(Ottawa) « Un cauchemar pour de nombreux progressistes-conservateurs », « une invitation à plonger dans l’abîme »… Les journaux ontariens étaient loin d’être tendres envers Doug Ford, lorsqu’il s’était soudainement lancé dans la course pour devenir chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario en janvier 2018 après le départ précipité de Patrick Brown. C’était moins de six mois avant les élections qui allaient faire de lui le premier ministre de la province la plus populeuse du pays. Il s’est assagi et tente maintenant d’obtenir un deuxième mandat. Comment ce batailleur a-t-il fini par laisser tomber ses gants de boxe ?

Anti-élite et populiste, il s’était lancé en campagne électorale en promettant de réduire à 1 $ le prix d’une bouteille de bière. Une fois élu, il a pourfendu la tarification du carbone imposée par le gouvernement de Justin Trudeau et s’est retrouvé à la une du Maclean’s avec quatre autres chefs conservateurs surnommés la « résistance » par le magazine. Quatre ans plus tard, le changement de ton est surprenant.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

Doug Ford lors d’un rassemblement de campagne à Etobicoke, le 4 mai dernier

« Je mets toutes ces allégeances politiques de côté », a-t-il affirmé au début du mois lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre Justin Trudeau où les félicitations pleuvaient. « Nous avons si bien travaillé ensemble tout au long de la pandémie, les trois ordres de gouvernement, et c’est ce à quoi les gens s’attendent. »

Le lendemain, Ford allait rencontrer le lieutenant-gouverneur général de l’Ontario pour se lancer en campagne électorale.

Doug Ford et son frère Rob étaient connus pour leur style combatif au conseil municipal de Toronto où ils ont siégé ensemble de 2010 à 2014. Doug était conseiller municipal et Rob, maire de la Ville Reine, s’est empêtré dans un scandale après la publication d’une vidéo le montrant en train de fumer du crack. Il est mort d’un cancer quelques années plus tard, en 2016.

Les gens n’ont pas tardé à faire l’association entre Doug et son frère lorsqu’il s’est lancé en politique provinciale, rappelle Geneviève Tellier, professeure de sciences politiques à l’Université d’Ottawa. « Il était bagarreur au conseil municipal et on disait : “Il n’a pas d’expérience”, “il arrive sans avoir vraiment d’idées, à part s’attaquer au gouvernement”. C’était sa ligne de conduite. La taille de l’État est trop grosse, il faut couper. »

PHOTO LARS HAGBERG, LA PRESSE CANADIENNE

Au début de son mandat, en 2018, Doug Ford a rempli une de ses promesses électorales, soit réduire à 1 $ le prix minimum d’une bouteille ou d’une canette de bière.

Première année tumultueuse

Ses 12 premiers mois au pouvoir ont été houleux. Nominations partisanes, réduction de la taille du conseil municipal de Toronto, réforme de la santé, coupes en éducation, dans les services en français, attaques contre les syndicats : le gouvernement Ford s’est mis à dos plusieurs groupes, dont les parents d’enfants autistes qui cessaient d’être admissibles aux subventions.

« Ça a fait beaucoup la manchette, note Geneviève Tellier. Les parents n’étaient pas contents et beaucoup d’entre eux qui avaient voté pour Ford le regrettaient. »

Après un an au pouvoir, les sondages étaient catastrophiques. Moins du tiers des Ontariens étaient satisfaits, ce qui faisait de Doug Ford l’un des premiers ministres les plus impopulaires au pays. Un électrochoc.

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Partisan de Doug Ford lors d’un rassemblement électoral à Etobicoke au début du mois

Il a fait volte-face à plusieurs reprises, a remanié son conseil des ministres et a accepté la démission de son chef de cabinet à qui il devait certaines nominations partisanes.

« Le départ de son chef de cabinet, Dean French, a eu beaucoup à voir avec ce changement de tempérament qu’on a vu de la part du premier ministre », fait remarquer Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada.

