Il y a 11 villages au Québec où personne ne s’est présenté au poste de maire en vue des élections du 7 novembre. Pourquoi ? L’histoire de chaque localité est singulière, mais il y a des points communs dans ce qu’ont raconté à La Presse les maires sortants de ces villes. Les pressions de la fonction, la complexité croissante de la gestion municipale, la faible rémunération. Sans compter le fléau des réseaux sociaux. Un dossier de Suzanne Colpron

« On en demande beaucoup aux élus »

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Le village de Lotbinière a bien failli se retrouver sans maire, jusqu'à ce que son maire sortant, Jean Bergeron, accepte de se représenter.

Dans 11 villages du Québec, il n’y aura pas de maire ou de mairesse au lendemain des élections municipales du 7 novembre, parce que personne ne s’est porté candidat. C’est deux fois plus qu’aux élections de 2017, où seulement cinq municipalités s’étaient retrouvées sans candidat à la mairie. Que s’est-il passé ?

Cette absence d’aspirants maires est en fait la pointe de l’iceberg d’un problème beaucoup plus grand : la perspective de se lancer en politique municipale et de briguer les suffrages pour devenir maire ou conseiller exerce très peu d’attraits auprès des citoyens.

« La tâche s’est beaucoup alourdie », reconnaît Daniel Côté, maire de Gaspé, préfet de la MRC de La Côte-de-Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Côté, maire de Gaspé et président de l’Union des municipalités du Québec

« Les responsabilités sont de plus en plus grandes pour les élus municipaux, en particulier pour les maires. La pression est énorme. Donc, c’est certain que ce n’est pas facile d’attirer des gens qui ont un autre emploi à temps plein. Pour en avoir parlé avec plusieurs maires de petites municipalités, on en demande beaucoup aux élus, qui ont très peu de moyens, que ce soit sur le plan du salaire ou des équipes, qui sont souvent très réduites. Donc, ça devient une tâche très lourde. »

Environ la moitié des édiles municipaux sont élus par acclamation parce qu’il n’y avait qu’un seul candidat pour le poste. Sur les 6942 postes de conseiller répertoriés par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pour le scrutin de novembre 2021, 4270 ont été pourvus sans élections parce qu’il n’y avait pas d’opposition, soit 61,5 %, pas loin des deux tiers. La proportion est un peu plus basse dans le cas des maires : 605 maires sur 1102 ont accédé à leur poste sans élections, soit 55 %.

Ce peu d’enthousiasme pour les postes municipaux est l’envers de l’autre phénomène largement documenté, celui de la participation électorale famélique : 45 % des électeurs admissibles ont voté en 2017. Le petit nombre de candidatures peut donc certainement être interprété comme un autre signe du manque de vigueur de la démocratie municipale, qui devrait pourtant mobiliser les citoyens étant donné que la vie municipale porte sur des enjeux de proximité.

Si, dans tant de villes et de villages, il n’y a eu qu’un seul candidat au poste de maire, il n’est pas étonnant que, dans quelques cas, il n’y en ait eu aucun, ce qui représente une faible proportion de 1 %.

La Presse a voulu savoir pour quelles raisons ces maires avaient quitté leur poste et n’avaient pas trouvé de successeur, et a parlé à la grande majorité d’entre eux. Chacun a sa propre histoire, et qui tient à des choix personnels ou à des contextes municipaux particuliers.

Mais dans toutes ces histoires, certaines tendances se dégagent. Il y a d’abord la difficulté du métier de maire, qui exige un grand don de soi et qui est généralement mal récompensé financièrement, tant et si bien que cette fonction devient presque du bénévolat. Et dont les tâches se complexifient, avec les exigences environnementales, urbanistiques ou sociales. Et qui tournent parfois au cauchemar en raison des rigidités bureaucratiques et réglementaires avec lesquelles les maires sont aux prises. Sans compter le fléau des réseaux sociaux.

« En voulez-vous, en voilà ! »

Normand Morin, maire sortant de Pointe-Lebel, municipalité de 1900 habitants sur la Côte-Nord, en a long à dire.

