Jean Charest demande à un juge de forcer le Procureur général du Québec à lui remettre d’ici cinq jours les documents qu’il attend depuis des mois pour appuyer sa poursuite en dommages contre l’État québécois, a appris La Presse. Sa demande survient alors que les partis débattent de son héritage à l’Assemblée nationale, en attendant de voir s’il se lance dans la course à la direction du Parti conservateur du Canada.

« Il est essentiel pour [M. Charest] d’obtenir copie de toutes les pièces […] et ce, le plus rapidement possible », lit-on dans un avis déposé au palais de justice de Montréal par les avocats de l’ancien premier ministre. La Presse a obtenu une copie du document, daté de vendredi dernier.

Jean Charest a déposé une poursuite contre le gouvernement du Québec en octobre 2020 pour violation de sa vie privée. Il dit avoir subi d’importants préjudices en raison de la fuite des documents d’enquête confidentiels de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) sur le financement du Parti libéral du Québec, obtenus par le groupe Québecor et publiés à partir d’avril 2017.

On y retrouvait notamment des informations sur les voyages de l’ancien premier ministre et un organigramme où apparaissait sa photo. Les informations provenaient du projet Mâchurer, une enquête qui est toujours ouverte, mais qui n’a mené à aucune accusation à ce jour.

Frustration et embarras

Dans sa poursuite, M. Charest fait état de la « frustration » et de l’« embarras » ressentis par sa famille et lui après la publication de ces informations confidentielles. Il a déjà indiqué qu’il aurait été prêt à renoncer à sa démarche judiciaire en échange d’excuses publiques du gouvernement, mais que son offre a été refusée.

M. Charest réclame 1 million de dollars en dommages.

Selon l’avis déposé en cour, M. Charest et ses avocats attendent depuis la mi-juillet certains documents importants pour sa poursuite, que le Procureur général du Québec s’était engagé à lui fournir.

En septembre, MMichel Déom, l’un des avocats du ministère de la Justice qui représente le Procureur général dans cette affaire, avait avoué dans un courriel déposé au dossier que le processus était fastidieux. « Nous avons eu plusieurs difficultés à récupérer les documents », disait-il.

Il mentionnait notamment des documents gardés au palais de justice de Saint-Jérôme qui auraient été « endommagés par une fuite d’eau » et auraient été envoyés « chez un sous-traitant afin d’être remis en état ».

Le 4 février dernier, deux jours après le départ du chef conservateur Erin O’Toole, les avocats de Jean Charest sont revenus à la charge pour demander au Procureur général du Québec quand les documents sur leur client seraient transmis. Ils affirment ne pas avoir eu de réponse, et demandent donc à un juge de forcer les représentants de l’État à agir promptement. La cour doit se pencher sur la demande ce jeudi. Jean Charest est représenté par le cabinet Jeansonne Avocats, qui a piloté plusieurs dossiers de diffamation au fil des ans.

Le ministère de la Justice du Québec a dit ne pas vouloir commenter le dossier, « par respect pour le processus judiciaire ».

Mécontent des propos des autres partis

Le 14 février, La Presse a écrit que des députés québécois du Parti conservateur du Canada « courtisent avec ardeur » Jean Charest afin qu’il se présente à la direction du parti. Une victoire en cour contre l’État québécois relativement aux dommages causés par le coulage d’information à son sujet pourrait l’aider à passer à autre chose.

Encore cette semaine, M. Charest a fait savoir au caucus du Parti libéral du Québec qu’il était mécontent d’être associé à des allégations de corruption par d’autres formations politiques.

« J’ai parlé à M. Charest. La teneur de la conversation a été que les propos tenus par les chefs de parti sont totalement inacceptables », a dénoncé mercredi la députée Lise Thériault, qui a été ministre dans les gouvernements Couillard et Charest.

Mardi, la Coalition avenir Québec, le Parti québécois et Québec solidaire s’étaient attaqués à l’héritage de M. Charest. Le ministre de la Cybersécurité, Éric Caire, a indiqué que Jean Charest n’a « pas été un modèle » éthique. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a dit à son tour que l’héritage de Jean Charest est d’avoir « d’une certaine manière normalisé la corruption en la banalisant ». Le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a affirmé que M. Charest avait « affaibli » la démocratie « par la corruption ».

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a quant à lui affirmé en chambre que « tout le monde au Québec sait qu’il y avait les places en garderie, puis que le Parti libéral a vendu ça au privé en échange des donations ».

« J’étais enragée »

La sortie a fortement déplu à Mme Thériault. « J’étais enragée quand j’ai pris connaissance des propos », a-t-elle lancé. Elle a répliqué à chacune des critiques en lançant ses propres attaques.

« À ce que je sache, l’UPAC a été obligée de s’excuser pour Guy Ouellette. Peut-être que M. Gaudreau [le patron de l’UPAC] devra aussi s’excuser pour M. Charest à un certain moment donné », a affirmé Mme Thériault.

Elle a conclu sa tirade en affirmant que « lancer de la boue n’est pas une manière honorable de faire de la politique ».

De son côté, même s’il dit n’avoir « jamais été un fan de Jean Charest », le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, considère que son bilan comme premier ministre est « meilleur » que celui de François Legault.

Avec Tommy Chouinard, La Presse

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    Nombre d’années écoulées depuis l’ouverture par l’UPAC de l’enquête Mâchurer sur le financement du Parti libéral du Québec à l’époque de Jean Charest.
    source : Unité permanente anticorruption