(Ottawa) Bien qu’il comporte de grandes avancées, le projet de loi C-13 peut ralentir le déclin du français au Canada, mais il ne réussira pas à arrêter, estime l’économiste Mario Polèse. Pour atteindre son objectif, le gouvernement doit se détacher d’un principe qui était cher à Trudeau père.

« Ce projet de loi ne réussit pas à se libérer de ce vieux concept à la naissance d’égalité des deux langues, explique-t-il en entrevue. C’est ça que Pierre Elliott Trudeau essayait d’établir et à l’époque c’était révolutionnaire. Il faut bien se rappeler que jusqu’en 1969, les deux langues n’avaient pas de statut égal au Canada. »

Dans une étude réalisée pour l’Institut de recherche en politiques publiques, l’économiste propose une série de modifications au projet de loi C-13 pour moderniser la Loi sur les langues officielles. Le « rôle central » du Québec et le « rôle particulier » de l’Acadie dans la préservation du français au Canada doivent être reconnus dans cette lésiglation, selon lui.

« Aujourd’hui, l’égalité entre des deux langues ne suffit plus parce que les deux langues ne sont pas égales dans leur force d’attraction et dans leur importance, point à la ligne, constate-t-il. Donc, il faut accepter que si on veut que le français reste, surtout en dehors du Québec, une langue vraiment vivante, importance, il faut accepter de donner de la prédominance au français. »

Il suggère de rebaptiser les « régions à forte présence francophone », un terme inscrit dans le projet de loi C-13, « zones prioritaires francophones » où il y aurait des mesures de protection de la langue. Par exemple, les institutions fédérales et les entreprises de compétence fédérale comme les banques pourraient avoir l’obligation d’utiliser le français comme langue de travail dans les municipalités avec une population francophone dépassant 50 %.

« Ce n’est pas seulement une question de droit, c’est une question aussi de sécurité linguistique, soutient-il. Actuellement, même avec les meilleures intentions cette loi n’assure pas aux Acadiens une sécurité linguistique. Elle dit oui individuellement, l’Acadien à Shippagan ou à Chéticamp a le droit d’être servi en français, mais ce n’est pas suffisant pour assurer une sécurité linguistique pour la communauté. »

Il cite l’exemple de la Suisse où les droits linguistiques sont liés à des territoires donnés. « Il y avait des parents francophones à Zurich, un canton germanophone, qui avec leur propre argent ont ouvert une école primaire francophone pour leurs enfants et le canton de Zurich est allé en cour pour dire “non, ce n’est pas permis” parce que dans ce canton la langue c’est l’allemand, raconte-t-il. Le canton a eu gain de cause et l’école a dû fermer même si c’était une école privée. »

Introduire un tel concept de territorialité au Canada permettrait de désigner des zones où le français aurait prédominance, avance-t-il.

Dans une entrevue à La Presse lundi, la ministre Ginette Petitpas Taylor a dit vouloir s’assurer que le français puisse devenir la langue de travail dans les entreprises de compétence fédérale situées dans les régions à forte présence francophone. La définition de ces régions devra être définie par règlement après l’adoption du projet de loi.

Le projet de loi C-13 est présentement à l’étude en comité parlementaire. Le Bloc québécois considère qu’il ne va pas assez loin. Il demande que la Charte de la langue française, qui fait du français la « seule langue officielle » et « commune » du Québec soit la seule législation applicable pour la langue de travail dans les entreprises de compétence fédérale de la province. Mario Polèse estime qu’Ottawa aurait tout intérêt à harmoniser sa loi avec celle du Québec pour s’assurer qu’elles soient compatibles.