« J’étais content quand Facebook a lâché, dit-il, en faisant référence à la panne mondiale du 4 octobre. C’est trop facile de critiquer derrière un clavier. Quand ce sont des critiques positives, je n’ai pas de problème avec ça. Mais c’est rendu du salissage, c’est désagréable. On se fait traiter de chien sale, de croche, de fraudeur. En voulez-vous, en voilà ! »

PHOTO FOURNIE PAR LA MRC DE MANICOUAGAN

Normand Morin, maire sortant de Pointe-Lebel

Après 12 ans dans la vie politique municipale, dont 8 comme maire, M. Morin a décidé de tirer sa révérence.

« Le problème, c’est qu’on a les mêmes règles que la Ville de Montréal, mais avec beaucoup moins d’employés et beaucoup moins de budget, déplore-t-il. Je dis souvent que j’ai le téléphone greffé dans le bras. Le soir, j’arrive à la maison, après mon travail, je regarde mes courriels et j’y réponds. Si je reçois des textos, au travail, je réponds. »

Il faut dire qu’en plus d’être maire, poste payé 15 000 $ par an, M. Morin est pompier à temps plein chez Alcoa. « On fait des journées de 12 heures, précise-t-il. Il y a des semaines, je peux faire 52 heures. Des semaines, 36. Ça dépend. Mais ça en demande beaucoup, le travail en plus de la mairie. »

À Pointe-Lebel, il n’y a pas que son poste qui est vacant. Personne n’a soumis sa candidature en vue des élections du 7 novembre, à part trois conseillers déjà en poste. « C’est du jamais-vu, assure le maire sortant. Il manque trois conseillers, en plus d’un maire. »

Selon lui, la raison est simple : « C’est rendu trop compliqué pour les municipalités de gérer aujourd’hui. Nous autres, on n’est pas des ingénieurs, on n’est pas des avocats, on n’est pas des spécialistes en droit municipal. Mais il faut tout apprendre quand même. »

Les citoyens, qui sont en pantoufles dans leur salon, ils ne savent pas tout le travail qu’on peut faire dans la municipalité, juste pour apprendre à faire avancer nos dossiers. C’est énorme.

 Normand Morin, maire sortant de Pointe-Lebel

À cela s’ajoute la lourdeur bureaucratique. « La meilleure que j’ai vue dans mon mandat, explique-t-il, c’est un ruisseau d’à peu près quatre pieds de large sur six pouces de profond, à trois kilomètres de la rivière Manicouagan, où on réparait un ponceau. Le ministère de l’Environnement nous a demandé de faire une étude pour savoir s’il y avait une frayère à saumon ! »

Le moindre projet met deux ans à se réaliser, affirme M. Morin. « Simplement installer des lumières DEL dans nos poteaux de rue, ç’a pris deux ans. »

Mais ce n’est rien comparativement au projet de mise aux normes des parcs de maisons mobiles du village, qui n’est toujours pas réglé après 23 ans. « Je compare ça à un coureur de marathon, illustre M. Morin. Quand il est rendu à 42 km et qu’il voit le fil d’arrivée, il y a quelqu’un qui fait un grand sourire, qui prend le ruban et qui l’envoie 42 km plus loin. C’est comme ça quand on gère un dossier dans une municipalité. Veux, veux pas, en 23 ans, les personnes changent, les normes changent, les subventions changent. Et chaque fois que ça change, c’est à recommencer. »

Ce que dit la loi

Quand la tenue d’élections n’a pas permis d’élire des candidats à tous les postes ouverts aux candidatures, le ministre des Affaires municipales et de l’Habitation peut ordonner la tenue d’une élection partielle ou nommer une personne éligible pour pourvoir le poste, selon la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités.

Les 11 villages orphelins

Voici la liste des 11 villages où la relève ne s’est pas manifestée. Les directeurs d’élection ont 30 jours pour déclencher un nouveau scrutin, qui devra avoir lieu au plus tard le 1er février 2022.

