Pour souligner la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, La Presse vous propose une série d’articles qui se penchent sur les entraves au droit du public à l’information et les solutions pour y remédier.

(Québec ) Les gouvernements se succèdent et le constat reste le même : la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics « n’est plus adaptée à notre réalité ». C’est le constat que fait à La Presse la présidente de la Commission d’accès à l’information (CAI), MDiane Poitras. Elle enjoint au gouvernement d’entreprendre une réforme, attendue et réclamée depuis des années.

MDiane Poitras préside la Commission d’accès à l’information. À la barre d’un organisme de surveillance qui sert aussi de tribunal administratif, elle est responsable d’assurer le respect des droits et obligations prévus par la « Loi sur l’accès ». Mais de son propre avis, cette loi présente des limites qui plaident plus que jamais pour une importante réforme.

Adoptée à l’unanimité en 1982, la Loi sur l’accès plaçait à l’époque le Québec parmi les « pionniers » en matière de transparence gouvernementale. Elle était le fruit d’une réflexion entamée par Jean Paré, rédacteur en chef du magazine L’actualité, à la demande du premier ministre René Lévesque.

« L’objectif du rapport Paré était d’assurer un plus grand contrôle de la chose publique aux citoyens. Une reddition de comptes exige plus de transparence […] tout en diminuant l’arbitraire dans l’information qui est rendue publique, rappelle MPoitras. On recommandait aussi que les exceptions au droit d’accès soient peu nombreuses, bien définies et non arbitraires. »

« Quarante ans plus tard, la société a évolué, mais il n’y a pas eu de réforme majeure de la loi. Ce qu’on entendait à l’époque par des exceptions peu nombreuses, bien définies et non arbitraires, je ne suis pas sûre que la loi ait évolué pour répondre aux attentes des citoyens dans la société actuelle », juge la présidente de la CAI.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, FOURNIE PAR DIANE POITRAS

MDiane Poitras, présidente de la Commission d’accès à l’information

La loi n’est plus adaptée à notre réalité en 2021. […] L’avènement de l’internet et les lois plus modernes adoptées par la suite dans d’autres juridictions font que cette loi est rendue désuète.

MDiane Poitras, présidente de la Commission d’accès à l’information

Un constat bien documenté

Ces conclusions de la Commission d’accès à l’information sont connues des gouvernements depuis des années. Le plus récent rapport quinquennal de l’organisme remonte à 2016 et le prochain est prévu d’ici la fin de l’année.

Dans ce dernier rapport, « on concluait que les restrictions au droit d’accès ne reflétaient [pas] les lois plus modernes adoptées dans le monde ces 40 dernières années », rappelle MDiane Poitras. D’autant plus que la Commission plaidait aussi en 2002 pour une diffusion proactive de documents, ce qui a été fait de façon limitée.

« Des lois plus progressistes ont été adoptées [ailleurs]. Il faut s’inspirer de ces modèles qui démontrent qu’il n’y a pas un ministère ou organisme qui s’est retrouvé en fâcheuse position à la suite de la divulgation d’information », affirme MPoitras.

Selon la présidente de la Commission, la Loi sur l’accès devrait être plus précise et limitée quant aux restrictions qui peuvent être imposées à la diffusion de documents.

Dans la plupart des lois modernes, on a ajouté la primauté de l’intérêt public. Le rapport Paré suggérait à l’époque la diffusion optimale. Aujourd’hui, on doit se rendre à la diffusion maximale, à moins que l’intérêt public commande clairement qu’on ne doive pas divulguer une information.

MDiane Poitras, présidente de la Commission d’accès à l’information

« Ça implique qu’il faut que les organismes publics aient les ressources nécessaires allouées au traitement des demandes d’accès. Ce n’est pas un service offert aux citoyens. C’est un droit fondamental », rappelle MPoitras, ajoutant qu’en « temps de pandémie et de crise, on a vu comment la confiance de la population était importante et comment la reddition de comptes prend tout son sens ».

Une réforme qui va attendre

Le ministre responsable de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, Éric Caire, reconnaît que la loi « a besoin d’être réformée ». Mais si Québec revoit pour l’instant tout le volet sur la protection des renseignements personnels, celui de l’accès pourrait devoir attendre un moment.

