(Ottawa) Les conséquences du long combat du Canada avec la Chine au sujet de la détention de Michael Spavor et Michael Kovrig ont amené un nouveau questionnement à savoir si Ottawa doit adopter une position plus conflictuelle envers Pékin en s’alliant notamment avec les États-Unis et l’Australie.

Certains analystes ont vu des indices d’une approche potentiellement plus dure dans une note de félicitations que le premier ministre Justin Trudeau a envoyée à son nouvel homologue japonais, Fumio Kishida, la semaine dernière.

M. Trudeau a utilisé à deux reprises le mot « indopacifique » pour souligner l’importance de coopérer avec le Japon sur des intérêts régionaux partagés.

Pour certains observateurs, il s’agit un signal comme quoi que le Canada s’orienterait vers une position plus dure dans ses futures relations avec la Chine.

Paul Evans, un expert de la Chine à l’Université de la Colombie-Britannique, soutient que l’utilisation du terme indopacifique dénote un changement subtil, mais distinct dans la façon dont le Canada considérait traditionnellement la région.

Le Canada a traditionnellement qualifié la vaste entité géopolitique de l’autre côté de l’océan Pacifique d’« Asie-Pacifique ». Cette référence, selon M. Evans, incluait clairement la Chine ainsi que ses nombreux voisins régionaux, tandis que « indopacifique » est un raccourci qui vise à exclure la Chine.

« Cela peut ressembler à des mots, mais il y a une différence très sérieuse, affirme M. Evans. L’expression indopacifique nous invite dans cette période stratégique de rivalité entre grandes puissances. L’indopacifique concerne fondamentalement l’ascension de la Chine et ses interventions. »

À l’avenir, l’expert s’attend à ce que le Canada adopte une « version plus tendre et inclusive » de cette référence, coopérant souvent avec la Chine sur des questions économiques et autres.

La citation que le cabinet de M. Trudeau a publiée dans sa déclaration sur l’assermentation de M. Kishida semble refléter cette perspective. Il mentionne vouloir faire avancer une « vision commune d’une région indopacifique libre et ouverte ». Le premier ministre appelle aussi à « la promotion d’une plus grande prospérité pour les gens du Canada et du Japon ainsi que de la région indopacifique au complet ».

D’autres disent que le moment est venu pour le Canada de riposter plus fortement contre la Chine maintenant que MM. Kovrig et Spavor sont en sécurité.

Lawrence Herman, un avocat spécialisé dans le commerce international et ancien diplomate canadien, a affirmé que le Canada avait besoin d’une politique commerciale « forte et réaliste » plus conforme à celle des Américains et des Australiens.

Le Canada devrait commencer en interdisant immédiatement à la société chinoise Huawei de fournir des équipements pour son service internet 5G de prochaine génération. Tous les alliés du Canada dans le réseau de partage de renseignements Five Eyes – les États-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande – ont banni Huawei.

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine, a déclaré que même si Pékin a désormais établi la « diplomatie des otages » comme outil de politique étrangère, son utilisation du « commerce comme une arme » doit être contrée de manière coordonnée par le Canada et ses alliés.

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Justin Trudeau et l’ex-ambassadeur du Canada en Chine, Guy Saint-Jacques, devant la portion Badaling de la Grande muraille de Chine

Le mois dernier, l’Australie a formé une nouvelle alliance de sécurité à trois pays avec les États-Unis et la Grande-Bretagne qui lui permettra d’acquérir une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire.

M. Saint-Jacques a déclaré que ça a été « un bon premier pas » que le Canada ait été le fer de lance de la déclaration internationale contre la détention arbitraire plus tôt cette année en obtenant le soutien de plus de 60 pays.

« Le Canada devrait travailler avec nos alliés pour aller plus loin et élaborer des critères qui déclencheraient des réponses communes de la part des pays signataires, y compris des sanctions sur la militarisation du commerce », a soutenu M. Saint-Jacques.

Si l’Australie, le Canada et les États-Unis s’entendaient pour dire que si l’un d’eux est soumis à des sanctions de la Chine, les deux autres accepteraient de ne pas augmenter leurs exportations vers la Chine au-delà de leur part historique de marché là-bas. Cela empêcherait la Chine de placer un pays contre l’autre.

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine

Le mois dernier, Politico a rapporté que le candidat de l’administration Biden au poste d’ambassadeur au Canada souhaitait que le gouvernement Trudeau publie son « cadre pour sa politique globale au sujet de la Chine ». David Cohen a déclaré lors de son audition de nomination devant le comité des relations étrangères qu’il souhaitait davantage de coopération entre les États-Unis et le Canada pour contrer la « menace existentielle qu’est la Chine ».

Au Canada, l’opposition conservatrice a également demandé aux libéraux de publier un tel document.

Un haut responsable fédéral, qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat en raison de la sensibilité de la question, a indiqué qu’il n’était pas prévu de publier de si tôt un nouveau document spécifique sur la Chine. Le responsable a décrit l’approche du gouvernement comme étant davantage une stratégie évolutive et enracinée dans des déclarations plus dures de l’ancien ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne et plus récemment du ministre des Affaires étrangères Marc Garneau.

L’année dernière, M. Champagne a soutenu la candidature de Taïwan à participer aux réunions de l’Organisation mondiale de la santé sur la COVID-19 malgré les vives objections de la Chine. Plus tôt cette année, M. Garneau a déclaré que la Chine avait commis des « violations flagrantes des droits de la personne » dans le cadre d’une « campagne systématique de répression » contre sa population musulmane ouïghoure lorsqu’il a annoncé que le Canada se joignait à la Grande-Bretagne, aux États-Unis et à l’Union européenne pour imposer des sanctions à quatre responsables chinois.

L’ex-ambassadeur Saint-Jacques estime que le Canada et ses alliés devraient viser plus haut, en ciblant le président Xi Jinping. Cela peut prendre la forme de dirigeants occidentaux boycottant l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin en février 2022, ce qui serait perçu comme embarrassant par le dirigeant chinois.

« Il y a des grognements au sein du Parti communiste au sujet de la direction que Xi Jinping a donnée au pays et des gens se demandent : “ Pourquoi avons-nous fait de l’Australie et du Canada des ennemis ? ” », a-t-il mentionné.

L’automne prochain, M. Xi briguera un troisième mandat à la tête du Parti communiste, a noté M. Saint-Jacques.

« Donc, plus nous pouvons mettre de pression, plus cela forcera une discussion au sein du parti sur ces questions. »