  • Blanc-Sablon (Côte-Nord) 1112 habitants
  • Pointe-Lebel (Côte-Nord) 1918 habitants
  • Les Méchins (Bas-Saint-Laurent) 987 habitants
  • Saint-Éloi (Bas-Saint-Laurent) 286 habitants
  • Saint-Épiphane (Bas-Saint-Laurent) 827 habitants
  • Sainte-Hélène-de-Kamouraska (Bas-Saint-Laurent) 918 habitants
  • Notre-Dame-du-Rosaire (Chaudière-Appalaches) 392 habitants
  • Saint-Cyrille-de-Lessard (Chaudière-Appalaches) 718 habitants
  • Lotbinière (Chaudière-Appalaches) 802 habitants
  • Latulipe-et-Gaboury (Abitibi-Témiscamingue) 300 habitants
  • Saint-Albert (Centre-du-Québec) 1600 habitants

Gros travail, petit salaire

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Au Québec, environ la moitié des édiles municipaux sont élus par acclamation.

La Presse a fait le tour de petites villes où les maires sortants ne se sont pas représentés et où la relève ne s’est pas manifestée. Si chaque histoire est particulière, on retrouve souvent des traits communs : une charge de travail élevée et une rémunération modeste.

« Entre une job à 12  000 $ et une job entre 150 000 $ et 200 000 $ par année, je vais prendre la plus payante, même si j’aime bien mes citoyens ! »

Élu maire du village gaspésien Les Méchins en 2017, avec 74 % des voix, Dominique Roy s’était engagé à faire un mandat, principalement « pour redresser les finances de la municipalité ». « Et c’est ce qu’on a fait », assure-t-il. Mais, à 64 ans, ce courtier en transport souhaite consacrer ses énergies à son entreprise.

« Ça devient un peu problématique de faire fonctionner les deux, explique-t-il. Il ne faut pas oublier qu’on a la MRC aussi. Ça ne paraît pas, mais ça prend beaucoup de temps et d’énergie. Puis, un moment donné, on a une vie familiale aussi. »

Ce qu’il retient de son passage à la mairie ? « On est maire, mais on ne peut pas faire ce qu’on veut. »

Il donne l’exemple de la taxation. M. Roy et son équipe auraient voulu augmenter le taux de taxation des industries tout en épargnant les petits commerces. Mais le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation lui a rappelé que ça ne se faisait pas. « Je pensais qu’on montait l’industrie, seulement, et ça finit là. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. »

Autre dossier : la construction domiciliaire. Pour attirer de jeunes familles, le village doit construire de nouvelles maisons. « Tout le monde, avec la pandémie, veut venir ici parce que c’est plus tranquille, mais on a seulement cinq maisons à vendre », note-t-il. Toutefois, le ministère de l’Environnement et des changements climatiques lui lui a dit : « Non, non, non. Il faut que tu fasses tes bassins d’eaux usées avant. »

« On attend l’autorisation de l’Environnement, et ça ne bouge pas. En tant que maire, c’est frustrant de ne pas pouvoir faire avancer notre municipalité parce qu’on est petit. »

« La cote d’amour est encore forte »

Pourquoi personne n’a-t-il brigué la mairie de Saint-Albert, près de Victoriaville ?

Le maire sortant, Alain St-Pierre, élu sans opposition en 2017, avance une réponse : « Mettons que la cote d’amour est encore forte. Même si j’avais été très clair sur mes intentions de ne pas me représenter, les citoyens avaient toujours espérance que, peut-être, je change d’idée si personne n’avait d’intérêt pour la job de maire. »

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Alain St-Pierre, maire sortant de Saint-Albert

Le 1er octobre, date butoir du dépôt des bulletins de candidature, ils ont toutefois réalisé que ce n’était pas le cas. À 60 ans, Alain St-Pierre va bel et bien tourner la page sur 17 ans de vie politique municipale, dont 13 comme maire, malgré des dizaines de courriels et de textos lui demandant de faire « un dernier quatre ans ».

« J’étais aussi préfet de la MRC d’Athabaska, qui compte 22 municipalités, indique-t-il. Ça me demandait beaucoup d’heures de travail. J’avais le goût de ralentir et de penser plus à moi un petit peu. »

Au prochain conseil, le 15 novembre, les élus vont donc devoir nommer un maire par intérim et relancer les mises en candidature en vue d’une élection partielle. M. St-Pierre reste convaincu « à 100 % » que des gens vont se manifester.