La pandémie

En avril 2020, le Toronto Star publiait un article sur la nouvelle amitié entre Doug Ford et la vice-première ministre fédérale Chrystia Freeland, qui étaient à couteaux tirés quelques mois plus tôt. À Ottawa, on a fini par trouver une façon de travailler avec le gouvernement Ford. Le premier ministre a été le dernier de la fédération à accepter le programme de garderies d’Ottawa… quelques semaines avant le début de la campagne électorale.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La pandémie a frappé alors que Doug Ford était au pouvoir depuis moins de deux ans.

« Ça n’a pas été une période normale au gouvernement durant la pandémie », confie une source au sein du bureau du premier ministre Justin Trudeau qui n’était pas autorisée à parler publiquement. « Ça a obligé tous les dirigeants du pays – en particulier ceux qui ont des responsabilités en matière de soins de santé – à vraiment réexaminer ce qu’ils font et à essayer de comprendre comment gérer ça. »

La gestion de la pandémie a révélé un Doug Ford qu’on ne soupçonnait pas et a démontré que si une autre crise arrivait, il serait capable d’y faire face.

Geneviève Tellier, professeure de sciences politiques à l’Université d’Ottawa

Une source qui a assisté aux appels entre Ottawa et les provinces durant ces deux années pandémiques le décrit comme quelqu’un de constructif. « Il était toujours en train de trouver un consensus », relate-t-elle. « Je ne l’ai pas vu se fâcher au point d’engueuler quelqu’un. » Elle le décrit comme un « gars de terrain » qui est « facile d’accès ».

« Il a compris certains enjeux qu’il ne connaissait pas avant parce que son univers se limitait à Toronto, souligne Geneviève Tellier. Il a compris la fédération, il a compris que c’est tout à l’avantage de l’Ontario d’avoir un Canada fort parce que ce qui est bon pour le fédéral, c’est bon pour l’Ontario. »

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Cette photo de François Legault et de Doug Ford assis à moins de deux mètres l’un de l’autre en septembre 2020 leur a attiré bien des critiques.

À Québec, on décrit des relations très amicales entre le premier ministre François Legault et Doug Ford, comme en a fait foi la photo croquée en septembre 2020 où on les voit en train de boire une bière sur la terrasse du premier ministre ontarien. Cette photo avait soulevé la controverse à l’époque, alors que des mesures sanitaires strictes étaient appliquées.

« On a souvent des circonstances similaires », fait remarquer une source dans l’entourage de M. Legault. Les deux hommes sont souvent en contact, s’envoient des textos, aiment se taquiner sur le hockey. « Les deux sont assez semblables. Ce sont des gens directs. » Et pragmatiques.

PHOTO NICOLE OSBORNE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Doug Ford lors d’un point de presse à Kitchener, jeudi dernier

Vers un deuxième mandat ?

Doug Ford demeure un adversaire de taille pour les chefs des autres partis. Les sondages lui donnent une avance confortable sur Steven Del Duca du Parti libéral de l’Ontario et Andrea Horwath du Nouveau Parti démocratique (NPD). Le chef du Parti vert, Mike Schreiner, est loin derrière. À la dissolution de l’Assemblée législative le 3 mai, les progressistes-conservateurs détenaient 67 sièges – il en faut 63 pour avoir la majorité. Le NPD formait l’opposition officielle avec 38 députés, les libéraux n’avaient que 7 élus, un nombre insuffisant pour obtenir le statut de parti officiel, et Mike Schreiner était le seul député du Parti vert. Le Nouveau Parti bleu, qui s’inscrit dans la mouvance du Parti populaire de Maxime Bernier, comptait également une députée qui avait claqué la porte du Parti progressiste-conservateur. Sept députés s’identifiaient comme indépendants et trois sièges étaient vacants. L’Assemblée législative de l’Ontario compte au total 124 sièges. Le vote aura lieu le 2 juin.