(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau laisse entendre que de nouveaux investissements sont à venir pour l’Arctique canadien, alors que les tensions avec la Russie et l’imprévisibilité de Moscou suscitent de nouvelles craintes d’une attaque potentielle en provenance du nord.

La nature et la portée de tout investissement à venir demeurent nébuleuses : certains soulignent l’importance des dépenses non militaires, comme les infrastructures de base, alors que le chef d’état-major tempère les ardeurs de ceux qui souhaiteraient le déploiement permanent de militaires dans le Grand Nord.

Au moment où le gouvernement libéral s’apprête à déposer jeudi son budget, il subit des pressions de la part de l’OTAN, notamment, pour augmenter les budgets de l’armée canadienne à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’invasion, amorcée il y a six semaines, a fait des milliers de morts chez les Ukrainiens et les Russes, et a porté un dur coup à la sécurité internationale, augmentant les craintes d’un conflit plus large, alors que Moscou a brandi le spectre nucléaire face au soutien de l’Occident à Kyiv.

L’invasion a poussé Ottawa à aller de l’avant, avec Washington, sur des plans, attendus depuis longtemps, pour moderniser le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad), un système désormais obsolète chargé de détecter et d’identifier les attaques sur tout le continent, notamment dans l’Arctique.

Interrogé mardi sur la menace d’une attaque russe, M. Trudeau a accusé le Kremlin de « chercher à perturber et à semer le chaos dans le monde ».

« Nous continuons à défendre fermement notre souveraineté et notre défense de l’Arctique, a-t-il ajouté. Bien sûr, avec la modernisation du Norad sur la table, avec des investissements accrus dans la défense, l’Arctique est un domaine que nous allons examiner de près. »

Le premier ministre n’a pas donné plus de précisions, mais la veille, M. Trudeau et la ministre de la Défense, Anita Anand, s’étaient entretenus avec les premiers ministres des trois territoires canadiens pour discuter de la souveraineté et de la sécurité dans l’Arctique.

« Les premiers ministres des territoires ont fait part de leurs préoccupations concernant l’agression actuelle de la Russie en Ukraine et des risques qu’elle peut représenter pour la souveraineté de l’Arctique », lit-on dans un compte rendu de cette conversation, publié par le cabinet du premier ministre. « Ils ont souligné l’importance de bâtir des communautés en santé et une infrastructure solide pour affirmer la souveraineté du Nord. »

« Les infrastructures essentielles »

La première ministre des Territoires du Nord-Ouest, Caroline Cochrane, a déclaré dans un communiqué que ses priorités étaient les infrastructures essentielles, les télécommunications telles que l’internet à large bande et l’énergie.

« La sécurité du Nord ne se limite pas à une présence militaire solide, a-t-elle soutenu. Il s’agit également de bâtir des communautés fortes et résilientes grâce à des investissements importants dans des infrastructures essentielles telles que les routes, les télécommunications et l’énergie. »

Stéphane Roussel, expert en sécurité dans l’Arctique à l’École nationale d’administration publique du Québec, affirme qu’il existe des lacunes évidentes dans les défenses du Nord canadien, que les investissements fédéraux dans les infrastructures et les communications peuvent aider à combler.

« Oui, il y a une utilité en matière de sécurité ou de défense, a-t-il dit. Mais je pense que l’idée est beaucoup plus de développer ces régions et de les connecter avec le reste du pays. »

Avant d’envahir l’Ukraine, la Russie avait commencé, au fil des années, à reconstruire et à étendre ses installations militaires dans la région polaire, au milieu d’une ruée vers les ressources arctiques. Moscou a également développé des armes à longue portée capables de frapper l’Amérique du Nord à distance.

Le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, a pris note de ces nouvelles armes lors d’une comparution devant le comité sénatorial de la défense, lundi, où la ministre Anand a promis de proposer de nouveaux investissements « robustes » dans le Norad, au cours des mois à venir.

Mais alors que le général Eyre a également parlé du besoin de plus d’infrastructures, il a estimé qu’il n’y avait « aucun moyen » pour le Canada d’égaler la grande empreinte militaire de la Russie dans l’Arctique. Il s’est également prononcé contre l’idée de positionner en permanence un grand nombre de militaires dans le Grand Nord.

Le commandant des Forces armées canadiennes a plutôt souligné l’importance d’avoir « des ensembles d’infrastructures élémentaires » nécessaires pour déployer au besoin des troupes provenant du sud.

« Qu’il s’agisse d’emplacements d’opérations avancés supplémentaires pour nos chasseurs du Norad, qu’il s’agisse de projeter des capacités de recherche et de sauvetage en fonction de certains évènements, qu’il s’agisse de projeter des forces terrestres supplémentaires pour faire face au changement climatique », a-t-il déclaré.

Le professeur Rob Huebert, de l’Université de Calgary, estime qu’Ottawa a déjà eu du mal à construire l’infrastructure militaire qu’il avait promise dans l’Arctique, comme l’extension de la piste à Inuvik et une jetée en eau profonde à Nanisivik. Dans le même temps, il se dit préoccupé par le fait que la menace posée par la Russie n’est pas assez prise au sérieux.

« Il y a un peu de naïveté à croire que ça n’arrivera jamais simplement parce que ça n’est jamais arrivé, que ce serait trop horrible, a-t-il déclaré à propos d’un conflit nucléaire. C’est une erreur de dire simplement : nous n’avons pas eu de guerre nucléaire jusqu’à présent, alors il n’y en aura pas à l’avenir. »