« Toujours les mêmes ! »

Après deux mandats comme mairesse de Notre-Dame-du-Rosaire, village de 380 habitants, dans Chaudière-Appalaches, sa décision était prise : Danye Anctil allait laisser la place à quelqu’un d’autre. « J’ai voulu me retirer parce que j’ai de la famille qui veut partir un projet de garderie privée. C’est trop près de moi », explique-t-elle.

Mais voilà, le poste est resté vacant. Alors, elle s’est dit qu’elle allait redéposer sa candidature.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE DANYE ANCTIL

Danye Anctil, mairesse sortante de Notre-Dame-du-Rosaire

« Il y a mon poste de maire, mais il y a aussi trois postes de conseiller municipal à pourvoir sur un total de sept », précise Mme Anctil, qui travaille aussi comme directrice dans un camping.

Surprise ? « Pas vraiment. C’est toujours les mêmes ! On n’a pas beaucoup de remplaçants dans nos petites places. Moi, je ne suis pas retraitée encore. C’est sûr que c’est super intéressant, mais c’est une surcharge quand on travaille à temps plein. Mais bon, ça prend des gens pour le faire. » Son salaire de mairesse est de 550 $ par mois.

« Pas unique à nous »

À Lotbinière, Jean Bergeron, 62 ans, est aussi revenu sur sa décision en constatant que son poste n’intéressait personne.

« On va essayer de recréer une équipe et de voir comment on peut faire pour transformer l’intérêt politique des gens en implication », dit-il.

Son poste n’était pas le seul vacant dans la municipalité de 800 habitants, en Chaudière-Appalaches, où un seul citoyen s’est manifesté pour occuper un des six postes de conseiller municipal.

« Je me demande si la pandémie a eu un effet parce que le manque d’intérêt pour les élections, ce n’est pas juste à Lotbinière, c’est partout, fait-t-il observer. C’est juste que chez nous, il est peut-être un petit peu plus exacerbé. »

M. Bergeron, élu sans opposition en 2017, pense que cela s’explique par un « paquet de facteurs ». « Les dossiers sont longs à faire cheminer. Il y a des gens que ça décourage. Ils ne veulent pas s’impliquer à cause de ça. D’autres personnes ont peur de la confrontation, des chicanes. »

Il y a aussi la question du salaire. Au cours de son dernier mandat, il dit avoir consacré de 35 à 40 heures par semaine à son travail de maire, payé 17 000 $ par année. « En temps normal, un poste de maire dans une petite municipalité comme la nôtre, je dirais que c’est 20, 21 heures [par semaine]. »

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Jean Bergeron, maire sortant de Lotbinière

On le fait par passion. Si on le faisait pour l’argent, on ferait autre chose.

Jean Bergeron, maire sortant de Lotbinière

« Un flop total »

Enseignant au secondaire, Vincent Gingras a décidé de ne pas se représenter à la mairie de son village du Témiscamingue, Latulipe-et-Gaboury, parce qu’il est « vidé ».

La mairesse élue sans opposition en 2017 a démissionné en cours de mandat. Puis la mairesse suppléante est partie à son tour. M. Gingras, qui était conseiller municipal, nommé maire par intérim, a été élu lors d’une élection partielle.

« Je pars avant d’être totalement brûlé comme ma prédécesseure », confie-t-il.

La raison ? « J’ai essayé de remettre les pendules à l’heure, mais ç’a a été un flop total. Ces gens-là veulent détruire tous les projets de développement », dit-il en parlant de certains conseillers qui sèment la bisbille au conseil municipal.

« Le négativisme constant, ça gruge », ajoute M. Gingras, qui est revenu vivre à Latulipe-et-Gaboury, où il est né, après une vingtaine d’années en Estrie. « Dans un petit village d’à peine 300 habitants, qu’on se retrouve dans une situation comme ça, c’est incompréhensible pour moi. » Son salaire de maire est de 6000 $ par année.