L’ex-ministre libéral Pierre Paradis voulait déduire dans sa déclaration de revenus les frais d’avocats qu’il a payés pour se défendre contre des allégations d’inconduite sexuelle en 2017. Il ne pourra pas le faire, conclut la Cour canadienne de l’impôt, qui a tranché ce litige en faveur de l’Agence du revenu du Canada (ARC).

En janvier 2017, Pierre Paradis fait l’objet d’une plainte par une ex-employée politique pour inconduite sexuelle. Il démissionne de son poste de ministre de l’Agriculture dans le gouvernement Couillard, mais reste député. Six mois plus tard, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) décide de ne pas porter d’accusations criminelles dans ce dossier, estimant ne pas être « raisonnablement convaincu de pouvoir établir la culpabilité de cette personne ». M. Paradis ne s’est pas représenté aux élections de 2018, après avoir été député libéral de Brome-Missisquoi de 1980 à 2018 (il a siégé comme député indépendant du 26 janvier 2017 au 16 août 2018, avant de réintégrer le caucus libéral).

Pierre Paradis veut déduire ses frais d’avocat de 37 055,91 $ payés « en rapport à sa défense contre les allégations » d’inconduite sexuelle portées contre lui, selon l’avis d’appel de M. Paradis à la Cour canadienne de l’impôt. Le fisc fédéral lui refuse ces déductions.

Les lois fiscales permettent aux employés/titulaires de charge (par exemple, un député) de déduire des frais d’avocat dépensés afin d’établir un droit à un salaire ou afin de se faire payer son salaire dû par son employeur. La déduction est aussi possible pour une allocation de retraite ou une prestation d’un régime de retraite.

Mais dans ce cas-ci, M. Paradis n’a pas payé ces frais d’avocat pour avoir droit à sa rémunération de député versée par l’Assemblée nationale ou pour la récupérer. Il a continué à être rémunéré comme député de l’Assemblée nationale (au moins 93 827 $ par an en 2017) pendant l’enquête policière et l’étude du dossier par le DPCP.

Son argument devant la Cour ? Sur le plan fiscal, M. Paradis dit avoir engagé ces frais d’avocat de 37 055 $ « dans le but de préserver son siège de député à l’Assemblée nationale et la rémunération qui se rattache à cette charge », écrit-il dans son avis d’appel. L’ex-ministre fait valoir que sa rémunération de député (y compris son allocation de transition) était devenue « précaire » et « incertaine » dans le contexte d’une enquête policière. S’il avait été condamné au criminel, il n’aurait pas pu être député ni toucher sa rémunération, indique-t-il. M. Paradis précise que ses frais d’avocat n’ont pas été remboursés par l’Assemblée nationale.

L’ARC s’oppose à la déduction des frais d’avocat de M. Paradis au motif qu’ils n’ont pas été engagés pour établir un droit ou recouvrer un montant qui lui était dû comme salaire ou allocation de retraite liés à sa fonction de député.

La Cour canadienne de l’impôt a rejeté le mois dernier l’appel de M. Paradis, tranchant en faveur de l’ARC. Le jugement a été rendu oralement durant l’audience. Il n’y a pas de motifs écrits.

« Aucune accusation [criminelle] n’a été portée […] après enquête », a indiqué Pierre Paradis dans une déclaration écrite envoyée par courriel à La Presse. Il précise avoir « collaboré à l’enquête, ce qui lui a occasionné des dépenses. Ces dépenses sont régulièrement remboursables par le gouvernement (ou sinon potentiellement déductibles) pour des frais de représentation si des accusations sont portées. Or, comme les frais ont été encourus sans qu’il n’y ait jamais d’accusation, la question de la déductibilité est moins claire. C’est donc en toute transparence et via les mécanismes prévus que M. Paradis a validé cet aspect avec l’autorité fiscale. Il accepte évidemment toute décision, et ne peut commenter les aspects techniques du dossier puisqu’il ne s’agit pas de sa spécialité ».

L’ARC n’a pas commenté le dossier de M. Paradis. Comme il s’agissait d’un dossier en procédure informelle, il n’y a pas d’appel possible.

Les frais d’avocat au criminel ne sont pas déductibles

Dans sa déclaration écrite envoyée à La Presse, M. Paradis estime que ses frais d’avocat auraient été « potentiellement déductibles » ou remboursés par l’Assemblée nationale si des accusations criminelles avaient été portées contre lui.

Or, les lois fiscales ne permettent généralement pas à un employé/titulaire de charge (par exemple, un député) de déduire les frais d’avocat en cas de dépôt d’accusations criminelles, estime Annick Provencher, professeure de droit fiscal à l’Université de Montréal. La déduction des frais d’avocat est limitée aux situations pour établir son droit à un salaire, une allocation de retraite ou une prestation de retraite de son employeur ou pour recouvrer ces sommes.

Cette déduction ne s’applique pas dans le contexte où un employé dit vouloir protéger son emploi face à des accusations criminelles.

Annick Provencher, professeure de droit fiscal à l’Université de Montréal

De façon générale, les frais d’avocat au criminel ne sont pas déductibles sur le plan fiscal, rappelle la professeure.

Au fil des années, le fisc a permis la déduction de frais d’avocats au criminel dans de (très) rares exceptions où un contribuable avec un revenu d’entreprise devait se défendre contre des accusations criminelles pour sauvegarder la capacité de l’entreprise de gagner un revenu.

Quant à l’autre affirmation de M. Paradis voulant que ses frais d’avocat auraient été remboursés par l’Assemblée nationale si des accusations avaient été portées, soulignons qu’en vertu de la loi, l’Assemblée nationale rembourse les frais d’avocat d’un député en matière criminelle à deux conditions : 1) il a été acquitté ou les accusations ont été retirées et 2) les accusations criminelles étaient liées à « un acte qu’il a posé ou omis de poser dans l’exercice de ses fonctions » de député. Le Bureau de l’Assemblée nationale prend la décision après avoir obtenu un avis du jurisconsulte.