(Ottawa) Il est normalement du type plutôt discret ; on l’a peu entendu dans les médias durant la décennie qu’il a passée aux commandes du commissariat aux élections fédérales. Mais à l’approche de son départ, Yves Côté communique haut et fort son inquiétude de voir les « virus » de la désinformation et de la mésinformation se propager au Canada, et il lance un appel à « la haute vigilance ».

Avant que la bombe Roe c. Wade n’éclate, vendredi dernier, un autre enjeu monopolisait l’attention de la majorité des journaux aux États-Unis : l’enquête sur les évènements du 6 janvier 2021. On y a entre autres entendu des politiciens de la Géorgie et de l’Arizona rappeler les pressions exercées par l’ex-président Donald Trump pour « trouver des votes ».

Yves Côté suit cette saga avec intérêt. « C’est profondément décourageant, profondément déprimant de voir ce qui ressort de ces audiences-là, et plus largement de ce qui se passe chez notre voisin du Sud », lance-t-il dans un entretien accordé la semaine dernière dans son bureau de Gatineau qu’il s’apprête à quitter.

Il partage le constat que plusieurs experts font : le Canada n’est pas immunisé contre ce phénomène.

Ici aussi, on a tenté d’induire les gens en erreur, tenté de soulever des questions par rapport à la façon dont les bulletins de vote étaient comptés en disant qu’on utilisait des machines pour le faire, ce qui est tout à fait faux.

Yves Côté, commissaire aux élections fédérales

Et il faut résister, plaide le commissaire sortant.

« C’est vraiment un défi sociétal, un défi collectif auquel les réponses doivent prendre des formes multiples. Et il interpelle non seulement les politiciens, mais également les groupes d’intérêts, les universités, et aussi les parents, dans la formation qu’ils donnent ou qu’ils choisissent de donner à leurs enfants », insiste-t-il.

« C’est un combat qui est vaste, qui est complexe, et à moins que tout le monde mette l’épaule à la roue, ça risque de devenir de plus en plus pernicieux, mais aussi de plus en plus complexe », ajoute Yves Côté.

De Pierre Poutine à Pierre Poilievre

En l’espace de 10 ans, M. Côté a été à même de constater l’évolution des tactiques de ceux qui cherchent à tricher au jeu de la démocratie : entré en fonction dans la foulée de l’affaire Pierre Poutine (les appels automatisés, ou robocalls), le voici qui tire sa révérence à l’ère des bots qui propagent de la propagande en ligne – et d’élus comme Pierre Poilievre.

Ce même député qui, selon certains observateurs de la scène politique, importe au pays un populisme à la sauce Trump. Et qui s’était livré à une charge à fond de train contre le directeur général des élections (DGE) en 2014, alors dans ses habits de ministre d’État à la Réforme démocratique.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Poilievre, candidat à la direction
du Parti conservateur du Canada

Quel impact pourrait avoir l’élection de Pierre Poilievre à la direction conservatrice ? « Je ne tomberai pas dans votre piège, lâche le commissaire sortant en riant. J’avais regardé ce qui se passait et j’en tire des conclusions, mais ce sont des conclusions personnelles que je préfère ne pas partager. »

Il ne veut pas non plus trop s’étendre sur les allégations d’ingérence de la Chine dans la dernière campagne électorale. Au début du mois de juin, l’ex-chef conservateur Erin O’Toole a dit que son parti pourrait avoir perdu huit ou neuf sièges en raison des actions de Pékin. Et il y a quelques jours, La Presse Canadienne rapportait que des activités suspicieuses du Parti communiste ont été observées sur le réseau social chinois Douyin.

« Nous ne commentons jamais sur les enquêtes que nous pouvons avoir lancées ou pas. Mais plus généralement, je dirai que le Canada, comme bien d’autres pays, n’est pas à l’abri de tentatives par des pays ayant des vues différentes de [faire de l’ingérence] au Canada – et les gens qui pensent qu’on est à l’abri sont dans l’erreur », indique-t-il.

Protection des renseignements personnels

Avant de finir ses boîtes, Yves Côté (re)donne un devoir aux partis fédéraux : procéder à une réforme de la manière dont ils gèrent les renseignements personnels.

À l’heure actuelle, même si les formations doivent élaborer une politique à ce sujet, rien dans la Loi électorale du Canada ne dit quel type de protection elles doivent offrir – une situation que dénoncent depuis des années le commissaire, l’ancien commissaire à la protection de la vie privée Daniel Therrien et le DGE du Canada, Stéphane Perrault.

« Il est temps que le Parlement agisse. Si vous voulez que les Canadiens maintiennent leur confiance dans les partis politiques, dans la manière dont ça se passe, un des gestes que vous pourriez, devriez poser est de répondre à leurs attentes et adopter un régime minimalement contraignant », souligne Yves Côté.

En août, il cédera sa place à Caroline Simard, anciennement au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.