Le 7 novembre, cinq des dix plus grandes villes du Québec (Montréal, Longueuil, Gatineau, Sherbrooke et Saguenay) ont élu des mairesses. Après maints scandales de corruption ayant mis en lumière beaucoup de politiciens au profil semblable, le fait d’être une femme – mieux encore, une jeune femme à la réputation sans tache – n’a soudainement plus joué contre elles. Portrait d’une révolution municipale qui dépasse la seule question de genre.

« Casser le moule »

Évelyne Beaudin, mairesse de Sherbrooke

PHOTO JESSICA GARNEAU, LA TRIBUNE

Évelyne Beaudin, mairesse de Sherbrooke

« En tant que femme, c’était plus facile d’incarner le changement. En campagne électorale, on a beaucoup misé là-dessus. On a fait faire un gros panneau, sur lequel il était écrit : “En 2021, on réécrit l’Histoire”. Il y avait ma photo et celle des 12 maires précédents. Tous des hommes. Le contraste était frappant. »

Non seulement l’Histoire a été réécrite, mais la vapeur a été totalement renversée. Ainsi, 11 des 15 conseillers municipaux de Sherbrooke sont des femmes et le comité exécutif est exclusivement composé de femmes. « Je ne l’ai pas fait exprès, ça a adonné comme ça. À la blague, j’ai moi-même lancé qu’on n’avait pas la parité, puis ça m’a été reproché pour vrai. »

Voilà trois mois qu’elle est en poste et elle doute que toute discrimination contre des politiciennes soit une affaire du passé. « Les femmes sont infantilisées. Même quand elles sont diplômées universitaires – je suis moi-même économiste – on nous juge comme si on avait 10 ans de moins. J’ai 33 ans, mais on me traite comme si j’en avais 23. Oui, c’est correct, tu peux me parler de conduites d’égouts et je vais comprendre. »

« Aux nouvelles, il y a quelques semaines, un promoteur immobilier mécontent qu’on ne soit pas allé de l’avant avec son projet a dit à mon sujet : “Ces filles-là, elles ne connaissent rien à la construction.” Aurait-il dit la même chose d’un maire ? Des hommes qui n’y connaissent rien à la construction, il y en a pourtant beaucoup ! »

Il y a aussi eu, poursuit-elle, un autre topo avec un citoyen furieux de la hausse de taxes. « Il a lancé : “Elle ne sait pas gérer, tu sais, quand la seule affaire que t’as gérée dans ta vie, ce sont des prêts et bourses…” »

Tant pis. Après tout, si elle s’est présentée comme mairesse, dit-elle, « ce n’est pas pour [se] fondre dans le moule. C’est pour casser le moule ».

Et quel est ce moule ? « Celui fait de fonctionnaires qui gèrent la ville tandis que les élus ne font que dire oui aux projets en n’exerçant qu’un rôle très minime. »

« Faire une différence dans la vie des gens »

France Bélisle. mairesse de Gatineau

PHOTO PATRICK WOODBURY, LE DROIT

France Bélisle, mairesse de Gatineau

France Bélisle a été très surprise par l’attention médiatique portée à la course à la mairie, qui se faisait entre deux femmes. « On est quand même en 2022 ! »

C’est que cette époque où elle devait batailler pour avoir sa place lui semblait derrière elle.

Journaliste de formation, elle a passé 18 ans à Radio-Canada, notamment comme réalisatrice et productrice, à une période, souligne-t-elle, « où les salles de rédaction étaient encore très masculines au Canada ».

Là comme à Tourisme Outaouais, dont elle a été la présidente-directrice générale pendant six ans, elle dit avoir souvent entendu « la rhétorique de “mon oncle” du genre : “Salut ma belle, on va te l’expliquer le dossier” ».

Le chemin lui est finalement apparu si défriché qu’elle n’a fait aucun cas pendant sa campagne du fait qu’elle était femme. De toute façon, ça n’aurait pas pu jouer, l’une ou l’autre des deux candidates étant destinée à devenir la première mairesse de Gatineau !

