(Québec) Les amendements du gouvernement Legault au projet de loi 96, qui donne davantage de mordant pour la protection du français, motivent plus que jamais ses détracteurs à fonder un parti politique pour défendre les droits des anglophones et des groupes minoritaires. Si cette nouvelle opposition à la réforme de la loi 101 voit le jour, elle contesterait les politiques de la Coalition avenir Québec, mais pourrait faire mal par la bande aux libéraux.

Colin Standish, juriste dans un cabinet d’avocats à Sherbrooke et président de Task Force – un groupe de défense des droits opposé à la nouvelle mouture de la Charte de la langue française –, affirme que les amendements déposés par Simon Jolin-Barrette en commission parlementaire « rendent le projet de loi 96 pire que sa version d’origine ».

Encore récemment, le ministre responsable de la Langue française amendait son projet de loi pour geler en permanence l’effectif étudiant des cégeps anglophones. Il a également ajouté des dispositions pour que les cégeps privés soient inclus dans les restrictions prévues dans sa réforme et propose d’imposer aux élèves anglophones de suivre trois cours enseignés en français – en plus des cours de langue seconde – pour obtenir leur diplôme d’études collégiales. Les partis de l’opposition ont voté en faveur de ce dernier amendement, qui figure également au plan libéral en matière de langue française.

PHOTO FOURNIE PAR COLIN STANDISH

Colin Standish est juriste dans un cabinet d’avocats à Sherbrooke.

Dans ce contexte, M. Standish étudie avec d’autres militants la possibilité de créer un parti politique à temps pour les prochaines élections. Comme l’indiquait récemment le Montreal Gazette, une décision serait prise dans les prochaines semaines. Cette réflexion se fait au sein d’un second groupe militant, le Comité exploratoire des options politiques.

Il y a beaucoup de choses à faire pour y parvenir, mais je pense que c’est faisable et viable de créer un nouveau parti.

Colin Standish, juriste et président de Task Force

Ce parti, souhaite M. Standish, ferait de la défense des droits de la personne le cœur de son projet politique. Le juriste estime qu’il pourrait rallier des anglophones et des électeurs issus des groupes minoritaires qui sont en colère face au projet de loi 96, mais aussi opposés la loi 21 sur la laïcité de l’État.

Les libéraux, victimes collatérales ?

Confronté au fait que les libéraux – qui bénéficient depuis de nombreuses élections du soutien des Québécois anglophones – pourraient souffrir de la création d’un tel parti, M. Standish répond que « le Parti libéral du Québec a abandonné et oublié la communauté anglophone » et tous les groupes qui « méritent mieux » pour défendre leurs droits fondamentaux.

La présidente du Quebec Community Groups Network (QCGN), l’ancienne députée fédérale Marlene Jennings, estime que la création d’un nouveau parti d’ici aux élections du 3 octobre est une hypothèse qui doit être prise au sérieux.

« Je pense que c’est effectivement quelque chose qui pourrait arriver. Le fait est que le Parti libéral du Québec, qui a toujours été vu comme un défenseur des droits des minorités, […] semble avoir oublié [sa] raison d’être », dit-elle.

« Ça pourrait être dévastateur pour le Parti libéral du Québec », poursuit Mme Jennings, selon qui « de plus en plus de minorités, pas juste les anglophones, regardent le PLQ et se disent qu’elles ne sont plus défendues comme elles le souhaitent par ce parti ».

« Parfois, la joute politique fait que notre vision devient tellement étroite parce qu’on veut aller chercher des votes plutôt que d’être fidèle aux principes fondamentaux que doit incarner notre parti », analyse-t-elle.

Un équilibre « pas toujours facile »

La députée libérale et ancienne ministre Hélène David, qui siège pour l’opposition officielle à la commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi 96, constate à son tour que la société « se fractionne de plus en plus » et que ceux qui perdent « le plus de plumes en ce moment, c’est le Parti québécois et nous ».

« [Mais] on a toujours fait cet équilibre qui n’est pas toujours facile entre les francophones et la communauté anglophone », défend-elle.

Mme David accuse le ministre Simon Jolin-Barrette d’être plus « divisif » que jamais en déposant jour après jour des amendements qui vont dans toutes les directions. « Il y a un calcul politique, on n’est pas naïf […]. On sait que des élections s’en viennent, et je pense qu’il resserre la vis [de son projet de loi] en se disant que plus il fait ça, plus ça fait mal aux libéraux », soutient Mme David.

La députée défend toutefois l’amendement controversé proposé par son parti pour imposer des cours enseignés en français à tous les élèves des cégeps anglophones, y compris aux ayants droit, c’est-à-dire ceux qui ont étudié en anglais au primaire et au secondaire. Selon elle, le ministre ne laisse pas assez de temps et de marge de manœuvre au réseau pour appliquer et adapter cette idée. Dans Le Devoir, la Fédération des cégeps prédisait récemment que ces changements avaient tous les ingrédients pour provoquer une crise sociale.