Ses proches le qualifient d’homme brillant, de « populiste » parfois « démagogue » avec le sens du punch. Éric Duhaime dénonce depuis des mois « l’extrémisme sanitaire » du gouvernement. À la tête du Parti conservateur du Québec, l’ancien animateur de radio présente un programme résolument à droite pour causer la surprise le 3 octobre prochain. Et il ne cesse de monter dans les sondages. Comment s’explique le phénomène Duhaime ? La Presse l’a suivi pour tenter de comprendre.

(Québec) Éric Duhaime stationne sa vieille Sentra beige dans une rue cossue d’une banlieue de Québec. Il sort de la voiture, suivi de près par sa chienne Mia, puis se dirige d’un pas rapide vers la grande maison de l’animateur de Radio X Jeff Fillion.

Il entre sans cogner.

Il s’agit d’une journée importante pour le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), qui ne cesse de monter dans les sondages. Ce soir-là, le 5 avril, il doit annoncer qu’il se présente dans la circonscription de Chauveau, au nord de la capitale.

« Je suis un peu anxieux », admet Duhaime au coanimateur de Fillion, Gerry Pizza.

Le chef conservateur est en terrain conquis à Radio X. L’entrevue qui se déroule dans un studio aménagé chez Fillion est amicale. « Bravo au député de Chauveau, Éric Duhaime », lance Jeff Fillion, comme si la victoire du candidat était acquise.

Les deux hommes critiquent ensuite une sortie de la députée solidaire Catherine Dorion, qui a déclaré que la montée du PCQ dans les sondages s’explique parce que « Duhaime [est à Radio X] à peu près tous les jours. Les animateurs lui font de la pub gratuite tous les jours ».

Éric Duhaime estime que c’est exagéré. Selon ses calculs, il est invité sur les ondes de la populaire station de Québec environ trois fois par semaine depuis qu’il a choisi de quitter le monde des médias pour prendre la tête du parti en avril 2021.

Il mise depuis sur des attaques constantes contre les mesures sanitaires et sur un discours classique de la droite – réduction de la taille de l’État, baisse des impôts, exploitation des hydrocarbures…

  • Éric Duhaime discute avec des candidats du PCQ quelques heures avant l'annonce officielle de sa candidature dans Chauveau.

    PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

    Éric Duhaime discute avec des candidats du PCQ quelques heures avant l'annonce officielle de sa candidature dans Chauveau.

  • Ici avec la députée Claire Samson

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    Ici avec la députée Claire Samson

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Son pari est simple : fédérer des mécontents des confinements et des orphelins politiques de la droite pour créer la surprise aux élections du 3 octobre prochain.

« Celui qui a donné l’espace politique au PCQ, son meilleur bénévole, c’est François Legault », lance M. Duhaime en entrevue à La Presse. « Il a parlé comme un adéquiste et il a géré comme un péquiste. »

Une bête politique

Ce jour-là, les parents d’Éric Duhaime sont venus de Laval, où il a grandi, pour assister à la grande soirée dans Chauveau. Ils le rejoignent dans sa maison du quartier Saint-Sacrement de Québec.

Assis à la table de la cuisine, Henri Duhaime et Ginette Lapointe racontent comment ils ont tout fait pour convaincre leur fils de ne pas se lancer dans la course à la direction du PCQ, en vain.

Le couple a longtemps eu une entreprise de ventilation. « On a toujours été très libéraux, pas dans le sens du parti politique, là ! Dans le sens philosophique », note la mère d’Éric.

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Adolescent, leur fils avait collé dans sa chambre une affiche de la première ministre britannique Margaret Thatcher.

« À l’âge de 12 ans, il lisait La Presse de la première à la dernière page. Il allait à l’école privée avec la cravate, le veston. Il rentrait de l’école et je lui disais : “Éric, va te changer.” Il ne se changeait pas. Il soupait en veston », se rappelle sa mère.

Assis en retrait dans le salon se trouve le conjoint d’Éric Duhaime. Ils sont ensemble depuis dix ans. Le journaliste lui montre le véhicule que conduit son partenaire, loin des bolides qu’on imagine voir conduire d’anciens animateurs de radio.

Éric Duhaime n’a jamais été intéressé par les grosses voitures, dit-il. « Il n’en avait même pas quand je l’ai rencontré », se remémore son conjoint, un homme discret qui n’accorde pas d’entrevue et préfère garder l’anonymat.

Mais l’ancien animateur de radio, qui vient d’avoir 53 ans, aime l’immobilier. Il se targue de savoir gérer son argent. Il possède aujourd’hui cinq propriétés.

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Jeune homme sérieux, Éric Duhaime a commencé à militer au Parti québécois à Laval, a étudié les sciences politiques puis s’est dirigé vers l’École nationale d’administration publique (ENAP) pour sa maîtrise.

C’est là que s’est articulée sa pensée de droite libertarienne, au contact de certains professeurs. Fou de politique, il a été engagé comme conseiller politique au Bloc québécois, avant de se joindre au jeune candidat à la direction de la toute nouvelle Alliance canadienne Stockwell Day.

