À quelques semaines de son départ, dans une entrevue bilan avec La Presse, la présidente sortante du Conseil supérieur de l’éducation, Maryse Lassonde, souhaiterait que le gouvernement écoute davantage les recommandations de ses propres experts

(Québec) L’enjeu a fait grand bruit au cours du printemps. Le gouvernement Legault impose désormais un délai de six mois aux nouveaux arrivants pour qu’ils apprennent le français. Après quoi, l’État cessera (sauf exception) de communiquer avec eux en anglais. Mais six mois, est-ce suffisant ?

La présidente sortante du Conseil supérieur de l’éducation, Maryse Lassonde, croit que non. En fait, elle en a la certitude, et elle l’a dit au gouvernement. En vain.

À la tête d’une instance qui est issue de la Révolution tranquille, créée en 1964 par Québec après le dépôt du rapport de la commission Parent sur l’enseignement, elle a même prévenu le ministre responsable de la réforme de la loi 101, Simon Jolin-Barrette, que ce délai était trop court.

Pour apprendre dans les cours de francisation, dans le meilleur des mondes, c’est un an. Et ça, c’est un minimum.

Maryse Lassonde, présidente sortante du Conseil supérieur de l’éducation

Voilà, selon Mme Lassonde, un exemple concret où le Conseil – dont la mission est de conseiller (et d’influencer) le gouvernement sur l’état et les besoins de l’éducation – n’est pas parvenu à faire passer son message. « Nos avis, ce que je réalise, c’est que ça peut prendre plusieurs années avant que ça puisse entrer dans l’opérationnalisation de la machine [gouvernementale] », constate-t-elle.

Elle souhaite que son successeur développe davantage de liens avec les autres ministères que ceux de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.

Des problèmes connus 

Maryse Lassonde, spécialiste de la neuropsychologie de l’enfant, professeure émérite au département de psychologie de l’Université de Montréal, sort de son mandat à la tête du Conseil supérieur de l’éducation avec une certitude : le gouvernement doit rendre le système plus flexible et s’attaquer, plus tôt que tard, aux conséquences de séparer les élèves du secondaire entre le public « régulier », le public enrichi et le réseau privé. Des enjeux qui pourraient alimenter le débat, à quelques mois des prochaines élections.

« Des études ont démontré que seulement 15 % de ceux qui sortent du public “régulier” vont accéder à l’université. La proportion est de 51 % [pour les finissants] du public enrichi et au-dessus de 60 % dans le privé. […] Ce n’est pas normal. Il faut s’attaquer à ce problème-là pour qu’il y ait une égalité des chances », dénonce-t-elle.

Mme Lassonde pense également que le parcours scolaire au secondaire est trop rigide pour les enfants. « Dès la 3e secondaire, vous décidez de choisir une matière et vos choix de carrière en seront déterminés. Mais vous êtes trop jeune pour faire ça. Il faut vraiment qu’il y ait davantage de flexibilité à tous les niveaux », déplore-t-elle.

Ce que la pandémie nous a appris 

Présidente du Conseil en pleine pandémie, Mme Lassonde affirme à son tour que la COVID-19 « a exacerbé tous les problèmes qui existaient déjà [dans le réseau de l’éducation] et qu’on dénonçait depuis plusieurs années ».

« Que ce soient les iniquités socioéconomiques, qui se reflètent dans le système d’éducation, les écoles privées se sont retournées vite avec des tablettes et de l’enseignement à distance, alors que ça a pris plus de temps aux écoles publiques pour pouvoir s’ajuster », illustre-t-elle.

Maryse Lassonde a également été surprise de l’ampleur de la crise en santé mentale dans les écoles du Québec. « Les chiffres étaient aberrants. [Des] enfants du primaire qui souffraient de détresse, d’anxiété, des enfants qui prenaient trois médicaments au primaire, antidépresseur, anxiolytique ou autres. »

Pour moi, ç’a été un choc.

Maryse Lassonde, à propos des chiffres sur la santé mentale des élèves

« Je ne peux pas blâmer le système éducatif québécois seulement. C’est un fait mondial. Ce qui est arrivé chez nous est arrivé ailleurs. Mais on veut rendre le système plus résilient, plus résistant puisque ça risque d’arriver encore. C’est important de reconnaître les faiblesses et d’y faire face le plus rapidement possible », poursuit Mme Lassonde.

Un départ sur fond d’inquiétude 

Au moment de quitter le Conseil supérieur de l’éducation, Maryse Lassonde s’inquiète de la montée en force des groupes qui remettent en question les principes d’inclusion, d’équité et de diversité dans le monde universitaire. Ce printemps, le cas d’un poste pour une Chaire de recherche du Canada, où l’offre d’emploi stipulait que seuls les candidats issus de la diversité, d’une nation autochtone, ayant un handicap et les femmes seraient appelés en entrevue, a suscité plusieurs critiques.

« Vous savez qu’à l’heure actuelle, au Québec, il n’y a que le tiers des professeurs universitaires qui sont des femmes ? À l’heure actuelle, et pour le même groupe d’âge. Ce n’est pas une question de génération. Donc il y a encore un problème », rappelle Mme Lassonde.

« Ce n’est pas parce qu’on ne veut plus d’hommes. Les hommes, ils seront encore là. Ils sont les deux tiers là dans les universités », ajoute-t-elle.