qu’il ne la laisse pas à un moussaillon à l’ego démesuré comme Pierre Poilievre, parce que le navire va couler. »

La réponse viendra le 10 septembre prochain, avec l’annonce du gagnant.

Celles de Joël Godin et de Jean-Guy Dagenais suivront.