(Ottawa) « Dévasté » et « extrêmement préoccupé » par la situation en Afghanistan alors que les talibans sont aux portes du pouvoir et que l’ambassade du Canada a temporairement fermé ses portes, Justin Trudeau a réitéré dimanche sa promesse d’accueillir 20 000 réfugiés afghans et leurs familles au Canada dans les prochains mois.

« Nous demeurons extrêmement préoccupés par la situation en Afghanistan. Depuis des années, le Canada s’est engagé pour améliorer le sort et l’avenir du peuple afghan, et c’est avec une grande tristesse qu’on voit les évènements qui s’y déroulent présentement », a affirmé le chef libéral en conférence de presse à Rideau Hall, alors qu’il déclenchait officiellement une campagne électorale au pays.

Le premier ministre a d’ailleurs abordé le sujet, en martelant que « le Canada condamne fermement l’escalade de la violence » et se disant « dévasté par la situation actuelle du peuple afghan ». « La situation actuelle pose de sérieux défis à notre capacité d’assurer la sûreté et la sécurité de notre mission », a-t-il aussi reconnu. Il a également précisé que, « depuis ce matin, le personnel diplomatique canadien est en train d’être rapatrié au Canada ».

Le tout survient alors que, plus tôt dimanche, les autorités canadiennes ont annoncé avoir temporairement fermé leur ambassade à Kaboul et fait évacuer leur personnel, afin d’assurer sa sécurité.

PHOTO WAKIL KOHSAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ambassade du Canada à Kaboul

Dans un communiqué relayé par le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, le gouvernement canadien a indiqué que les activités reprendront quand la situation « permettra de garantir des services appropriés et une sécurité adéquate pour [le] personnel ». Dans l’intervalle, les Canadiens « doivent continuer d’éviter tout voyage en Afghanistan », insiste-t-on, en invitant les personnes qui le peuvent à « partir immédiatement, tant que des vols commerciaux sont offerts ».

M. Trudeau assure travailler très fort avec tous les diplomates, fonctionnaires et ministres canadiens pour « ramener au Canada tous les Canadiens » et « s’assurer qu’on accepte 20 000 Afghans et leurs familles dans les mois à venir, pour leur permettre de commencer une nouvelle vie ». « Notre démocratie est assez forte, donc pendant qu’on fait tout ça, on peut aussi donner à tous les Canadiens une chance de s’exprimer », s’est-il justifié, alors qu’il était pressé de questions à savoir comment il comptait y arriver en pleine campagne électorale.

Notre engagement envers le peuple afghan, y compris les femmes et les filles, et les communautés LGBTQI, reste inébranlable.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Dimanche, le gouvernement a déclaré qu’il travaillait avec des alliés comme les États-Unis pour maintenir le programme d’immigration pour les interprètes, bien que M. Trudeau ait déclaré que cette mission dépendrait des conditions « qui évoluent extrêmement rapidement » sur le terrain.

« Nous continuerons à travailler pour faire sortir le plus grand nombre d’interprètes afghans et leurs familles le plus rapidement possible, tant que la situation sécuritaire se maintiendra », a-t-il dit.

Une proposition très difficile à réaliser

Pour Nipa Banerjee, chercheuse en développement international et études mondiales à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, la promesse d’accueillir 20 000 réfugiés afghans et leurs familles au Canada dans les prochains mois, alors que l’ambassade du Canada est temporairement fermée, sera difficile à réaliser.

« Justin Trudeau a dit qu’il allait accueillir 20 000 réfugiés. Peut-être qu’ils pourraient avoir la capacité de le faire, mais ça va prendre du temps pour le planifier. À ce moment-ci, je vois ça comme une proposition très difficile à réaliser », a-t-elle affirmé.

La situation en Afghanistan est complètement chaotique, a affirmé Mme Banerjee.

Les personnes ne savent pas où aller. En ce moment, certaines personnes se rendent à l’aéroport et abandonnent leur auto avec les clés à l’intérieur et courent dans l’aéroport. Elles n’ont pas de billets d’avion et ne savent pas comment sortir du pays, mais se rendent quand même à l’aéroport.

Nipa Banerjee, chercheuse en développement international et études mondiales à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa

Avec la confusion qu’il y a actuellement dans le pays, Mme Banerjee ne voit pas quand le Canada sera en mesure d’accueillir les 20 000 réfugiés. « Il faudrait un centre international organisé par la communauté internationale pour coordonner les efforts », suggère la spécialiste.

À l’inverse, France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, estime qu’un protocole pourrait se mettre en marche très rapidement. « Mon sentiment, c’est que ça va aller très vite, parce que l’on est dans l’urgence et on va laisser tomber plusieurs démarches bureaucratiques administratives. Ce qui est souvent long et compliqué, c’est la bureaucratie », soutient-elle.

Elle indique que la logistique risque de s’inspirer de l’opération syrienne. « J’ai relativement confiance que ça va se mettre en place et il va y avoir une coopération avec la société civile ici », indique Mme Langlois.

Elle ajoute que le défi principal n’est pas le transport des réfugiés, mais bien leur arrivée au Canada. « Il faut avoir la logistique en place pour les accueillir. Plusieurs de ces personnes ne parleront ni le français ni l’anglais. Ces personnes laissent tout derrière, elles vont être dépaysées et traumatisées », dit-elle.

En plein conflit

Rappelons que les talibans ont lancé début mai une vaste offensive contre les forces afghanes, à la suite des opérations de retrait des forces internationales d’Afghanistan. Ils sont entrés à Kaboul dimanche après s’être emparés en quelques jours de l’essentiel de la moitié nord du pays.

Il y a deux jours, soit vendredi dernier, le gouvernement canadien s’était déjà engagé à accueillir 20 000 réfugiés afghans dans le cadre d’un nouveau programme d’immigration, en raison de la « crise humanitaire émergente dans la région ».

En après-midi dimanche, le président afghan Ashraf Ghani a déclaré avoir fui son pays pour éviter un « bain de sang », reconnaissant que « les talibans ont gagné ». « [Ils] sont à présent responsables de l’honneur, de la possession et de l’autopréservation de leur pays », a-t-il insisté dans un message publié sur les réseaux sociaux, sur sa page Facebook.

Pendant ce temps, à Québec, le premier ministre François Legault a qualifié dimanche sur Twitter de « choquantes » et de « scandaleuses » les photos de femmes retirées des rues de Kaboul, capitale de l’Afghanistan.

En Europe, le premier ministre britannique Boris Johnson a aussi assuré que sa « priorité » était l’évacuation des ressortissants britanniques en Afghanistan, appelant les Occidentaux à adopter un front uni avant toute action. « La situation reste très difficile et manifestement, il y aura très prochainement un nouveau gouvernement à Kaboul », a-t-il constaté sur les télévisions britanniques.

« Ce que le Royaume-Uni va faire, c’est de travailler avec nos partenaires au Conseil de sécurité de l’ONU pour faire passer le message que nous voulons que personne ne reconnaisse les talibans de manière unilatérale. Nous voulons une position commune […] afin de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter que l’Afghanistan ne redevienne un terreau pour le terrorisme. »

Avec l’Agence France-Presse et La Presse Canadienne