(Washington) Le président des États-Unis, Joe Biden, pourrait-il mettre un frein à son plan d’offrir un généreux crédit d’impôt sur les véhicules zéro émission assemblés aux États-Unis, ou encore l’édulcorer ? « Je ne sais pas », a-t-il offert en guise de réponse, jeudi, sous le regard de Justin Trudeau.

Le dirigeant américain, qui accueillait son vis-à-vis canadien pour un tête-à-tête dans son bureau pour la première fois depuis son élection, a insisté sur le fait que le Congrès ne s’est pas encore prononcé sur sa proposition de nature protectionniste.

« Nous allons parler de cela. La législation n’a même pas été adoptée à la Chambre des représentants […] et on ne sait pas ce qui arrivera au Sénat, et il y a plusieurs facteurs compliqués, alors nous allons en parler, a-t-il affirmé dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche, à Washington.

Lorsqu’on lui a demandé si un compromis pourrait être négocié, le dirigeant américain a répliqué ceci derrière son masque, d’un ton légèrement détaché : « La réponse, c’est que je ne le sais pas. Je ne sais pas avec quoi nous devrons composer, franchement ».

Le président américain s’est montré un peu plus guilleret dans son mot d’ouverture, qualifiant la relation entre le Canada et les États-Unis de « l’une des plus faciles » et « l’une des meilleures », après avoir lancé une blague sur le système de santé universel canadien.

« Vous avez tous une assurance maladie, n’est-ce pas ? Au cas où vous vous blesseriez… »

De son côté, le premier ministre canadien a déclaré que c’était « un grand plaisir d’être ici pour parler d’environnement, pour parler de commerce, pour parler d’en finir avec la pandémie ». Il a ajouté qu’il y avait « beaucoup de travail à faire ».

Mercredi, la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a lancé une forme de mise en garde à l’intention de l’administration Biden au sujet de cette proposition de crédit d’impôt d’un montant maximal de 12 500 $ que l’on veut offrir pour l’achat de véhicules zéro émission « made in USA ».

Elle a prévenu que la mesure allait « absolument contre » le nouvel ALENA, et assuré que le message a été transmis aux plus importants leaders du Congrès américain, mercredi, à l’occasion de réunions bipartisanes entre la délégation ministérielle canadienne et des ténors républicains et démocrates.

En conférence de presse, tard jeudi soir, à l’ambassade du Canada de Washington, Justin Trudeau n’a pas voulu dire si son interlocuteur avait laissé miroiter un compromis. Et sans aller jusqu’à dire qu’il avait plus de facilité à composer avec le protectionnisme de Joe Biden qu’avec celui de son prédécesseur, Donald Trump, il a affirmé que le nouveau locataire de la Maison-Blanche et lui avaient « énormément d’atomes crochus ».

Mais n’empêche, même si « nous savons que le projet de loi à l’étude au Congrès est extrêmement important pour cette administration », l’intégration « de nos économies et de nos chaînes d’approvisionnement » signifie que « dès qu’il y a protectionnisme contre le Canada, ça fait mal à des travailleurs et des manufacturiers aux États-Unis [aussi] », a-t-il souligné.

Et cet élément précis « ne tient pas pleinement compte à quel point la production automobile a un niveau d’intégration considérable entre nos deux pays depuis plus de 50 ans », car « une pièce automobile peut traverser la frontière dans un sens et dans l’autre six ou sept fois avant de se retrouver dans la ligne d’assemblage », a-t-il noté.

Dans le camp canadien, on estime que le message a été « entendu ».

« Nous ne le voyons pas comme ça »

« Ils ont formulé l’incitatif d’une manière qui aurait vraiment, vraiment, le potentiel de devenir l’enjeu dominant de notre relation », a expliqué Mme Freeland, qui a piloté les âpres négociations ayant mené à la conclusion de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).

Le président Biden a évité de se prononcer sur l’aspect de la potentielle violation du pacte commercial.

Mais tout juste après, en point de presse, à quelques mètres de là, la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a laissé entendre que les États-Unis ne considéraient pas qu’il s’agirait d’un accroc à l’entente. « Nous ne le voyons pas comme ça », a-t-elle répondu avant de louanger le plan.

« À notre avis, le crédit d’impôt pour véhicules électriques est une opportunité d’aider les consommateurs dans ce pays […] C’est assurément quelque chose de bon pour les entreprises aux États-Unis, quelque chose qui permettra de créer des emplois syndiqués bien rémunérés », a-t-elle exprimé.

La rencontre Trudeau-Biden a duré environ une heure au total. Le dossier des véhicules électriques a été le premier à être abordé par le leader canadien, selon une source gouvernementale. Les deux hommes ont aussi abordé la montée du totalitarisme et les changements climatiques, a ajouté cette même source.

Chacun ses priorités

Justin Trudeau est dans la capitale américaine dans le cadre du sommet des « Trois Amigos » — le premier à avoir été convoqué depuis cinq ans. Joe Biden a relancé la tradition abandonnée sous l’ex-président Donald Trump en invitant son homologue canadien et son vis-à-vis mexicain, Andrés Manuel López Obrador.

Les pourparlers entre les trois partenaires s’ouvrent en fin d’après-midi à Washington.

Si l’enjeu de l’incitatif pour les véhicules zéro émission semble être l’un de ceux qui s’imposent ces jours-ci entre le Canada et les États-Unis, celui de l’immigration est prioritaire dans les discussions entre le Mexique et les États-Unis, comme c’est souvent le cas.

Au Mexique, on s’inquiète également de la montée de la Chine, a signifié le président López Obrador. Dans l’allocution qu’il a prononcée au lever de rideau du sommet, le dirigeant populiste a dit toutes ses craintes sur la puissance économique de l’Empire du milieu, et l’impact qu’elle pourrait avoir sur le bloc nord-américain.

« Si la tendance de la dernière décennie se poursuit […], d’ici 2051, la Chine représentera 42 % du marché mondial, et nous, les États-Unis, le Mexique et le Canada, en aurons 12 % », a-t-il affirmé. Devant lui, Joe Biden, qui a rencontré le président chinois Xi Jinping en début de semaine, semblait écouter attentivement.

Avant le sommet, Justin Trudeau et quelques ministres, dont Chrystia Freeland (Finances) et Mélanie Joly (Affaires étrangères), ont eu une rencontre avec la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, et d’autres représentants américains, dans son bureau cérémonial de l’édifice Eisenhower, près de la Maison-Blanche.

La vice-présidente Harris, qui a fréquenté l’école secondaire de Westmount, a souligné la force de la relation avec le Canada, qui est pour elle « personnelle », a-t-elle tenu à souligner.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau a rencontré la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris.

Un engagement sur les vaccins

Le trio de dirigeants devrait accoucher d’une déclaration commune à l’issue de leur rencontre. Un des volets de ce communiqué portera vraisemblablement sur le partage de vaccins contre la COVID-19, selon ce que signalait mercredi un haut responsable de la Maison-Blanche lors d’une séance d’information technique.

« Leurs dirigeants vont parvenir à un accord selon lequel le Canada et le Mexique vont partager certains des vaccins qui faisaient partie d’un échange, et ils vont les partager avec la région », a déclaré le représentant américain, évoquant « des millions de doses » de vaccins.

Les États-Unis avaient prêté des millions de doses du vaccin d’AstraZeneca à ses deux voisins qui peinaient à s’approvisionner il y a de cela quelques mois. Le Mexique en avait reçu environ 10,9 millions, tandis que le Canada avait reçu des cargaisons d’au moins 1,5 million, en mars dernier.