(Ottawa) Québec et Ottawa partagent le même objectif de protéger la langue française, mais il y a plus d’une façon d’y parvenir, soutient la ministre Ginette Petitpas Taylor en entrevue. Elle jure que sa réforme de la Loi sur les langues officielles « est très semblable, quasiment copie carbone » de la loi 96 au Québec pour les entreprises de compétence fédérale.

Le projet de loi C-13 reconnaît que le français est la langue officielle du Québec, mais pas qu’il est sa « seule langue officielle » et « commune », comme le stipule la réforme de la Charte de la langue française adoptée le 24 mai par le gouvernement de François Legault.

Dans une démarche rarement vue à Ottawa de la part d’un gouvernement provincial, Québec a soumis la semaine dernière 16 propositions d’amendements à la réforme de cette législation sur le bilinguisme canadien. En plus de faire reconnaître le français comme « seule » langue officielle et commune sur le territoire québécois, il introduit aussi le concept de la prédominance du français par rapport à l’anglais.

Soyons très clairs, la seule langue minoritaire au Canada, c’est le français. Point final.

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

Son bureau, où elle reçoit La Presse, donne une vue magnifique sur la rivière des Outaouais, qui sépare le Québec et l’Ontario.

Joindre le geste à la parole

Son désir de défendre le français ne l’empêche pas de défendre la décision de son gouvernement de nommer une gouverneure générale qui ne maîtrise pas le français. Mary Simon « suit des cours en français ». Ou celle de porter en appel le jugement de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick sur la nomination d’une unilingue anglophone comme lieutenant-gouverneur pour clarifier « des enjeux constitutionnels ».

On reconnaît que le français est en déclin en Amérique du Nord, on reconnaît que le français est en déclin au Canada, y compris au Québec.

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

« Notre objectif, c’est vraiment de tout faire pour protéger et promouvoir notre langue. On a tous les deux les mêmes objectifs, mais je pense que notre vision est différente de comment s’y rendre. »

Elle précise qu’il reviendra au comité parlementaire des langues officielles d’analyser tous les amendements suggérés, mais on devine au fil de l’entrevue que certaines de ces propositions ont peu de chances d’être intégrées au projet de loi C-13.

Protéger toutes les minorités

Ginette Petitpas Taylor est née à Dieppe, au Nouveau-Brunswick. Elle rappelle inlassablement lorsqu’elle est questionnée par le Bloc québécois sur sa réforme en chambre qu’en tant qu’Acadienne, elle sait à quel point la protection du français est importante. « Pour moi, c’est une priorité de m’assurer que ça va se faire dans tout le pays », dit-elle.

Mais aussi comme ministre fédérale, c’est une partie de mon rôle aussi de m’assurer qu’on va tout faire pour protéger les communautés de langues officielles en situation minoritaire, [ce qui] inclut les Québécois d’expression anglaise.

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

La nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles reconnaît le besoin d’épanouissement de la minorité anglophone au Québec et de protéger ses institutions. La présidente du Quebec Community Groups Network, Marlene Jennings, a demandé aux élus la semaine dernière d’y enlever toute mention de la Charte de la langue française. Elle craint les répercussions négatives d’un régime à deux vitesses sur sa communauté.

Mieux encadrer les entreprises privées

Le projet de loi C-13 reconnaît le droit pour les Québécois de travailler en français dans les entreprises de compétence fédérale comme les banques ou les sociétés de télécommunications. « Les entreprises privées de compétence fédérale vont avoir le choix d’être assujetties à notre loi ou la loi du Québec, mais les lois sont quasiment semblables », soutient-elle.

Le Bloc québécois demande que la Charte de la langue française soit la seule loi applicable afin d’éviter que des entreprises choisissent la législation fédérale pour éviter de s’y conformer.

Des employés du Canadien National (CN) se sont plaints à La Presse que l’anglais a préséance sur le français dans leur milieu de travail au Québec. C’est sans compter la tempête linguistique soulevée par le président-directeur général d’Air Canada, Michael Rousseau, en novembre dernier.

« On parle dans notre nouvelle loi que les entreprises privées de compétence fédérale au Québec, les employés vont travailler en français et la clientèle va se faire servir en français, explique Mme Petitpas Taylor. Mais dans les régions à forte présence francophone à l’extérieur du Québec, on veut s’assurer que cette même réalité va s’appliquer. »

La définition d’une région à forte présence francophone restera à être déterminée par règlement après l’adoption du projet de loi C-13. La ministre a accusé lundi les partis de l’opposition de faire de l’obstruction pour empêcher une adoption rapide de sa réforme. Le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique se sont opposés la semaine dernière à une motion du député libéral Francis Drouin pour limiter les débats sur les amendements lors de l’étude article par article du projet de loi en comité.

L’un des amendements du Québec vise à faire en sorte que les futurs dirigeants des sociétés soumises à la Loi sur les langues officielles, comme Air Canada, parlent et comprennent « clairement le français ».