(Ottawa) Le Parti libéral du Canada demeurera au pouvoir jusqu’en juin 2025 grâce à l’appui du Nouveau Parti démocratique (NPD), en vertu d’une entente négociée entre les deux formations. Une union qui est loin d’avoir le sceau d’approbation du Parti conservateur et du Bloc québécois, et qui demeure un pari risqué.

La menace d’élections anticipées s’évapore grâce au pacte conclu entre les libéraux et les néo-démocrates, dont le premier ministre Justin Trudeau a dévoilé les grands contours seul en conférence de presse au parlement, mardi matin.

« Cette entente ne va pas remettre en cause les valeurs fondamentales de chacun de nos partis, a-t-il déclaré. […] Les Canadiens ont élu ce Parlement pour qu’il produise des résultats. C’est exactement pourquoi on est arrivés à cette entente. »

Il s’est ensuite attaqué à la « polarisation croissante » qui domine le débat politique et à la « partisanerie toxique » qui empêche les élus de s’« entendre sur des vérités et des faits simples ».

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Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

L’accord, baptisé Obtenir des résultats dès maintenant pour les Canadiens : une entente de soutien et de confiance, permettra aux libéraux de « livrer la marchandise » en plus d’offrir à la population « la stabilité, la collaboration, la prévisibilité […] dans des moments d’incertitude », selon le premier ministre, citant parmi les facteurs d’anxiété la pandémie, l’inflation et la guerre en Ukraine.

Il ne s’agit pas d’une coalition où des élus néo-démocrates auraient pu siéger au Conseil des ministres. Les chefs des deux partis ont d’ailleurs tenu des conférences de presse séparées, à une heure et demie d’intervalle.

« Il n’y a jamais vraiment eu de réflexion ou de discussions sur l’idée d’un partenariat ou d’une coalition plus formelle, c’est tout simplement une entente sur laquelle on va pouvoir travailler ensemble de façon constructive au Parlement, là où on a déjà alignement, et être en désaccord là où il n’y a pas alignement pour pouvoir travailler avec d’autres partis quand on voudra », a soutenu M. Trudeau.

Les députés du NPD appuieront les quatre prochains budgets et soutiendront le gouvernement lors d’autres votes de confiance. Ils s’engagent à ne pas proposer de vote de défiance. Advenant une question de confiance inattendue, le NPD devra informer le gouvernement de ses intentions avant de les rendre publiques.

Le pari de Singh

Le nouveau partenaire de danse des libéraux a présenté cette entente comme une victoire, tant pour le NPD que pour la population. « On a utilisé notre pouvoir pour aider les gens, maintenant », a plaidé le chef du parti, Jagmeet Singh, utilisant la phrase « on a utilisé notre pouvoir » à plus d’une reprise dans son allocution d’ouverture en conférence de presse.

Ce n’est pas du tout une carte blanche. On reste un parti d’opposition.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Et si les libéraux ne respectent pas les conditions édictées dans l’entente, les néo-démocrates n’hésiteront pas à retirer leur appui, a insisté le leader, qui avait réuni son caucus tard lundi soir afin de lui soumettre l’entente.

« Mais on commence avec une bonne volonté. On veut que ça fonctionne », a fait valoir M. Singh.

Il reste que son pari demeure risqué. « Le danger avec un mode de scrutin comme le nôtre – uninominal à un tour – est que l’identité même du parti plus petit qui s’associe au plus grand est fondue dans l’ordre du jour gouvernemental », fait remarquer le politologue de l’Université Laval Éric Montigny, en entrevue. « Il ne peut pas se reprendre avec un mode de scrutin proportionnel par la suite. »

Il cite en exemple le pacte conclu en 2010 entre les conservateurs et les libéraux démocrates au Royaume-Uni, qui a fini par faire diminuer considérablement les appuis du parti centriste.

Conservateurs et bloquistes fulminent

La première période des questions de cette nouvelle ère de collaboration entre libéraux et néo-démocrates a été échevelée, les deux chefs essuyant les railleries de leurs adversaires.

« Où irez-vous en lune de miel ? », a-t-on entendu fuser des banquettes conservatrices, tandis que les députés se moquaient de cette union politique en faisant tinter leurs verres d’eau, vraisemblablement pour recréer à la Chambre des communes ce rituel pour que les mariés s’embrassent lors des réceptions de mariage.

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Candice Bergen, cheffe intérimaire du Parti conservateur

Dans le camp conservateur, la cheffe intérimaire Candice Bergen a fustigé cette « entente secrète » qui vient de donner naissance à un « gouvernement néo-démocrate-libéral ». L’expression a été reprise tout au long de la séance, entre autres par le chef adjoint Luc Berthold, qui s’est moqué de la situation en demandant à Justin Trudeau à quel moment il comptait informer la vice-première ministre Chrystia Freeland qu’elle venait de perdre son poste.

« Ce n’est rien de plus qu’une façon pour Justin Trudeau de conserver le pouvoir », avait critiqué en matinée la cheffe Bergen. « Il ne faut pas se leurrer : le NDP est désormais en contrôle », ce qui se traduira par « l’anéantissement de l’industrie pétrolière et gazière et du gaz naturel liquéfié », a-t-elle soutenu, disant deviner le sentiment de « désespoir » que ce pacte fera naître dans l’ouest du pays.

