(Québec) Dans une réplique vigoureuse au gouvernement de François Legault, le maire de Québec accuse la Coalition avenir Québec (CAQ) de « démoniser » les transports en commun, de nuire au projet de tramway par électoralisme et de ne pas prendre au sérieux les enjeux d’étalement urbain et de changements climatiques.

« La dernière journée, c’est une mauvaise journée pour les villes du Québec […], pour la Ville de Québec et les citoyens de Québec », a dénoncé Bruno Marchand mercredi.

La charge frontale qu’a décidé de mener le gouvernement du Québec avec ses députés, ses ministres contre moi est une attaque directe et en règle contre la Ville de Québec.

Bruno Marchand, maire de Québec

La journée de mercredi marque un changement radical dans la toute jeune relation entre Bruno Marchand et le gouvernement provincial, jusqu’ici en apparence harmonieuse.

Rue partagée de compétence municipale

Les hostilités ont commencé mardi quand Le Journal de Québec a révélé que le gouvernement s’opposait à la mise en place d’une rue partagée sur le boulevard René-Lévesque.

La Ville privilégie cette option pour intégrer le tramway. La place de l’automobile sera réduite sur René-Lévesque sur environ 500 mètres, près de l’avenue Cartier. Selon des estimations de la Ville, cette option permettra de sauver des arbres, mais va allonger les déplacements des automobilistes dans l’axe est-ouest.

Mercredi matin, plusieurs élus de la CAQ ont confirmé que leur appui au projet était conditionnel à l’abandon de ce petit tronçon de rue partagée, qui est de compétence municipale. Le gouvernement du Québec est le principal bailleur de fonds du projet de près de 4 milliards.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le maire de Québec dit qu’il ne veut pas faire une guerre à l’automobile, alors qu’il le prouve et qu’il arrête de polluer l’existence des conducteurs avec des projets comme ça.

Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique, en matinée, qui s’est rétracté un peu plus tard

« Le concept de rue partagée m’inquiète beaucoup. La vision régionale, le maire de la Ville de Québec semble l’avoir oubliée », a estimé le ministre des Transports, François Bonnardel.

« La vision régionale doit être partie prenante du discours du maire. Il ne peut pas juste dire : ‟Moi, je fais ça juste pour Québec et j’oublie Saint-Apollinaire et j’oublie Portneuf.” Moi, j’ai une vision globale », a ajouté M. Bonnardel.

Portneuf se trouve à plus de 50 km de la rue partagée envisagée sur René-Lévesque. Mais selon les élus caquistes, il est inadmissible que les automobilistes en provenance des couronnes éloignées perdent au change.

« Défendre sa ville corps et âme »

François Legault s’est quant à lui défendu de mettre la Ville de Québec sous tutelle en imposant de nouvelles conditions. Le premier ministre a demandé au maire Bruno Marchand d’assumer « sa responsabilité d’avoir une acceptabilité sociale » pour aller de l’avant avec la construction du réseau.

Ce revirement du gouvernement est une surprise totale, a assuré M. Marchand, qui a organisé une conférence de presse en fin de journée pour réagir.

Loin de se démonter, M. Marchand, entouré des élus de sa formation, a juré qu’il allait « défendre [sa] ville corps et âme ». Il a assuré que le gouvernement avait entre les mains le scénario de rue partagée depuis des mois. Il a aussi ajouté qu’une consultation en cours démontrait qu’une majorité de résidants du secteur appuyaient ce scénario qui réduit la place de l’auto.

Je demande à la CAQ de s’élever, collectivement. Il y a une planète à sauver. Notre travail comme élu, quand on regarde l’avenir, c’est aussi de permettre aux gens d’éviter l’étalement urbain.

Bruno Marchand, maire de Québec

M. Marchand s’explique mal la prise de position du gouvernement, alors même que le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime, opposé au tramway, monte dans les sondages.

« Je pense que la CAQ fait le bon vieux calcul de “mes circonscriptions sont proauto, alors si je démonise le transport en commun, ça va être gagnant pour moi”. Je pense que c’est de la politique à courte vue. »

« Je pense qu’il faut arrêter de voir la politique comme quelque chose pour garder sa job à chaque quatre ans. Ce qui nourrit le cynisme, ce sont les politiciens qui ont une courte vue, qui ne sont pas capables de regarder plus loin », a noté le maire Marchand.

Il invite maintenant le gouvernement à revenir sur sa position et à signer les décrets nécessaires à l’avancement du projet, qui a déjà souffert d’un retard important à cause d’exigences du gouvernement. S’il ne le fait pas, alors le projet pourrait se retrouver dans une impasse possiblement fatale.

« On a l’impression d’être Astérix dans la maison des fous et que, chaque fois qu’on arrive à la fin, on rajoute une étape, note-t-il. On ne se rendra jamais à destination comme ça. »

Avec Hugo Pilon-Larose et Charles Lecavalier, La Presse

L’opposition dénonce

La ministre de la Capitale-Nationale [Geneviève Guilbault a parlé de] l’importance de ne pas avoir de voie partagée, parce que ça pourrait ne pas aider les citoyens de Saint-Agapit. Saint-Agapit, c’est loin en titi d’où est-ce qu’on est, ici. On parle d’un tronçon de 500 mètres. Est-ce qu’on est en train de mettre en péril un investissement de près de 4 milliards […] pour 500 mètres, pour être sûr que les gens de Saint-Agapit vont pouvoir rouler un peu plus vite sur l’autoroute ?

Marwah Rizqy, députée du Parti libéral du Québec

La CAQ, avec François Legault, Geneviève Guilbault [...] puis François Bonnardel, ont décidé qu’eux, une rue partagée sur le boulevard René-Lévesque à Québec, pour qu’il y ait le tramway, la sauvegarde du plus grand nombre d’arbres possible et un partage entre les vélos, des voitures à 20 km/h sur 500 mètres, et du transport actif, ben, eux autres disent : c’est pas bon.

Catherine Dorion, députée de Québec solidaire

Condescendance et mépris envers la Ville de Québec et son maire. Tout ça dans le but de freiner un projet de transport collectif légitime et de favoriser leur tunnel à 10 milliards.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois