(Vancouver) Des notes manuscrites du chef d’état-major de la Défense par intérim semblent révéler une lutte interne au sein du gouvernement entre ceux qui prônaient une procédure normale et ceux qui préféraient une solution politique après les allégations d’inconduite sexuelle contre le major-général Dany Fortin.

Ces notes du lieutenant-général Wayne Eyre ont été remises à la Cour fédérale. Des courriels internes entre de hauts responsables militaires ont également été déposés.

Selon les notes, le général Eyre apprend le 16 mars pour la première fois que le général Fortin fait l’objet d’allégations. Ce jour-là, il demande au grand prévôt de l’armée de « [lui] faire part des allégations (pas de détail) contre [un officier supérieur] ».

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Le lieutenant-général Wayne Eyre

Le général Fortin conteste la décision du gouvernement fédéral de le retirer de ses fonctions de responsable de la distribution des vaccins au Canada.

Ses avocats ont déposé à la mi-juin un avis de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. Ils soutiennent qu’il y a eu une « ingérence indue » dans la chaîne de commandement militaire de la part du ministre de la Défense nationale, de la ministre de la Santé, du greffier du Conseil privé et du premier ministre alors que l’enquête était en cours.

Le gouvernement fédéral avait indiqué, le 14 mai, que M. Fortin avait quitté son poste de vice-président de la logistique et des opérations à l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). Il faisait, à ce moment-là, l’objet d’une enquête militaire pour une allégation d’inconduite sexuelle qui date d’il y a plus de 30 ans. L’enquête a depuis été renvoyée au Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Aucune allégation n’a été prouvée devant un tribunal.

Les notes du 19 mars du général Eyre indiquent qu’un sous-ministre l’a mis en garde contre la possibilité que le gouvernement fédéral soit renversé et doive « faire face à la pression publique ».

« Que dire au public ?, peut-on lire dans les notes. Vers quoi nos valeurs nous amènent-elles ? État de droit, respect de la légalité. »

Les notes laissent paraître une certaine « nervosité » parmi les hauts responsables gouvernementaux. Ceux-ci envisageaient les allégations sous l’angle de la « sécurité sur les lieux de travail », le « soutien aux victimes » et la nécessité de « garantir la confiance du public dans la campagne de vaccination ».

« Si on ne peut pas suivre les valeurs, à quel moment est-ce que je démissionne ?, s’interroge le général Eyre dans ses notes sous la rubrique “ pensée ”.

Natalia Rodriguez, l’avocate du général Fortin, soutient dans un courriel que ces documents démontrent « clairement » que les responsables étaient plus préoccupés par les retombées politiques que par la nécessité de garantir un processus équitable.

« Ils étaient conscients des dommages à la réputation du major-général Fortin que causerait une destitution publique, souligne-t-elle. Bien qu’ils aient eu conscience de l’impact de cette décision sur la vie du major-général Fortin, les responsables l’ont quand même fait sans lui offrir aucune garantie procédurale. »

Le général Fortin était « abattu » par ces allégations, mais sa femme l’appuyait, indiquent les notes du général Eyre du 18 mars.

« Je n’arrive toujours pas à comprendre de quoi il s’agit », semble faire dire une note au général Fortin à la suite d’une téléconférence.

Division

Sous le titre « MND », faisant apparemment référence au ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan, le général Eyre écrit le 17 mars : « que veut la victime ? »

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Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan

Une procédure régulière doit être suivie, indiquent les notes. « Maintenant, il faut protéger l’institution, peut-on lire. Nous prenons tout au sérieux. »

Les notes indiquent qu’une personne a suggéré de former « une table ronde avec des experts le plus tôt possible [et de] créer un processus pour ceux qui se sont manifestés ».

Un porte-parole du ministre Sajjan a refusé de commenter.

« Comme il s’agit d’un cas juridique en cours, il serait inapproprié pour nous de commenter pour le moment », dit Daniel Minden.

Le 12 mai, les notes indiquent que « Min H », un raccourci apparent pour désigner la ministre de la Santé Patty Hajdu, veut « se protéger » et « trouver un équilibre », mais ne souhaite pas créer une « histoire. »

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La Patty Hajdu

« Elle ne parlera pas d’une enquête, ajoute le général Eyre. [Elle] comprend le point de vue de la victime. »

Dans une déclaration, le cabinet de Mme Hajdu affirme qu’elle n’a jamais parlé avec le chef d’état-major de la Défense à ce sujet.

« En tout temps, la ministre a souligné la nécessité d’être transparent avec les Canadiens pour garder leur confiance dans le processus et de fournir aux médias les raisons de ce changement dans les opérations de distribution des vaccins au Canada. »

L’armée est aux prises avec plusieurs scandales d’inconduite sexuelle depuis plusieurs mois. L’ancien chef d’état-major Jonathan Vance a été accusé d’entrave à la justice dans le cadre d’une enquête sur une allégation d’inconduite sexuelle à son encontre.

L’opposition a réclamé plusieurs fois la démission du ministre Sajjan pour sa gestion du dossier.

Me Rodriguez dit que le gouvernement refuse de fournir des documents supplémentaires des cabinets ministériels au sujet de la décision d’évincer le général Fortin.

L’audience de la demande a été fixée par la Cour fédérale aux 28 et 29 septembre, indique-t-elle.

« Le major-général Fortin a hâte de prouver sa version le plus tôt possible. »