Il a une rare habileté d’être sympathique, mais aussi stratégique au même moment. Il comprend ce que les gens veulent, il le sent.

Stockwell Day, ex-chef de l’Alliance canadienne

Éric Duhaime a mis de côté la souveraineté du Québec après le deuxième référendum, a été séduit par l’Action démocratique du Québec (ADQ) et a été engagé comme conseiller par Mario Dumont en 2003. Il s’est même présenté dans la circonscription de Deux-Montagnes cette année-là. Il a fini troisième.

L’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare a bien connu M. Duhaime à cette époque. Il l’avait recruté en 2005 comme conseiller lors de sa candidature perdante à la mairie de Québec.

« Ce qu’il incarne, c’est une droite décomplexée. Il n’a pas peur de tenir des propos d’un homme de droite. C’est unique dans notre histoire récente », lâche en entrevue MBellemare.

« On a souvent vu des gens de droite avant l’élection, qui gouvernent à gauche après. Jean Charest, c’était ça. François Legault, c’est ça », dit celui qui a justement servi comme ministre dans le gouvernement Charest. « Je pense qu’Éric est un homme de droite. Il a toujours été fidèle à ses convictions et il l’est encore aujourd’hui. »

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Éric Duhaime en point de presse flanqué de la candidate du PCQ dans Marie-Victorin, Anne Casabonne

« Il peut se tirer dans le pied »

La carrière de ce conseiller politique a pris un tour singulier au milieu des années 2000. Éric Duhaime a accepté un mandat de l’ONG National Democratic Institute qui le mènera pendant des années au Maroc, en Mauritanie et en Irak.

C’est à son retour au pays, à l’été 2009, qu’Éric Duhaime a décidé que le meilleur moyen de faire avancer ses idées libertariennes était de sortir de l’ombre. Il allait tenter de percer dans les médias.

Son ami Frédéric Têtu raconte dans une biographie récente d’Éric Duhaime que les deux hommes s’étaient réunis chez lui pour échafauder un plan. Éric Duhaime allait se faire un nom à la radio pour ensuite obtenir une chronique dans un journal de Québecor.

Les choses se sont passées exactement ainsi.

C’est l’animateur Jérôme Landry, alors à Radio X, qui a suggéré de l’engager comme chroniqueur politique dans l’émission du matin. Cette station de Québec a en grande partie lancé la carrière médiatique d’Éric Duhaime.

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« Éric, je le considère comme un intellectuel de droite et un populiste. C’est un gars extrêmement intelligent, mais un populiste en même temps », remarque Jérôme Landry, aujourd’hui animateur au FM93.

Malgré le respect qu’il lui porte, M. Landry estime que M. Duhaime est allé trop loin depuis le début de la pandémie. Ses critiques incessantes contre le gouvernement Legault ont attiré dans son giron de nombreux complotistes.

« Est-ce qu’il va être aussi démagogue durant la campagne qu’il l’a été depuis le début de la pandémie ? demande M. Landry. Je trouve que depuis des mois, il ne montre qu’un côté de la médaille. »

Myriam Ségal, qui a partagé un micro avec M. Duhaime au FM93, se souvient d’un « garçon extrêmement gentil » et talentueux qui animait avec une grande intensité. Au micro, « il était toujours sur le bout du piano ».

Mais elle se souvient aussi d’un homme qui pouvait blesser son entourage sans s’en rendre compte. Elle se rappelle une réunion où il « s’est mis à blaster » sa coanimatrice car elle manquait d’émotion en ondes.

Je pense qu’il peut se tirer dans le pied assez vite s’il aligne des positions incohérentes. Il est très instinctif, impulsif. Il peut aussi brûler son entourage. Ce n’est pas un homme qui va faire l’unanimité. Ce n’est pas quelqu’un à qui je confierais ma vie, disons.

Myriam Ségal, ex-collègue d’Éric Duhaime

« Ce qui m’inquiète du personnage en politique, c’est que c’est un dogmatique. C’est quelqu’un qui estime que le plus fort doit gagner, note Myriam Ségal. On est dans une société où il y a beaucoup de solidarité. Je ne suis pas tout à fait sûre qu’au plus fort la poche, ce soit la bonne politique. »

Le polémiste

Les passages d’Éric Duhaime aux micros de Radio X puis du FM93 ont laissé bien des déclarations controversées. Assis dans un parc de la haute-ville, tandis que sa chienne reluque des canards dans un étang, Éric Duhaime accepte de revenir sur certaines d’entre elles.

En 2017, lors d’un débat en ondes avec Bernard Drainville, il suggère de moduler le droit de vote selon les impôts payés, les riches ayant plus de poids, les pauvres recevant les miettes. Drainville, surpris, lui suggère que ça ressemble à une ploutocratie.

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J’avais un micro quatre heures par jour pendant dix ans. C’est sûr que des fois, ça sort… Ce n’est pas écrit. Ce n’est pas un texte que je peux relire trois fois.

Éric Duhaime, chef du PCQ

« Dans une société libre, c’est sûr que chaque vote est égal. Mais le débat philosophique est intéressant », estime M. Duhaime.

