L’opposition à l’Assemblée nationale dénonce à son tour l’indicateur de « ponts par million d’habitants » utilisé par le gouvernement Legault pour justifier son projet de tunnel Québec-Lévis. De simples chiffres utilisés « à titre comparatif », répond celui-ci.

« C’est un bel essai, mais les gens ne sont pas dupes. Il faudrait peut-être rappeler au gouvernement que Montréal, c’est une île. Et que d’essayer de justifier un projet de 7 milliards avec ce seul exemple, c’est de la mauvaise foi. C’est prendre le monde pour des valises », s’insurge notamment l’ancien ministre des Transports et député libéral André Fortin, en entrevue avec La Presse.

Son parti reproche à l’actuel ministre des Transports, François Bonnardel, d’inventer « des indices de mesures bidon » plutôt que de publier des « études sérieuses ».

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Le ministre des Transports du Québec, François Bonnardel, lors d’une conférence de presse pour annoncer le projet à deux tunnels pour le troisième lien.

L’indice de « ponts par million (PPM) » présenté jeudi par Québec pour justifier la nécessité de bâtir un troisième lien dans la région de Québec, à l’occasion d’une mise à jour de son projet de tunnel Québec-Lévis, a été dénoncé depuis par plusieurs experts. Ceux-ci y voient, entre autres, un indice qui « ne tient tout simplement pas la route ».

Selon l’argumentaire du gouvernement Legault, Montréal et ses 18 ponts sont largement gagnants, avec 8,7 PPM. La région métropolitaine de Québec, qui n’est pas sur une île, serait donc en déficit avec ses 2,44 PPM. Dans cette comparaison, le ministère des Transports n’inclut toutefois pas la population des villes de Longueuil, Laval ou Brossard, par exemple, mais celle de Lévis pour la région de Québec.

Lundi, son attachée de presse, Claudia Loupret, a expliqué que ces données n’étaient toutefois fournies « qu’à titre comparatif ». Une étude confidentielle datée de mars 2021 et commandée par Ottawa a déjà « clairement démontré » que Québec est mal desservi en liens interrives, et « nous sommes persuadés de la nécessité du tunnel Québec-Lévis », a-t-elle ajouté.

« Ridicule, voire fallacieux »

Chez les péquistes, le porte-parole en matière de transports, Joël Arseneau, qualifie de « ridicule, voire fallacieux » l’indicateur de PPM.

« Honnêtement, ce serait drôle et amusant s’il n’était pas question de justifier un projet de 6,5 milliards. Dans la réalité, c’est pathétique de voir le gouvernement se ridiculiser en inventant de toutes pièces un indicateur qui n’est pas éprouvé scientifiquement. La CAQ se distancie encore du consensus en refusant de faire des études appropriées pour prouver que ce troisième lien est nécessaire », fustige-t-il au bout du fil.

De surcroît, dit M. Arseneau, l’indicateur « est appliqué de façon différenciée » entre Québec et Montréal, ce qui « induit carrément la population en erreur », accuse-t-il.

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Le porte-parole en matière de transports du Parti québécois, Joël Arseneau

« Nous, ce qu’on demande, c’est que le gouvernement abandonne ce projet-là, puisque soyons francs : rien ne démontre qu’il réponde à un besoin, ni aux objectifs à atteindre sur le plan environnemental et de la transition énergétique. Il y a d’autres façons d’améliorer la mobilité dans la Capitale-Nationale », poursuit M. Arseneau, qui réclame aussi que Québec fasse « amende honorable » et « élimine de son discours » l’indicateur de PPM. « Qu’on nous explique s’il y a véritablement quelque chose derrière ce projet-là, à part une vision politique. »

Un pont d’abord, disent les conservateurs

Au Parti conservateur d’Éric Duhaime, le directeur des communications André Valiquette se dit quant à lui en faveur d’un troisième lien, précisant toutefois qu’il faudrait que le projet final prenne « la forme d’un pont » et non d’un tunnel sous le fleuve.

« Le gouvernement Legault ne sait plus quoi dire pour défendre son tunnel. La comparaison des PPM ne tient pas la route. Mais il faut faire quelque chose pour réduire la congestion routière dans la région de Québec. En plus des désagréments quotidiens, elle entraîne une hausse de la pollution et une perte d’efficacité économique », dit le porte-parole, dont le parti propose de construire « un pont reliant la Rive-Sud et l’ouest de l’île d’Orléans, en droite ligne avec l’autre pont qui relie déjà l’autre côté de l’île à la Rive-Nord ».

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Le député solidaire de Jean-Lesage, Sol Zanetti

Le député solidaire de Jean-Lesage, Sol Zanetti, avait quant à lui déjà exprimé sa vive opposition au troisième lien et à l’indicateur de PPM, lors d’une conférence de presse jeudi dernier.

« Je ne sais pas s’ils prennent le monde de Québec pour des voisins gonflables qui n’ont comme seul indicatif du bonheur le nombre de ponts par habitant, mais ça n’a pas rapport, cette maudite comparaison-là. Montréal, c’est une île, premièrement, il y a plus de monde. Il y a des villes qui ont plus de monde puis qui ont moins de ponts. Venise a plus de 400 ponts, il y a 260 000 personnes, à peu près, qui habitent sur l’île. Est-ce qu’il faudrait que Montréal ait plus de ponts parce que Venise a 400 ponts ? », s’était-il alors questionné.

Le gouvernement Legault a présenté jeudi dernier la nouvelle mouture du projet de tunnel autoroutier qu’il entend construire entre les centres-villes de Québec et de Lévis.

Le ministre des Transports, François Bonnardel, a alors confirmé que l’immense tunnel à deux niveaux évalué à 10 milliards annoncé en mai 2021 passait à la trappe. On mise maintenant sur deux petits tunnels où une « gestion dynamique » laisserait deux voies au transport collectif, mais seulement pendant les heures de pointe.