Pour gagner, elle a misé gros. Démissionné de son poste à Tourisme Outaouais, vendu sa maison pour déménager en appartement.

« Je n’avais pas envie de me mettre sur la paille pour vivre mon rêve politique ! Je n’avais pas de plan B, je me disais juste que si jamais je perdais, j’allais faire autre chose. »

Elle a l’impression que plus que tout, le fait qu’elle soit nouvelle en politique l’a bien servie. « Les citoyens étaient contents que je ne sois pas issue du conseil, que j’arrive sans bagage », en quelque sorte.

Son passé de journaliste l’a aussi beaucoup aidée, estime-t-elle, disant avoir pas mal donné dans le vox-pop de centres commerciaux. En journalisme comme en politique, « c’est une question de relations humaines. Il faut arriver à vite créer un lien avec son interlocuteur ».

À l’évidence, elle se sent comme un poisson dans l’eau. Comme quelqu’un qui, de nouveau, pourrait être repêché en politique provinciale ou fédérale. Elle avoue avoir été déjà sollicitée au provincial. Elle a décliné l’offre.

« Mon chum me trouvait folle. “Les nids-de-poule, le déneigement… Tu veux vraiment faire ça ?” Oui, parce que la politique municipale, c’est beaucoup plus que ça, c’est le palier politique où on peut vraiment, au quotidien, faire une différence dans la vie des gens. »

Mais elle ne dit pas non. Un jour, peut-être, pour réaliser son rêve, celui de devenir ministre des Régions. « J’adore les régions. Elles sont tellement contributrice de l’ADN du Québec. »

« Une belle façon de faire bouger la société »

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

Entrée en poste en pleine crise des cerfs, Catherine Fournier a déjà dû dénoncer à la police une dizaine de menaces qu’elle a reçues contre sa personne, en à peine trois mois. Et ce n’est là qu’une fraction de la haine qu’on lui crache sur les réseaux sociaux, notamment par divers messages sexistes et photos explicitement sexuelles.

Elle est bien consciente que si un homme avait été élu maire, il aurait lui aussi reçu son lot de messages haineux. « Mais un homme, lui, ne recevrait pas de vidéo de masturbation », précise-t-elle cependant.

À la longue, on s’habitue à tant de fiel, « mais il ne faut pas. Il faut dénoncer. […] Et surtout, il ne faut pas que ça soit un frein pour une femme qui souhaiterait se lancer en politique. La politique municipale, c’est tellement une belle façon de faire bouger la société ! »

Et exception faite des messages menaçants et sexistes, elle pense que le fait d’être femme l’a aidée à se faire élire. « Il y avait un enthousiasme certain de la population, une volonté d’aller vers autre chose que le modèle traditionnel. »

Elle ne veut en rien dénigrer le profil typique de l’homme plus âgé, issu d’un certain milieu professionnel, mais elle dit avoir noté que « dans l’imaginaire collectif, à tort ou à raison, des gens font des liens avec une certaine façon de faire de la politique ».

Avec les élections de 2021, à son avis, on est vraiment « passé à une autre étape ».

« Avant, les villes étaient des administrations. Maintenant, même par la loi, elles sont des gouvernements de proximité. Des élus arrivent donc souvent avec une vision politique, souvent très progressiste, avec une envie de faire avancer certains enjeux comme l’environnement. »

« Un réel désir de changement »

Julie Bourdon, mairesse de Granby

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Julie Bourdon, mairesse de Granby

Julie Bourdon est la première femme mairesse de Granby, l’ayant emporté contre trois hommes, dont un ancien maire. « Les citoyens me disaient carrément que ça ferait du bien d’avoir une femme à la mairie. Il y avait un réel désir de changement. »

Selon elle, l’élection puis la réélection de Valérie Plante à Montréal ont ouvert la voie et accru « l’acceptabilité sociale » des candidates aux élections municipales.

Mais celles qui ont gagné la mairie ne se distinguent pas seulement par leur genre, souligne-t-elle. « Les élues [des grandes villes du Québec] sont toutes allées à l’université et même si certaines sont jeunes, elles ont derrière elles de l’expérience. »

Comme Catherine Fournier, évoque-t-elle, qui, à 29 ans, a cinq ans d’expérience comme députée provinciale.

