(Ottawa) Une jeune femme dont la vie a été bouleversée après la publication d’une vidéo d’elle sur le site Pornhub dit être toujours traumatisée par la pornographie juvénile et plaide pour des règles plus strictes.

Serena Fleites a témoigné devant le comité de l’éthique de la Chambre des communes lundi. Elle a indiqué aux parlementaires qu’elle souffre d’une dépression perpétuelle et qu’elle a commencé à prendre de la drogue et à se mutiler depuis qu’une vidéo d’elle nue s’est retrouvée sur Pornhub.

Lorsqu’elle était en septième année — l’équivalent de la première année du secondaire au Québec —, son copain lui a demandé de lui envoyer une vidéo à caractère sexuel. Le fichier a fini par être diffusé sur Pornhub et l’expérience de Mme Fleites lui a démontré qu’il est impossible de le faire disparaître entièrement de l’internet.

« Beaucoup d’élèves qui étaient plus vieux que moi — surtout des garçons — tentaient de me harceler et me faisaient chanter en me disant que si je ne faisais pas certaines choses avec eux ou que je ne leur envoyais pas d’autres vidéos, ils enverraient ma vidéo à ma famille : ma grand-mère, ma mère, mes sœurs ou mon frère », a dit la jeune femme qui est maintenant âgée de 19 ans.

La résidante de la Californie a affirmé que Pornhub a mis plus d’une semaine avant de répondre à sa demande pour que la vidéo soit retirée de la plateforme, et plusieurs autres semaines avant de la supprimer. La séquence a malgré tout refait surface quelques jours plus tard et la jeune femme a dû répéter ce processus à plusieurs reprises, une expérience traumatisante, selon elle.

« Elle avait déjà été téléchargée partout dans le monde, donc même si elle était supprimée, quelqu’un la téléversait à nouveau. Peu importe le nombre de fois qu’elle se faisait retirer, elle finissait toujours par réapparaître » a souligné Mme Fleites en écorchant Pornhub au passage.

« Ils sont très égoïstes. Ils devraient vraiment se regarder dans le miroir, parce qu’ils pensent plus à l’argent et à leur contenu qu’aux vies humaines. »

L’avocat de Mme Fleites, Me Michael Bowe, a soutenu que sa cliente n’était pas la seule jeune femme dont les images privées se sont retrouvées sur le site du géant de la diffusion en continu. Selon lui, d’autres victimes d’agression sexuelle ou de traite ont connu le même sort, ce que l’entreprise propriétaire de Pornbub, MindGeek, a réfuté.

Le témoignage de Mme Fleites, qui a fait couler une larme sur la joue de plusieurs députés, est survenu alors que de nombreux élus ont fait part de leurs craintes quant à la vie privée et aux sites pornographiques.

Les membres du comité ont convoqué le PDG de MindGeek, Feras Antoon, et le directeur des opérations de l’entreprise, David Tassillo, à venir témoigner devant eux « pour expliquer l’incapacité de l’entreprise à interdire les vidéos de viol et autres médias illégaux de son site », selon une motion du comité déposée en décembre dernier.

Cette réunion du comité de l’éthique faisait suite à une action collective déposée par des résidants du Québec et de l’Ontario qui soutiennent que MindGeek — dont le siège social se trouve légalement au Luxembourg, mais qui possède ses bureaux principaux à Montréal — a tiré profit de la présence d’images provenant d’exploitation sexuelle de mineurs et de contenu publié sans autorisation sur sa plateforme depuis 2007.

Pornhub a indiqué avoir retiré tous les fichiers téléversés par des utilisateurs non vérifiés, après avoir été accusé d’héberger du contenu illégal sur ses serveurs.

En décembre, Visa et Mastercard ont déclenché des enquêtes sur la présence de contenu illégal sur Pornhub et ont empêché que leurs cartes de crédit soient utilisées sur le site, ce qui a poussé l’entreprise à réagir.

Une enquête du New York Times publiée le mois dernier a conclu que des vidéos provenant d’abus et d’exploitation de mineurs étaient présentes sur la plateforme.

MindGeek et Pornhub n’avaient pas répondu aux demandes de La Presse Canadienne au moment de publier lundi.

Le comité à l’éthique prévoit déposer un rapport avec ses constats et ses recommandations dans les prochains mois.

Pornhub s’est retrouvé sous le feu des projecteurs depuis le début de la pandémie de COVID-19, puisque son nombre d’utilisateurs a monté en flèche. L’entreprise a aussi vu sa cote de popularité s’améliorer auprès de sa clientèle lorsqu’elle a rendu accessible à tous ses utilisateurs du contenu autrefois réservé aux utilisateurs payants.

Le site a d’ailleurs gravi les échelons dans les classements des sites l’internet les plus visités. Selon un palmarès, Pornhub serait le 11e site le plus visité au monde.

Lors de la séance de lundi, Me Bowe a soutenu que les cas comme celui de sa cliente sont une partie intégrante du modèle d’affaires du site qui génère plusieurs milliards d’interactions chaque jour, et que MindGeek « a pris la décision de commercialiser ce type d’actions ».

« Plutôt que de reconnaître le problème et de l’attaquer de front, l’entreprise a plutôt choisi de mener une campagne agressive dans les médias et sur les réseaux sociaux pour discréditer les victimes et éviter le sujet », a dit l’avocat.

Lorsque Mme Fleites a demandé à Pornhub de retirer la vidéo de sa plateforme, l’entreprise lui a demandé plusieurs preuves d’identité, « ce qui a ralenti le processus, même si l’on voyait clairement que c’était une enfant sur la vidéo », a-t-elle raconté.

« Elle attirait des interactions sur leur site et ils pouvaient en retirer des revenus publicitaires », selon elle.

« Je trouve incroyable de voir comment ils ont continué à agir de cette façon, même si je sais que beaucoup d’autres personnes ont vécu la même chose que moi. »