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Si les bloquistes ont moins chahuté, ils ont néanmoins descendu en flammes cet accord qui vient de créer un gouvernement encore plus centralisateur qui viendra « piétiner » les champs de compétence des provinces, a reproché le chef Yves-François Blanchet. Un peu plus tôt, en conférence de presse, il clamait que le NPD venait d’« avouer sa propre inutilité » en concluant un accord qui « ne durera pas ».

Le dirigeant bloquiste a avancé que si le chef libéral avait cherché à conclure une telle alliance, c’est parce qu’il n’avait jamais accepté son statut minoritaire au Parlement. Il s’est donc « fabriqué un faux gouvernement majoritaire avec le NPD », a persiflé M. Blanchet. Il craint plus que jamais une intervention financière du gouvernement fédéral pour faire invalider la Loi sur la laïcité de l’État devant la cour.

Des promesses à tenir

Justin Trudeau pourra finalement gouverner pendant quatre ans, comme s’il détenait une majorité au Parlement, grâce au soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD). Assurance dentaire, scrutin étendu sur trois jours et élimination des subventions aux énergies fossiles… Voici les détails de l’entente conclue entre les deux partis.

Santé

En échange de l’appui des néo-démocrates, le gouvernement libéral lancera un programme de soins dentaires pour les gens à faible revenu qui serait d’abord accessible aux enfants de moins de 12 ans dès 2022, puis étendu aux adolescents, aux personnes âgées et aux personnes handicapées l’année suivante. Les ménages dont le revenu annuel est inférieur à 90 000 $ pourraient éventuellement en bénéficier.

Il s’agit d’une des promesses électorales du NPD, mais pas du Parti libéral du Canada. En fait, le discours du Trône qui a ouvert la nouvelle session parlementaire en novembre ne fait aucune mention d’un programme de soins dentaires.

Les libéraux s’engagent également à adopter une loi pour mettre en œuvre une assurance médicaments dans les provinces qui n’en ont pas d’ici la fin de 2023. Une première entente avec l’Île-du-Prince-Édouard avait été signée par le gouvernement Trudeau quelques jours avant le déclenchement de la campagne électorale en août.

Coût de la vie

Le gouvernement prolongera d’une année l’Initiative pour la création rapide de logements lancée en 2020 et dont la deuxième phase arrive à échéance le 31 mars.

Il changera également la définition de logement abordable – moins de 80 % du prix moyen du marché – de l’initiative de Financement de la construction de logements locatifs. La Presse avait révélé en octobre que ce programme avait servi à financer les loyers considérés comme abordables à 2225 $ par mois à Montréal.

Lisez l’article « 2225 $, un loyer “abordable” à Montréal, selon Ottawa »

Il inclura une somme unique de 500 $ à l’Allocation canadienne d’aide au logement en 2022, qui pourrait être renouvelée au cours des années suivantes si l’inflation demeure élevée.

Changements climatiques

Les libéraux s’engagent à « éliminer progressivement » les subventions pour les énergies fossiles dès cette année et à « progresser » dans la mise en œuvre de mesures pour « réduire considérablement » les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2005, d’ici 2030.

Ils créeront également un Centre de formation pour les emplois propres pour rediriger les travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière vers des secteurs moins polluants.

Travailleurs, peuples autochtones, fiscalité et démocratie

Le gouvernement Trudeau s’engage à déposer un projet de loi anti-briseurs de grève d’ici la fin de 2023 qui s’appliquerait aux industries régies par le gouvernement fédéral.

Les libéraux injecteront une somme d’argent supplémentaire pour le logement autochtone en 2022. La mise en œuvre relèvera des communautés.

Ils s’engagent à modifier l’impôt des institutions financières qui ont engrangé des profits importants durant la pandémie. Le NPD avait promis une taxe sur les « profits excessifs » des grandes entreprises quelques jours avant le début de la campagne électorale.

Les libéraux ont promis aux néo-démocrates d’étendre le vote lors d’élections de un à trois jours.

Ils s’engagent aussi à ce que le nombre de sièges du Québec à la Chambre des communes « demeure constant ».

Création d’un groupe bipartite

L’entente contient plusieurs autres politiques que le gouvernement libéral avait déjà l’intention de réaliser, puisqu’elles étaient dans son programme électoral. Celle-ci s’appuie sur le principe directeur du « sans surprise ». Les deux partis travailleront donc en coordination.

Un groupe de surveillance composé d’employés politiques et de députés se réunira tous les mois pour mesurer les progrès. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, rencontrera le premier ministre « au moins une fois par trimestre » et des réunions régulières auront lieu entre les leaders de chacun des partis à la Chambre des communes et entre leurs whips.

Le NPD soutiendra le gouvernement lors des votes de confiance touchant les questions budgétaires et ne votera pour aucune motion de censure jusqu’en 2025. Si un vote de confiance est déclaré sur d’autres questions, le NPD s’engage à tenir des discussions avec les libéraux en amont.