(Ottawa, Montréal) L’Ukraine déplore le « dangereux précédent » que représente la décision du Canada de permettre à Siemens d’envoyer en Allemagne six turbines coincées à Montréal – une entorse d’Ottawa à son propre régime de sanctions contre Moscou. Les Canado-Ukrainiens sont aussi en colère, et ils l’ont exprimée à Montréal, où des dizaines d’entre eux se sont réunis devant les bureaux de Siemens.

Dans une longue déclaration publiée dimanche, Kyiv a exprimé sa « profonde déception » par rapport à la décision annoncée samedi par Ottawa, en vertu de laquelle une demi-douzaine de turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1 pourront être acheminées en Allemagne.

« Ce dangereux précédent viole la solidarité internationale, va à l’encontre du principe de l’État de droit et n’aura qu’une conséquence : il renforcera le sentiment d’impunité de Moscou », ont regretté les ministères ukrainiens des Affaires étrangères et de l’Énergie.

D’autant plus que « la Russie est en mesure de continuer à fournir du gaz à l’Allemagne dans son intégralité » même en l’absence des pièces, et sa requête n’était autre que « du chantage sans justification technique », ont-ils ajouté.

L’Ukraine avait exhorté Ottawa à ne pas accéder à la demande de Berlin, mais la balance a finalement penché en faveur de l’Allemagne : le ministre des Ressources naturelles du Canada, Jonathan Wilkinson, a accordé un « permis révocable et d’une durée limitée » pour l’acheminement des turbines.

On avait jusqu’à présent toujours parlé de turbine au singulier, mais en fait, il y en a plus qu’une. « Le permis couvre jusqu’à ce que les turbines soient retournées selon les besoins. Il y a six turbines au total qui nécessitent une maintenance programmée », a indiqué dimanche l’attaché de presse du ministre, Keean Nembhard.

Une fois l’équipement arrivé en Allemagne, Siemens Energy l’expédiera en Russie « dès que possible », a signalé une porte-parole de la compagnie à La Presse. Il lui faudra obtenir une dérogation additionnelle, cette fois aux sanctions de l’Union européenne, pour cet envoi en territoire russe.

Du côté de l'ambassade de la Russie au Canada, on n'a pas pour autant pavané. « Nous avons toujours considéré l'enjeu des turbines comme un enjeu bilatéral entre le Canada et l'Allemagne. »

Mais il s'agit là d'une solution qui est « bénéfique, et bénéfique pour l'Europe en matière d'approvisionnement en gaz naturel », a-t-on plaidé dans un courriel, dimanche soir.

  • Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

    PHOTO SARKA VANCUROVA, LA PRESSE

    Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

  • Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

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    Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

  • Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

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    Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

  • Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

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    Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

  • Manifestation devant les bureaux de Siemens à Montréal contre l’envoi en Allemagne de six turbines destinées au gazoduc russe Nord Stream 1

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La communauté canado-ukrainienne en colère

La communauté canado-ukrainienne implorait depuis des semaines le gouvernement Trudeau de ne pas plier.

Et dimanche, les opposants à l’envoi des turbines ont organisé des manifestations à Montréal et à Ottawa. Du côté de Montréal, on s’est rassemblé devant l’hôtel de ville et devant les installations de Siemens Canada, chemin de la Côte-de-Liesse.

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Le consul honoraire de l’Ukraine à Montréal, Eugène Czolij, était présent à la manifestation dimanche.

« Le Canada, le 27 avril dernier, a adopté une résolution à la Chambre des communes comme quoi la Russie commet un génocide en Ukraine », a rappelé le consul honoraire de l’Ukraine à Montréal, Eugène Czolij, aux côtés d’une foule de dizaines de Canado-Ukrainiens rassemblée en bordure d’une sortie d’autoroute.

« [Le Canada] doit donc faire le possible et l’impossible pour empêcher de telles exemptions et ne pas céder au chantage de la Russie », estime-t-il.

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Michael Swech, président de la section québécoise du Congrès des Ukrainiens Canadiens

À ses côtés, le président de la section québécoise du Congrès des Ukrainiens Canadiens, Michael Swech, a rappelé que de nombreux Ukrainiens perçoivent le Canada comme « le plus gros allié » de leur pays, d’où leur déception devant cette décision du gouvernement Trudeau.

« Ça n’a aucun bon sens, ça défait tout ce qu’ils ont fait [jusqu’ici] », déplore M. Swech, en rappelant que la Russie utiliserait l’argent gagné grâce à ces équipements « pour acheter des armes et des bombes ».

Venue démontrer son opposition à la décision du Canada, Nadia Vakhranova s’inquiète pour le sort de ses parents, toujours en Ukraine. « Chaque jour, je me demande s’ils sont toujours vivants », a-t-elle soufflé entre deux klaxons d’encouragements lancés par des voitures passant devant la troupe.

Les conservateurs fustigent les libéraux

Le Parti conservateur a critiqué le passe-droit au régime de sanctions contre le Kremlin, et il en a profité pour réitérer que la solution aux bouleversements énergétiques causés par l’invasion russe en Ukraine passe par la construction d’infrastructures sur le sol canadien.

« Au lieu d’ignorer les sanctions mondiales destinées à punir Poutine, le gouvernement libéral devrait approuver de nouveaux pipelines et des terminaux de gaz naturel liquéfié afin que le gaz naturel canadien puisse remplacer l’approvisionnement énergétique russe en Europe », a affirmé un trio de conservateurs.

« Permettre le retour [des turbines] à gaz crée un dangereux précédent en pliant au chantage de Poutine sur l’Europe, et aura un impact négatif sur la position du Canada sur la scène mondiale », ont poursuivi les députés Pierre Paul-Hus, Michael Chong et James Bezan.

Le propriétaire de la canalisation de 1200 kilomètres reliant la Russie et l’Allemagne, Gazprom, figure sur la liste canadienne des entreprises visées par des sanctions économiques. La société a plaidé qu’en l’absence de l’équipement pris à Montréal, une réduction du volume serait inévitable. Cet argument est contesté.