Une année plus tôt, avant l’attentat, une tête de porc avait été déposée devant la grande mosquée de Québec. En ondes, il parle d’une « joke niaiseuse ». « En quoi c’est de la haine ? »

Il estime aujourd’hui que ce geste « n’est pas acceptable, pas plus que d’envoyer une pizza chez le voisin qui ne l’a pas commandée ».

Mais ce geste n’a-t-il pas une autre dimension qu’une pizza chez le voisin ? « C’est sûr que c’est dégueulasse. Mais est-ce que c’était criminel ? Je ne le sais pas. »

N’est-ce pas un acte haineux ? « C’est un acte haineux, oui », concède-t-il finalement.

Selon lui, les médias ont été injustes envers lui, en citant hors contexte ses propos, en les montant en épingle. « Il y a des gens qui ont fait profession de faire ça, essayer de nous diaboliser dans une presse montréalaise. »

Le PCQ monte en flèche

Ses proches savent que l’homme devra maintenant s’ajuster à son rôle de politicien, sans adopter la langue de bois. L’exercice peut être périlleux, mais semble fonctionner pour l’instant.

Son parti est passé, selon son chef, de 500 membres il y a un an et demi à près de 57 000 aujourd’hui. Les sondages placent maintenant le Parti conservateur du Québec derrière la Coalition avenir Québec, presque ex æquo avec le Parti libéral du Québec et Québec solidaire dans les intentions de vote.

Le calcul d’Éric Duhaime est simple : le gouvernement Legault s’est repositionné au centre pour gruger des appuis aux partis de l’opposition, mais a complètement découvert son flanc droit. C’est cet espace qu’il veut occuper.

Pour Jérôme Landry, le succès de son ancien collègue va dépendre de sa capacité à rejoindre l’électeur moyen.

Il est assez intelligent pour se recentrer un peu, parce que je pense qu’il veut gagner. Si je résumais Éric, je dirais qu’il est capable du meilleur comme du pire.

Jérôme Landry, animateur au FM93

Le programme du PCQ est résolument à droite et propose moins d’État, moins d’impôts. Il propose de « miser sur les adaptations » aux changements climatiques, plutôt que de les combattre.

Le PCQ veut permettre l’extraction du pétrole et du gaz québécois. « Les conservateurs sont des optimistes et non pas des alarmistes », peut-on lire dans leur programme.

En immigration, le parti de Duhaime « sélectionnera les immigrants permanents en fonction de leur compatibilité civilisationnelle » avec les valeurs occidentales. Comment va s’appliquer ce filtrage ? Un test ? Une entrevue ? Éric Duhaime dit l’ignorer pour l’instant.

« La compatibilité civilisationnelle, pour moi, ça veut dire que quelqu’un qui arrive ici, quand il voit mon chum pis moi marcher main dans la main dans la rue, il ne capote pas », donne-t-il en exemple.

Il précise toutefois que ce concept n’était pas le sien, mais a plutôt été adopté par les membres.

Le discours du chef du PCQ fait mouche dans une partie de l’électorat. Les sondages le montrent. Et le 5 avril dernier, la salle de 550 places où Éric Duhaime a annoncé qu’il sera candidat dans Chauveau était pleine à craquer. Des militants, refoulés à la porte, ont suivi son discours sur un écran installé dehors.

  • Éric Duhaime a annoncé sa candidature dans Chauveau lors d’un grand rassemblement tenu à Québec, le 5 avril.

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    Éric Duhaime a annoncé sa candidature dans Chauveau lors d’un grand rassemblement tenu à Québec, le 5 avril.

  • Éric Duhaime à son arrivée sur scène

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    Éric Duhaime à son arrivée sur scène

  • Éric Duhaime prend un bain de foule lors de l’évènement.

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    Éric Duhaime prend un bain de foule lors de l’évènement.

  • La salle communautaire était remplie de partisans.

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    La salle communautaire était remplie de partisans.

  • La salle communautaire était remplie de partisans.

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    La salle communautaire était remplie de partisans.

  • La salle communautaire était remplie de partisans.

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    La salle communautaire était remplie de partisans.

  • Éric Duhaime salue des militants réunis à l’extérieur faute de places dans la salle ; ils ont pu suivre l’évènement sur un écran installé devant.

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    Éric Duhaime salue des militants réunis à l’extérieur faute de places dans la salle ; ils ont pu suivre l’évènement sur un écran installé devant.

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À peu près aucun des partisans du PCQ sur place ne portait de masque. « Moi, je l’ai porté. Je sais qu’ils en donnaient aux portes. Maintenant, peut-être que des gens ne le portaient pas. Je sais qu’il y avait des gens qui buvaient aussi », a tenté d’expliquer M. Duhaime aux journalistes.

Puis Éric Duhaime a pris le micro. La foule buvait ses mots.

« Ce qui nous unit ce soir, c’est l’idée que la liberté, la démocratie et le gros bon sens sont de bien meilleurs conseillers que les conseillers politiques de François Legault qui salivent à l’idée de vous contrôler. »

Son débit était moins rapide qu’à la radio. Il n’était plus « sur le bout du piano ».

Mais le polémiste, lui, était toujours là.