(Ottawa) Le gouvernement Trudeau essuie un revers devant les tribunaux : le processus ayant mené à la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue au Nouveau-Brunswick est jugé inconstitutionnel. Ceux qui crient victoire invitent les libéraux à s’en inspirer pour amender son projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Ce qu’il faut savoir

  • Le tribunal conclut que le bilinguisme est nécessaire pour ce poste.
  • La décision ne signifie pas que la nomination de Brenda Murphy est révoquée.
  • Le gouvernement Trudeau « réfléchit aux prochaines étapes ».
  • Une « avancée spectaculaire », réagit la SANB, requérante dans cette cause.
  • La SANB et le sénateur Claude Carignan espèrent que les libéraux modifieront C-13.

En vertu des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, « le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick doit être bilingue et capable de s’acquitter de toutes les tâches requises de son rôle en français et en anglais », tranche la Cour du banc de la Reine du Nouveau-Brunswick dans une décision rendue jeudi.

Le verdict n’a pas comme conséquence d’annuler le décret nommant la lieutenante-gouverneure Brenda Murphy, car un jugement déclaratoire serait « susceptible d’invalider d’innombrables lois, nominations et décrets légalement adoptés », et donc, de plonger la province dans une crise législative et constitutionnelle, note la juge en chef Tracey K. DeWare.

En revanche, la décision « est suffisante pour garantir que le gouvernement prendra des mesures appropriées et promptes pour corriger la situation », écrit-elle. « Je laisse à l’organe exécutif du gouvernement le soin de déterminer le moment et l’étendue de ces mesures », ajoute la magistrate, qui prend soin de mentionner dans sa décision que celle-ci ne remet pas en cause les qualités et les compétences de Brenda Murphy.

Nommée par le Bureau du Conseil privé le 4 septembre 2019 sur l’avis du premier ministre Justin Trudeau, la lieutenante-gouverneure ne maîtrise pas la langue française. Elle s’est engagée à l’apprendre. Cependant, bien qu’elle « s’efforce activement d’améliorer ses aptitudes linguistiques en français […], elle n’est pas bilingue », fait remarquer la juge DeWare.

La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) était la requérante dans cette cause, qui soulève des questions sur une autre nomination du gouvernement Trudeau : celle de la gouverneure générale du Canada, Mary Simon, qui ne parle pas non plus français, mais qui a promis de s’y mettre. Sa désignation a provoqué un malaise, et elle a mené au dépôt de 1341 plaintes auprès du Commissariat aux langues officielles.

Vers des amendements à C-13 ?

La réaction du fédéral est venue du cabinet du ministre de la Justice, David Lametti. « Nous prendrons le temps d’examiner la décision et de réfléchir aux prochaines étapes, mais nous restons déterminés à protéger et à promouvoir la langue française partout au pays et à favoriser la dualité linguistique », a indiqué son attachée de presse, Chantalle Aubertin.

Le président de la SANB, Alexandre Cédric Doucet, insiste que la démarche n’a jamais été « contre Mme Murphy personnellement », mais bien « contre le processus ayant mené à sa nomination ». Il dit espérer que le fédéral n’interjettera pas appel de la décision, et que celle-ci servira plutôt d’inspiration pour améliorer le projet de loi C-13 sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur conservateur Claude Carignan, qui a déposé en décembre dernier à la chambre haute le projet de loi S-229 visant à ajouter dans la liste des fonctions ciblées dans la Loi sur les compétences linguistiques le poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, lance la même invitation au gouvernement de Justin Trudeau.

« Je suis même prêt à abandonner mon projet de loi si c’est intégré à la Loi sur les langues officielles. Et la raison est simple : si c’est intégré à la Loi, c’est encore plus puissant, parce que la Loi a un statut quasi constitutionnel », expose en entrevue celui qui applaudit cette « excellente nouvelle pour la reconnaissance de l’égalité des communautés francophones et anglophones au Nouveau-Brunswick ».

La province de l’Atlantique est la seule au pays à être officiellement bilingue.