(Québec) Le ministre de la Santé, Christian Dubé, admet que la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé puisse entraîner des bris de services et forcer à nouveau le report de chirurgies. Si les syndicats privilégient encore la voie de la sensibilisation, les fédérations de médecins demandent à Québec d’aller plus loin.

La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) ont martelé jeudi que la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé ne doit pas se limiter à ceux qui sont en contact prolongé (15 minutes) avec les patients, comme le propose le gouvernement.

C’est un calcul « inapplicable et irréaliste », a lancé sans détour le président de l’Association des médecins microbiologistes-infectiologues du Québec, le DKarl Weiss. La mesure doit être étendue à tous les employés du secteur de la santé, qu’ils travaillent dans un bureau ou auprès des patients, ont-ils plaidé.

« Statistiquement [le personnel administratif] va contaminer des patients parce qu’ils vont contaminer d’autres membres du personnel », a expliqué le président de la FMSQ, le DVincent Oliva, faisait allusion au fait que ces travailleurs se côtoient. « On devrait garder une couverture universelle en santé », a précisé DWeiss.

La commission parlementaire sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19 « du personnel soignant du réseau de la santé et d’autres catégories de travailleurs qui sont en contact prolongé avec les citoyens », comme les enseignants, s’est ouverte jeudi à l’Assemblée nationale. Les travaux hautement attendus doivent se conclure vendredi.

À ce sujet, la FMSQ et la FMOQ estiment que l’urgence actuellement, se situe à la vaccination des travailleurs de la santé. « Si après ça, on ne va pas à la cible qu’on veut atteindre, on devra aller plus loin », a souligné le président de la FMOQ, le DLouis Godin, évoquant la cible de 95 % pour atteindre l’immunité collective.

Le DHoracio Arruda a cependant émis d’importantes réserves à la possibilité d’imposer la vaccination à d’autres métiers, comme les enseignants. Il a dit considérer que le bénéfice dans le secteur de l’éducation « n’est pas de la même nature que celui dans le secteur de la santé » affirmant que la clientèle en milieu hospitalier est beaucoup plus vulnérable.

« Dans le contexte où il faut peser le bénéfice contre le droit des individus, je vous dirais qu’à ce stade-ci, on n’en est pas là. D’ailleurs, on a introduit des éléments pour la rentrée scolaire comme le masque pour diminuer la transmission dans le milieu. Et je pense que quand on en arrive à [élargir], on arrive à une cascade qui nous amènerait à la vaccination pour tous », a-t-il prévenu.

Le DOliva a affirmé « ne pas voir de bonnes raisons de ne pas se faire vacciner » avec les vaccins homologués au Canada. Il estime qu’un médecin non vacciné ne devrait tout simplement pas pouvoir pratiquer-sauf si une raison médicale, qui sont en fait « rarissime », a-t-il précisé.

La vaccination obligatoire des travailleurs de la santé s’appliquera au secteur public, mais aussi privé. Elle sera imposée aux employés aux résidences privées pour aînés, aux soins à domicile ainsi qu’aux médecins. Ces personnes devront être pleinement vaccinées à compter du 15 octobre, a précisé jeudi Christian Dubé.

Vers des bris de service

Le ministre Dubé estime qu’au moins 30 000 travailleurs qui seraient visés par la vaccination obligatoire (contact prolongé) ne sont pas vaccinés. Ce nombre peut grimper jusqu’à « 50, 60 et 70 000 » en incluant le secteur privé, a-t-il expliqué le ministre. Québec n’a aucune donnée sur la couverture vaccinale dans le secteur privé.

Quelque 91 % des travailleurs du secteur public ont reçu une dose de vaccin et 86 % sont doublement vaccinés. Une couverture vaccinale de 91 % « avec une clientèle vulnérable, pour moi, ce n’est pas assez », a lancé M. Dubé.

Le ministre Dubé a affirmé que les employés qui refuseront d’être vaccinés pourraient être réaffectés à d’autres tâches où ils ne seraient pas en contact avec des patients. Si la réaffectation est refusée, le travailleur ne sera plus rémunéré.

Le député solidaire, Vincent Marissal, s’est inquiété du fait que dans certains hôpitaux de Montréal, la couverture vaccinale se situe autour de 70 %. Réaffecter 30 % du personnel pourrait entraîner des bris de services, a-t-il dit.

Le ministre Dubé a admis qu’il craignait effectivement que la vaccination obligatoire entraîne des ruptures de service dans le réseau déjà fragilisé par la pénurie de main-d’œuvre. Il a rappelé qu’au pire de la pandémie, quelque 12 000 travailleurs étaient absents du réseau. Aujourd’hui, ce nombre tourne autour de 2000.

« Ça nous donne une certaine flexibilité », a-t-il soutenu. « S‘il y a beaucoup de personnes du réseau qui s’en vont, c’est qu’on va être obligé de baisser encore les chirurgies, c’est ça qui va être notre choix », a prévenu M. Dubé.

Même si tous favorables à la vaccination, les syndicats représentants les travailleurs du secteur de la santé ont dit s’inquiéter que cette mesure coercitive n’entraîne des départs. Ils ont déploré l’absence de consultation de la part du gouvernement Legault alors qu’ils ont appris l’intention en conférence de presse.

La FIQ note une d’ailleurs une « incohérence » alors qu’une directive datée du mois d’août permet l’allégement de consignes sanitaires dans le réseau, comme la fermeture de certaines zones chaudes. « C’est une grave erreur », a lancé le président de la FSSS-CSN, Jeff Begley, qui plaide plutôt pour un renforcement des consignes sanitaires avec l’arrivée du variant Delta.

La CSN a prévenu qu’il y aura des contestations et dépôts de griefs que le syndicat devra défendre.

Pas de recommandations

Les partis d’opposition ont décrié à l’unisson qu’il n’est pas prévu que la commission de la santé et des services sociaux, qui mène deux jours de travaux, ne fournisse un rapport avec des recommandations.

« Ça questionne à savoir si c’est une opération de relations publiques ou c’est une véritable intention d’avoir des discussions, d’avoir des échanges », a questionné la députée libérale, Marie Montpetit, avant le début des travaux.

« J’espère que [le gouvernement] ne nous a pas convoqué ici pour la galerie », a lancé pour sa part le député de Québec solidaire, Vincent Marissal.

Les libéraux souhaitent que la vaccination obligatoire soit étendue à plusieurs autres métiers que les travailleurs de la santé. Québec solidaire estime que la mesure pour le secteur de la santé se justifie dans le contexte. Le Parti québécois ne s’est pas encore prononcé pour ou contre la vaccination obligatoire préférant attendre la fin des travaux.