Ces jeunes femmes se sont portées candidates aux élections avec la volonté « de faire de la politique autrement, de façon plus consensuelle, moins conflictuelle », avec une vision et avec des priorités autres que celles de précédents élus municipaux.

« Cela est sans doute aussi générationnel. Beaucoup de nouvelles mairesses ont à cœur la protection des milieux naturels, par exemple, mais ce n’est pas le cas des seules femmes élues. C’est aussi l’une des priorités de Stéphane Boyer, devenu maire à Laval. »

Une route encore longue avant d’atteindre la parité

Malgré l’avancée des femmes à la tête de grandes villes du Québec, la route sera encore très longue avant que la parité soit atteinte dans l’ensemble des municipalités du Québec, où l’on ne compte toujours que 23,6 % de mairesses et 38,5 % de conseillères dans les hôtels de ville.

Aux élections de 2021, 2883 femmes ont été élues. La représentation féminine au sein des conseils municipaux (mairesses et conseillères confondues) a augmenté à 36,4 % en novembre, soit 4,1 points de pourcentage de plus qu’en 2017.

Julie Bourdon, nouvelle mairesse de Granby et présidente de la Commission Femmes et Gouvernance à l’Union des municipalités du Québec, note que cette vague a été précédée d’un travail de longue haleine pour favoriser des candidatures féminines. « Ç’a porté ses fruits », se réjouit-elle.

« Il est important de souligner l’évolution du nombre de femmes au pouvoir dans les grandes municipalités, observe aussi Thérèse Mailloux, présidente pour sa part du Groupe Femmes, Politique et Démocratie. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire pour les petites municipalités. »

Et ce n’est pas l’effet du hasard, relève-t-elle. Dans les grandes villes de 50 000 habitants et plus, on retrouve des partis politiques et les femmes, « qui disposent ainsi de plus de soutien, sont plus susceptibles de se porter candidates », poursuit Mme Mailloux.

« Au Québec, nous avons un grand nombre de municipalités de moins de 5000 habitants où l’on retrouve des conseils municipaux largement masculins », explique Thérèse Mailloux.

Dans les petits villages, il est plus difficile de se présenter comme candidate indépendante quand il y a des élus sortants qui sont déjà en place depuis plus d’un mandat.

Thérèse Mailloux, présidente du Groupe Femmes, Politique et Démocratie

En 2021, Isabelle Lessard a marqué l’histoire en devenant, à 21 ans, la plus jeune mairesse du Québec, à Chapais, à 45 kilomètres de Chibougamau. Elle avoue que si le maire sortant s’était présenté de nouveau, elle ne l’aurait pas fait elle-même.

PHOTO FOURNIE PAR ISABELLE LESSARD

Isabelle Lessard, mairesse de Chapais

Elle avait un adversaire à la mairie, mais il s’est désisté avant les élections. Elle n’a pas été prise de court pour autant.

Sa candidature était sérieuse, note-t-elle, expliquant ne pas s’être présentée pour être une simple figurante.

« Je voulais vraiment gagner ! », lance-t-elle en entrevue téléphonique.

C’est ainsi qu’elle est devenue mairesse, dans un presque désert démocratique, cependant, quatre des six postes de conseillers étant restés vacants.

Sa victoire malgré son si jeune âge a-t-elle fait comprendre à d’autres qui manquaient de confiance que c’était possible ? En tout cas, « pour chaque poste, aux élections partielles qui ont immédiatement suivi, il y a eu deux candidats », souligne-t-elle.

Après sa propre élection, Isabelle Lessard dit avoir entendu quelques chuchotements à propos « de la petite jeune » devenue mairesse. « Et je comprends les gens ! Je suis un peu sortie de nulle part ! »

Mais elle se sentait prête. Elle avait déjà fait de la gestion de projet dans le milieu communautaire et elle ne se sent pas du tout dépassée.

« Je ne partais pas de zéro et aussi bien les conseillers que les employés de la Ville m’ont très bien appuyée. »