« Je ne prends pas l’engagement de réformer la loi d’accès à l’information avant la fin du présent mandat. […] Mais ce n’est pas quelque chose qu’il faut tarder à faire. C’est un chantier qu’il faut ouvrir aussi rapidement que possible », reconnaît le ministre à La Presse, dans le contexte où les délais prescrits par la Loi pour répondre aux demandes qui sont envoyées ne sont plus toujours respectés.

Entre-temps, M. Caire estime que son gouvernement en fait beaucoup sur la question des « données ouvertes », un chantier qui représente pour lui « l’avenir » de la transparence gouvernementale. Québec fait notamment un « inventaire et une catégorisation des données ».

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Éric Caire

Nous, ce qu’on a édicté comme règle, c’est que les données non sensibles doivent être des données ouvertes par défaut. On vient augmenter d’entrée de jeu les données ouvertes de façon significative.

Éric Caire, ministre responsable de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels

« Ça veut dire qu’au lieu de faire une demande d’accès à l’information classique […] on vient rendre cette information disponible pour les citoyens et les journalistes », ajoute-t-il.

Est-ce suffisant ?

Malgré cela, « on va devoir rouvrir la loi, c’est sûr », prévient le ministre caquiste. C’est la lecture qu’en fait aussi le député du Parti libéral Marc Tanguay, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’accès à l’information.

Après son élection en 2014, le précédent gouvernement libéral dirigé par Philippe Couillard, auquel appartenait M. Tanguay, avait promis de diriger « le gouvernement le plus transparent que les Québécois auront eu ». Mais la Loi sur l’accès, pour laquelle une réforme avait été promise, n’a pas été modernisée.

À la fin de leur dernière session au pouvoir, les libéraux avaient toutefois déposé le projet de loi 179 sur l’accès à l’information. M. Tanguay invite désormais le présent gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) à s’en inspirer pour accélérer la mise en œuvre d’une réforme.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Tanguay, porte-parole du Parti libéral en matière d’accès à l’information

La pandémie nous a encore plus mis devant le visage l’importance de réformer l’accès aux documents pour en élargir l’accès, diminuer les échappatoires, les raisons de refus et les délais. […] Je pense que c’est sain, pour une démocratie, la transparence.

Marc Tanguay, porte-parole du Parti libéral en matière d’accès à l’information

Alors que Québec étudie le projet de loi 64 sur la protection des données personnelles, l’opposition officielle proposera des amendements pour corriger au passage des lacunes de la partie de la loi qui traite d’accès à l’information. « Je pense qu’il y a une belle occasion pour ajuster certains éléments de manière rapide et efficace. La loi est ouverte », estime M. Tanguay.

La présidente de la Commission d’accès à l’information, MDiane Poitras, a également « bon espoir [de] convaincre le gouvernement d’agir rapidement ».

« Il y a déjà un projet de loi [qui a été déposé sous les libéraux] qui était une bonne base. Notre dernier rapport quinquennal faisait aussi le tour des enjeux. Je pense qu’ils ont tout ce qu’il faut pour aller de l’avant rapidement avec une réforme de l’accès aux documents », estime-t-elle.

Catherine Fournier veut un « statisticien en chef »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Catherine Fournier, députée indépendante

Pour la députée indépendante Catherine Fournier, « c’est beau de rappeler l’importance de l’accès à l’information, mais encore faut-il que cette information existe » et soit fiable. Mme Fournier a déposé il y a quelques jours un projet de loi qui « vise l’implantation d’une nouvelle culture de production de données au sein des ministères et organismes publics québécois ». « L’idée est que ces données circulent mieux dans l’objectif d’améliorer l’efficacité de l’appareil public. Le fait de rendre disponibles ces données pour le public et les médias répond également à un objectif de plus grande transparence. De plus, le projet de loi prévoit la création d’un nouveau chien de garde en la matière, le “statisticien en chef”, qui deviendrait le nouveau dirigeant de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et qui verrait ses pouvoirs nettement renforcés », explique-t-elle. Le gouvernement étant majoritaire, les chances sont toutefois minces que le projet de loi soit appelé pour être étudié.