(Ottawa) Le Canada sera-t-il en mesure de remplacer sa flotte vieillissante de CF-18 avant qu’ils ne doivent être envoyés à la casse à compter de 2032 en misant sur le modèle F-35 de Lockheed Martin, comme prévoit le faire le gouvernement Trudeau ?

Des doutes sont de plus en plus soulevés à ce sujet au moment même où des négociations ont lieu entre de hauts fonctionnaires de Services publics et Approvisionnement Canada et des représentants de Lockheed Martin afin de conclure une entente formelle pour l’acquisition de 88 avions furtifs F-35 à un coût prévu de 19 milliards de dollars.

En mars, la titulaire de ce ministère, Filomena Tassi, a précisé que le Canada devait commencer à recevoir les premiers appareils à compter de 2025 si les pourparlers débouchaient sur une entente avec Lockheed Martin. Les derniers avions doivent être livrés au plus tard à la fin de l’année 2031. Ottawa se donne jusqu’en décembre pour conclure une entente formelle.

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La ministre de Services publics et Approvisionnement Canada, Filomena Tassi

Or, des documents du Ministère indiquent un calendrier plus large. Le Canada exige que les neuf premiers appareils soient livrés « pas plus tôt que le 1er décembre 2025 et pas plus tard que le 1er décembre 2027 ».

Autre élément qui alimente les doutes : le modèle d’avion F-35 (Block 4) que souhaite acquérir le Canada nécessite la construction d’un nouvel engin qui n’est pas encore prêt. On estime que cela pourrait prendre jusqu’à quatre ans avant qu’il soit mis au point.

« Quand on dit que cela va prendre quatre ans, cela veut dire en réalité au moins six ans. Il y a toujours des délais dans la production », a soutenu une source de l’industrie militaire qui travaille depuis plus de 20 ans dans le secteur.

En avril, l’organisme de surveillance des dépenses du gouvernement américain, le Government Accountability Office (GAO), a soutenu que des retards étaient à prévoir dans les tests de fonctionnement qui devaient être réalisés avant que l’on puisse obtenir une production à plein régime du F-35.

Selon le GAO, il reste encore des centaines de problèmes à résoudre sur les appareils avant qu’ils ne soient conformes aux exigences. « Plus il y a d’avions produits et livrés avant de résoudre les problèmes, plus il est probable que le programme doive moderniser les avions, aux frais du gouvernement », a affirmé le GAO dans son rapport.

Pourtant, la nécessité de respecter le calendrier d’acquisition du gouvernement fédéral faisait partie de l’évaluation des soumissions de Lockheed Martin et de son concurrent, le Gripen de la société suédoise Saab.

Lockheed Martin a refusé cette semaine de commenter les possibles délais de livraison des avions. « Nous avons hâte de continuer notre partenariat avec l’industrie canadienne pour produire et soutenir le F-35 », s’est contenté de dire la société américaine.

Délais garantis et coûts moindres pour le Gripen

Interrogé à ce sujet, le directeur adjoint de Gripen pour le Canada, Anders Hakansson, a affirmé que la société suédoise n’aurait aucune difficulté à respecter le calendrier de livraison établi par Ottawa.

« L’offre de Saab répond à la fois aux exigences de livraison et aux exigences opérationnelles spécifiées par le gouvernement du Canada. L’offre de Saab donne des garanties en ce qui concerne la livraison des appareils, la formation et le transfert de technologie dans les délais que le Canada a cités comme étant des exigences obligatoires du soumissionnaire retenu », a-t-il fait savoir dans une déclaration à La Presse.

Les coûts élevés d’exploitation et d’entretien des avions de combat de Lockheed Martin font aussi sourciller, même au Pentagone. Ces coûts s’élèvent actuellement à environ 30 000 $ par heure de vol, soit presque trois fois plus que ceux du Gripen (13 000 $).

« Saab a fourni un prix fixe dans la soumission au gouvernement du Canada, offrant au contribuable canadien une prévisibilité dans l’approvisionnement. Pas de surprise budgétaire. […] Saab était le seul soumissionnaire admissible à prendre un engagement fixe sur le prix », a pour sa part soutenu Patrick Palmer, vice-président exécutif de Saab Canada.

Le printemps dernier, trois avions de chasse étaient toujours en lice pour remplacer les CF-18 vieillissants. Mais en décembre, le cabinet a discrètement décidé d’écarter le Super Hornet de Boeing, ce qui laissait deux options : le Gripen de Saab et le F-35 de Lockheed Martin.

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Gripen de Saab

Le gouvernement Trudeau a finalement jeté son dévolu sur le F-35 au printemps, même si les libéraux avaient fait campagne contre l’achat de cet appareil en 2015.

Jusqu’ici, quelque 780 avions F-35 ont été livrés aux Forces armées des États-Unis et à des pays alliés qui participent au programme de développement de l’appareil. Le Canada participe à ce programme depuis le début et y a investi quelque 600 millions US jusqu’ici.