(Ottawa) Les attaques ont été cinglantes. Et les ripostes ont été tout aussi percutantes. Pierre Poilievre et Jean Charest ont jeté les gants dès les premières minutes du débat auquel ont participé jeudi soir cinq des six candidats qui briguent la direction du Parti conservateur.

La virulence des attaques était telle qu’un des aspirants, le député conservateur Scott Aitchison, a passé une partie de la soirée à lancer un appel à la retenue. « Nous pouvons être en désaccord sans être désagréables », a-t-il notamment affirmé vers la fin du débat.

Le ton a été donné quand Pierre Poilievre, qui est considéré comme le meneur de cette course, est monté sur la scène après Jean Charest sans lui serrer la main. Il a par la suite pris la peine de serrer celle des autres candidats.

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Pierre Poilievre est monté sur scène sans serrer la main de Jean Charest.

Le convoi des camionneurs, l’unité nationale, la contestation judiciaire de la loi 21 sur la laïcité de l’État au Québec, la construction de pipelines, le rôle du secteur privé dans le système de soins de santé au pays et l’avenir de CBC/Radio-Canada sont autant de sujets qui ont été abordés durant ce débat de 90 minutes organisé par le Canada Strong and Free Network, groupe de réflexion de droite anciennement connu sous le nom de Manning Centre.

Sur plusieurs des sujets abordés, Pierre Poilievre et Jean Charest ont échangé les coups et ont pratiquement ignoré les trois autres participants.

Tandis qu’il répondait à une question des animateurs au sujet des insuccès du Parti conservateur dirigé par Erin O’Toole, aux dernières élections fédérales, Pierre Poilievre s’est lancé dans une tirade contre le bilan de Jean Charest lorsqu’il était premier ministre du Québec. Il l’a de nouveau accusé d’être un libéral du même acabit que Justin Trudeau, d’avoir augmenté les taxes au Québec et d’avoir mené un gouvernement corrompu.

« Je veux prendre un moment pour réfuter une fois pour toutes que je suis un libéral, a dit Jean Charest, ajoutant que son gouvernement avait réduit les impôts et fait le ménage dans les finances publiques au Québec.

Je me suis battu durant le référendum de 1995. Et je suis dans cette course parce que je crois en l’unité du pays. Croyez-moi, si j’ai combattu les séparatistes, ce n’est pas ce gars ici sur la scène qui va m’intimider.

Jean Charest

« Monsieur Charest, vous pouvez essayer de nier votre bilan tant que vous voulez, mais c’est cela, la réalité. […] Je suis un vrai conservateur qui a défendu les mêmes choses toute sa vie. Je ne suis pas en train de mettre temporairement une chemise bleue pour cacher une chemise rouge en dessous de manière à prendre le contrôle du parti », a lancé du tac au tac M. Poilievre, sous les applaudissements d’une partie de la salle.

La loi et l’ordre

Durant un segment consacré au convoi des camionneurs qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines, en février dernier, M. Poilievre a affirmé n’avoir aucun regret de les avoir appuyés. « Ma position n’a pas changé. Les camionneurs qui respectent la loi étaient en train de se battre pour leur gagne-pain », a-t-il insisté, se décrivant par la suite comme le champion des libertés.

Jean Charest, qui avait déjà affirmé il y a quelques semaines que M. Poilievre s’était disqualifié pour diriger le Parti conservateur en appuyant des manifestants qui faisaient fi de la loi et de l’ordre, a saisi la balle au bond.

Il a accusé Pierre Poilievre d’importer un style de politique à l’américaine en misant sur la division. « C’est au cœur de cette course au leadership. Nous avons un choix à faire. Les Canadiens qui nous regardent le voient aussi, ce choix. »

Soit nous allons vers la politique à l’américaine et les divisions, le clivage, les slogans et les attaques vicieuses, soit nous disons aux Canadiens ce que le Parti conservateur doit être pour devenir une véritable solution de rechange.

Jean Charest

La réplique de Pierre Poilievre a été cinglante. Il a affirmé que le Parti libéral du Québec sous Jean Charest avait accepté « un demi-million de dollars en contributions illégales ». « Il est un peu fort de votre part de parler de loi et d’ordre », a-t-il dit, évoquant par la suite le travail que Jean Charest a effectué pour le géant chinois des télécommunications Huawei.

Huawei et loi 21

Plus tard, M. Poilievre a insisté à plusieurs reprises pour savoir combien M. Charest avait été payé par cette entreprise, soupçonnée par certains alliés du Canada de se livrer à des activités d’espionnage. « Combien ? Combien ? Combien ? », a-t-il répété, interrompant sans cesse son adversaire.

« Nous ne sommes pas à une réunion d’un conseil étudiant », a fini par lancer Jean Charest, sans mordre à l’hameçon, soulignant que le gouvernement conservateur de Stephen Harper, dont faisait partie Pierre Poilievre, avait autorisé Huawei à brasser des affaires au Canada en 2012.

M. Charest a ensuite accusé M. Poilievre de tenir un double discours au sujet de la loi 21 adoptée par le gouvernement Legault.

« Pierre Poilievre a dit en français au Québec, pas ailleurs au Canada, que si ça allait devant la Cour suprême, il n’allait pas s’exprimer au nom du Canada. Alors, Pierre, cette idée de liberté, elle est vraie ou c’est un slogan ? », a lancé M. Charest.

J’ai dit que j’étais contre la loi 21 en français, en anglais.

Pierre Poilievre

Unique femme dans la course, la députée Leslyn Lewis est aussi la seule parmi les candidats à s’opposer à l’avortement. Elle a profité du débat pour reprocher à M. Poilievre de « fuir les médias » parce qu’il ne veut pas déclarer clairement s’il est « pro-vie ou pro-choix ».

Cette première joute oratoire a aussi permis au député provincial de l’Ontario Roman Baber et à Scott Aitchison de se présenter comme les candidats rassembleurs capables de mener le parti au pouvoir.

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Des six candidats dans la course à la direction du Parti conservateur, seul le maire de Brampton, Patrick Brown, a choisi de ne pas participer au débat.

Le sixième candidat de la course, le maire de Brampton, Patrick Brown, a choisi de ne pas participer au débat au motif qu’il était trop occupé à vendre des cartes de membre.

Deux débats sont aussi organisés par le parti. Le premier, en anglais, aura lieu à Edmonton le 11 mai et le deuxième, en français, se tiendra à Laval le 25 mai.