(Ottawa) Le gouvernement de Justin Trudeau propose des changements au Code criminel présentés comme étant la meilleure façon de colmater la brèche ouverte par un récent jugement de la Cour suprême permettant d’invoquer, dans l’immédiat, l’intoxication volontaire extrême en défense de personnes accusées de certains crimes violents.

Le ministre de la Justice, David Lametti, a déposé vendredi le projet de loi C-28 en ce sens.

« Ces modifications favorisent la sécurité publique et responsabilisent les délinquants (en plus de respecter) la Charte », a-t-il dit d’emblée en point de presse.

Accompagné par la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Marci Ien, présente virtuellement, il a indiqué que l’intention d’Ottawa était de « fermer la porte tout de suite » ou le plus rapidement possible à la « lacune » temporairement créée par la décision du plus haut tribunal au pays.

Le jugement, rendu de façon unanime le mois dernier, a invalidé l’article 33.1 du Code criminel empêchant de plaider l’état d’intoxication extrême en défendant une personne accusée de certaines infractions de nature violente.

Si elle a décrété que la disposition telle que rédigée était inconstitutionnelle, la Cour suprême a invité le Parlement, dans son rôle de législateur, à trouver des solutions de rechange « plus équitables pour l’accusé » tout en permettant « d’atteindre certains de (ses) objectifs, sinon tous » en matière de protection des victimes.

« La protection des victimes de crimes violents – surtout à la lumière du droit à l’égalité et à la dignité des femmes et des enfants qui sont susceptibles d’être victimes de violences sexuelles et familiales aux mains de personnes intoxiquées – constitue un objectif social urgent et réel », peut-on lire dans le jugement.

M. Lametti a soutenu que le projet de loi C-28 était la voie à suivre, après consultation de divers intervenants et experts, pour clarifier la « portée » jugée « trop vaste » de l’article 33.1.

Le gouvernement Trudeau juxtapose la notion d’absence de négligence criminelle à celle d’intoxication volontaire extrême pour que la disposition puisse être invoquée avec succès devant les tribunaux.

« Si vous choisissez de consommer des substances intoxicantes-dont de prendre de la drogue ou de la mélanger avec de l’alcool –[…] alors que vous être en mesure de prévoir qu’il y a un risque de perdre le contrôle et de devenir violent et que c’est ce qui se produit, vous pourriez être (tenus) criminellement responsable », a résumé le ministre.

L’article 33.1 empêchait jusqu’à tout récemment l’utilisation en défense de l’automatisme⁠ – un état d’intoxication extrême au point où la personne accusée a perdu le contrôle d’elle-même. L’accusé n’avait pas à faire la preuve qu’il n’avait commis aucune négligence criminelle en s’intoxiquant à un point tel, élément qui s’ajouterait si C-28 est adopté.

L’interdictioninvalidéeest prévue dans les cas d’accusations de crimes impliquant des infractions de voies de fait ou portant atteinte à l’intégrité physique d’autrui, ce qui continuerait d’être le cas dans sa nouvelle mouture proposée par le gouvernement Trudeau.

Le juge Nicholas Kasirer, qui a rédigé la décision de la Cour suprême, a écrit que l’article tel que conçu à l’origine viole la Charte canadienne des droits et libertés parce que la décision d’une personne de devenir ivre ne signifie pas qu’elle avait l’intention de commettre une infraction avec violence.

Il a aussi ajouté que cela fait en sorte qu’un accusé pourrait être déclaré coupable sans que la poursuite ait eu à démontrer qu’il avait l’intention de commettre l’infraction à laquelle il fait face

Les ministres Lametti et Ien ont répété à plusieurs reprises, vendredi, avoir constaté des informations fausses circulant sur le web voulant que le viol soit devenu légal au Canada lorsque le contrevenant est intoxiqué.

Rectifiant le tir, Mme Ien a soutenu qu’elle avait dû avoir une discussion sur ce sujet avec sa fille de 17 ans.

« Cette désinformation et parfois intentionnelle (découlant) d’une couverture de style alarmiste s’accompagne de conséquences très, très, très sérieuses pour les femmes partout au pays en s’ajoutant à la stigmatisation à laquelle font déjà face les survivantes d’actes de violence fondée sur le sexe », a tonné la ministre.

M. Lametti a affirmé avoir espoir que des discussions déjà amorcées avec des membres des partis d’opposition ainsi que des sénateurs permettront une adoption prompte du projet de loi.

« Ils se sont montrés ouverts à aller (de l’avant) rapidement, donc nous espérons qu’on pourra pousser la semaine prochaine », a-t-il dit alors qu’il est prévu que la Chambre des communes ajourne ses travaux pour une longue pause estivale le 23 juin.

Déjà son collègue Mark Holland, leader parlementaire du gouvernement, a signalé jeudi que les libéraux allaient « se concentrer à trouver une façon » d’arriver à une adoption accélérée.