(Ottawa) « Nous voulons vivre. Nous voulons être victorieux », a plaidé le président Volodymyr Zelensky devant le Parlement canadien, dans une allocution historique, mardi. Justin Trudeau, lui, a rendu hommage à son « ami », un « champion de la démocratie », et un « dirigeant courageux et exceptionnel ».

Le président Volodymyr Zelensky a consacré une bonne partie de son discours à parler de ce que son peuple subit, depuis le 24 février dernier, au jour 20 de l’invasion russe en Ukraine, en invitant les Canadiens à tenter de s’imaginer ce que représente leur « réalité », celle des villes assiégées, pilonnées.

« Imaginez recevoir chaque jour les statistiques sur le nombre de victimes. Des femmes. Des enfants. Depuis le début de la guerre, 97 enfants sont morts […] Imaginez la tour du CN à Toronto pilonnée. Imaginez qu’elle soit frappée par des bombes russes », a-t-il illustré.

« Imaginez qu’à quatre heures du matin, vous entendez des bombardements, des explosions massives […] Imaginez le bombardement de vos villes. Des missiles tombent, et vos enfants vous demandent ce qui se passe », a enchaîné le dirigeant.

Vêtu d’une veste kaki, drapeau ukrainien en arrière-plan, l’ennemi numéro un du Kremlin a dit son désir impérieux, et celui des Ukrainiens, de sortir victorieux du conflit. Parce que « chaque nuit est un cauchemar ». Et parce que « nous voulons vivre », a-t-il lancé dans ce discours virtuel prononcé en ukrainien, selon la traduction française fournie par le Parlement.

« Nous souhaitons vaincre pour vivre », a insisté M. Zelensky, réitérant auprès des élus canadiens sa requête d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de son pays. « Combien de missiles et d’attaques doivent avoir lieu avant de prendre des mesures ? », leur a-t-il demandé.

La requête de Kyiv de créer une telle zone, qui entraînerait l’obligation de patrouiller dans les airs et impliquerait le risque d’avoir à abattre, éventuellement, un avion russe, a été balayée d’un revers de main par les pays de l’OTAN, y compris le Canada.

N’empêche, à la Chambre des communes, mardi, l’appui du Canada a été bruyamment manifesté. « Slava Ukraini ! » (« Gloire à l’Ukraine ! »), s’est-on époumoné maintes fois à l’issue de l’allocution de Volodymyr Zelensky, qui récidivera ce mercredi avec un discours devant le Congrès américain.

« Champion de la démocratie »

Le Parlement a été rappelé mardi à l’occasion de cet évènement historique. C’est le premier ministre Justin Trudeau qui a pris la parole en premier, dans une enceinte pleine à craquer, afin de présenter celui qu’il a qualifié d’« ami ».

« Volodymyr, je te connais depuis des années, et je t’ai toujours considéré comme un champion de la démocratie. Et maintenant, les démocraties du monde entier ont de la chance de t’avoir comme champion », a-t-il lancé à l’intention du président de l’Ukraine.

« Ton courage, et le courage de ton peuple, nous inspirent tous. Vous défendez le droit des Ukrainiens de choisir leur propre avenir. Et ce faisant, vous défendez les valeurs qui constituent les piliers de tous les pays libres et démocratiques », a-t-il enchaîné.

« La liberté. Les droits humains. La justice. L’ordre mondial. Ce sont les valeurs pour lesquelles tu mets ta vie en péril alors que tu te bats pour l’Ukraine et les Ukrainiens », a poursuivi M. Trudeau, dont l’allocution a été suivie par celles des présidents du Sénat et de la Chambre, puis des chefs des partis de l’opposition.

Une zone d’exclusion aérienne humanitaire ?

La leader intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen, a salué le « courage » de Volodymyr Zelensky ainsi que son sens du « sacrifice » dans l’exercice de son leadership. Elle a aussi plaidé que Vladimir Poutine devait être traduit pour ses crimes devant la Cour pénale internationale (CPI).

Chose étonnante : elle a plaidé pour l’instauration d’une forme de zone d’exclusion aérienne.

« Nous devons protéger, au minimum, l’espace aérien au-dessus des couloirs humanitaires afin que les Ukrainiens puissent trouver un passage sûr, loin des zones de guerre, et afin de permettre aux secours humanitaires d’atteindre les zones assiégées », a-t-elle déclaré en lisant un discours préparé.

Dans les banquettes conservatrices, comme dans les tribunes où se trouvaient des personnes issues de la diaspora ukrainienne, cette proposition – qui entre en contradiction avec la position actuelle de l’OTAN – a été applaudie, mais pas chez les libéraux.

Et à l’issue du discours, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, y est allée d’une mise en garde.

« La position du gouvernement du Canada a toujours été la même, la même que celle de ses alliés, c’est-à-dire que l’objectif est de ne pas [déclencher] un conflit international, donc une Troisième Guerre mondiale », a-t-elle dit au micro, dans le foyer de la Chambre des communes.

La cheffe de la diplomatie a parlé d’une « ligne rouge » à ne pas franchir.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a affiché la même réserve. « Je suis d’accord avec le gouvernement canadien sur le fait que c’est un risque qu’on ne peut pas se permettre de prendre », puisque Moscou interpréterait vraisemblablement un tel geste comme un « acte de guerre », a-t-il soutenu.

« N’importe qui qui est prêt à assassiner des milliers de personnes est forcément dérangé mentalement. Et ce dérangé mental là a le doigt sur le piton nucléaire. Je ne suis pas de ceux qui prétendent que nous sommes à l’orée d’une guerre nucléaire, mais ne jouons pas avec le feu », a ajouté M. Blanchet.

De nouvelles sanctions

Dans l’attente de ce discours, une petite poignée de manifestants antiguerre étaient postés à l’extérieur de l’édifice de l’Ouest, mardi matin. « Zone d’exclusion aérienne = guerre nucléaire », lisait-on sur la pancarte d’un homme au pied de l’escalier donnant accès au parlement.

« Négociez un cessez-le-feu ! Cessez d’envoyer des armes », était-il écrit sur la celle d’une femme à ses côtés.

Le Canada a envoyé des armes létales en Ukraine, à l’instar d’alliés comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Il a aussi frappé le régime de Vladimir Poutine d’une série de sanctions économiques, les plus récentes, visant 15 personnes de l’entourage du président, ayant été annoncées avant le discours de Volodymyr Zelensky.