(Ottawa ) Le gouvernement Trudeau écarte l’idée de profiter de sa vaste réforme de la Loi sur les langues officielles pour accélérer la traduction de 22 textes de la Constitution canadienne qui sont seulement en anglais.

Ces textes n’ont pas été formellement traduits et incorporés dans la loi fondamentale du pays, même si le ministère de la Justice s’était engagé à le faire dans les plus brefs délais en… 1982, lors du rapatriement de la Constitution.

Résultat : 40 ans plus tard, seule la version anglaise de la Loi constitutionnelle de 1867 a force de loi devant les tribunaux.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, affirme que ce dossier est du ressort du ministère de la Justice et que le projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles, qui doit être adopté d’ici la fin de la session, n’est pas un moyen adéquat pour y parvenir.

« Le gouvernement du Canada reconnaît que les langues officielles sont une composante fondamentale de notre identité et un symbole fort d’une société diverse et inclusive », a indiqué l’attachée de presse de la ministre Petitpas Taylor, Marianne Blondin, dans une déclaration à La Presse.

« Le devoir de préparer et de faire adopter une version française des lois constitutionnelles qui ne sont pas encore officielles dans cette langue a fait l’objet de beaucoup de travail, au fil des années, par le ministère de la Justice du Canada. Nous reconnaissons que la traduction des textes est essentielle et c’est pourquoi les efforts pour conférer à la version française un statut officiel sont en cours », a-t-elle ajouté.

Un amendement constitutionnel nécessaire

À l’heure actuelle, la version française de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est qu’une traduction donnée à titre documentaire. La raison : la version officielle de cette loi a été adoptée par le Parlement du Royaume-Uni en anglais seulement.

Le ministère de la Justice a préparé une version française des textes constitutionnels, en s’appuyant sur les travaux d’un comité d’experts constitutionnels qui avait été créé en 1984. Ils ont été déposés à la Chambre des communes et au Sénat en 1990.

Le hic, c’est qu’un amendement constitutionnel est nécessaire pour que la version française soit enchâssée. Et cet amendement doit être approuvé non seulement par la Chambre des communes et le Sénat, mais par l’ensemble des provinces, selon certains experts.

Depuis 1997, peu d’efforts ont été faits pour convaincre les provinces de l’adopter, notamment dans la foulée de l’échec de deux accords constitutionnels (Meech en 1990 et Charlottetown en 1992) et du référendum de 1995 au Québec.

« Ça exige une modification constitutionnelle à l’unanimité. C’est essentiellement pour cela que ça n’a pas été fait. Ça vient aussi excuser Ottawa d’une certaine façon », a expliqué Benoit Pelletier, ancien ministre des Affaires gouvernementales canadiennes du Québec et expert constitutionnel.

Des conséquences concrètes

En 2018, l’Association du Barreau canadien avait recommandé au gouvernement Trudeau d’inclure un article dans la nouvelle Loi sur les langues officielles demandant au ministre de la Justice de soumettre, tous les cinq ans, un rapport détaillant les efforts déployés pour mettre en œuvre l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Cet article dit justement que le « ministre de la Justice du Canada est chargé de rédiger, dans les meilleurs délais, la version française des parties de la Constitution du Canada qui figurent à l’annexe [de cette loi] ».

Selon l’Association du Barreau canadien, l’absence d’une version officielle française n’est pas sans conséquence. Entre autres choses, cela « a des impacts pratiques sur le développement du droit et dévalorise la participation des juristes et justiciables d’expression française aux débats sur l’interprétation des textes juridiques les plus fondamentaux à notre société ».

Le sénateur Pierre Dalphond mène une croisade depuis quelques mois afin de convaincre le gouvernement Trudeau de redoubler d’efforts pour s’assurer que la traduction française de la Loi constitutionnelle de 1867 soit adoptée. Et il a repris à son compte la proposition de l’Association du Barreau canadien.

M. Dalphond, qui a notamment été juge à la Cour d’appel du Québec, n’a pas donné suite aux messages de La Presse. Mais dans un discours prononcé à la Chambre haute, en décembre dernier, il décrivait cette situation comme « une source de gêne, particulièrement pour les fédéralistes qui vivent au Québec ».

« Même si les Canadiens d’expression française ont le droit constitutionnel de s’appuyer sur la version française de toutes les lois fédérales ordinaires, ils ne peuvent pas exercer ce droit fondamental à l’égard de presque tous les textes constitutionnels du Canada, et ce, même si le pays est officiellement bilingue depuis 1968 », avait-il déclaré.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse