(Québec) Le déconfinement arrive à point pour les partis politiques, alors que la rentrée parlementaire de septembre marquera le début d’une intense année préélectorale à Québec. Au Parlement, dans des rassemblements, mais aussi en ligne, les chefs mèneront une opération séduction. Derrière leurs photos, leurs mots et leurs vidéos sur Facebook se cache un objectif : passer leur message. Mais quel est-il ?

Les publications aux rayons X

Les conférences de presse sur la situation sanitaire. Leur attachement (non, plutôt leur amour !) du Canadien de Montréal. Une vitrine pour des réalisations et des critiques aiguisées. Mais aussi, et toujours, une incursion finement orchestrée dans leur vie personnelle. Ou ce qu’on veut bien en montrer.

La communication politique se transforme sans cesse à notre époque du tout-numérique, tandis que le militantisme en ligne s’est plus que jamais développé depuis le début de la pandémie. Les réseaux sociaux des chefs des principaux partis représentés à l’Assemblée nationale laissent des traces sur les débats des derniers mois, mais permettent aussi d’entrevoir comment ils tentent de se positionner au seuil d’une année préélectorale.

La Presse a répertorié les publications Facebook des dernières semaines de la session parlementaire au début du mois de juillet des comptes du premier ministre François Legault, de la cheffe de l’opposition officielle, Dominique Anglade, des co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois, ainsi que du chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon. Nous les avons soumis aux rayons X de deux analystes aguerris de la communication politique : Olivier Turbide, spécialiste en analyse du discours et professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM, et Mireille Lalancette, professeure au département de lettres et communication sociale de l’UQTR, dont la recherche porte entre autres sur les médias sociaux.

L’objectif : comprendre ce qui unit et ce qui distingue les chefs de parti dans leur façon d’attirer l’attention des électeurs.

Une impression de proximité

Olivier Turbide se lance : « On voit clairement que certains sont plus habiles que d’autres », analyse-t-il. Et cette différence s’illustre également dans la portée qu’a chaque chef sur Facebook.

  • La page de François Legault est la plus suivie, avec 640 139 personnes abonnées au moment d’écrire ce reportage.
  • Il est suivi de celui qui sera chef de la deuxième opposition à l’automne, Gabriel Nadeau-Dubois (100 769 personnes abonnées), et de celle qui lui a cédé sa place, Manon Massé (83 982 personnes abonnées).
  • Vient ensuite le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon (30 145 personnes abonnées).
  • Et finalement la cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade (25 600 personnes abonnées).

À l’exception de Manon Massé, qui publie peu de contenu sur sa vie personnelle, les autres leaders politiques mélangent leurs commentaires sur des sujets d’actualité à des clins d’œil sur leur vie privée. Et ils affichent tous (à l’exception encore de Mme Massé) un intérêt marqué pour le Canadien de Montréal.

Selon le professeur Turbide, François Legault est celui qui s’illustre le plus efficacement avec ses publications personnelles, partageant ses coups de cœur culturels et, depuis quelque temps, de longs billets personnels signés « Votre premier ministre ».

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« Avec les livres qu’il lit, les séries télé qu’il recommande, ce sont des commentaires fouillés d’un amateur de culture qui brise la représentation qu’on se fait d’un homme d’affaires froid, constamment sur les chiffres », dit-il.

« Je trouve qu’il réussit bien à doser un discours politique, notamment sur la gestion de la pandémie, et un discours personnel. […] Parfois, le ton est un peu paroissial, mais la fréquence à laquelle [les billets signés “Votre premier ministre” reviennent] crée un rendez-vous, au même titre que les conférences de presse [de 13 h] », ajoute-t-il.

Être authentique à tout prix

Olivier Turbide rappelle que les politiciens doivent toujours rester authentiques sur Facebook, sinon ils risquent d’avoir l’air de se créer une fausse personnalité.

C’est important de se rappeler que sur le plan de l’image, on ne peut pas faire acheter n’importe quoi à la population. Fondamentalement, on est une personne d’un certain type et on ne peut pas mentir effrontément pour essayer de proposer une image qui ne colle pas du tout à soi.

Olivier Turbide, spécialiste en analyse du discours et professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM

Sur Facebook, la population est attentive, mais surtout très présente. La professeure Mireille Lalancette de l’UQTR donne l’exemple d’une étude du Social Media Lab de l’Université Ryerson, à Toronto, qui indique que Facebook rejoint 85 % de la population canadienne. Un média social incontournable.

Or, « ces plateformes n’ont pas été conçues pour la politique, mais pour les individus. On doit parler de sa vie privée, montrer son côté personnel. Si on ne respecte pas ce code, on va montrer qu’on n’est pas dans le coup », dit-elle.

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Et les chefs de parti respectent le code. Dans les dernières semaines, par exemple, Dominique Anglade a publié une photo d’un souper qu’elle a cuisiné, avouant qu’elle n’est pas « la plus talentueuse en cuisine ». Gabriel Nadeau-Dubois a documenté ses sorties de vélo en vacances. Paul St-Pierre Plamondon a pour sa part publié une photo d’un arrêt qu’il a fait à Matane chez l’animateur et humoriste Richard Z. Sirois.

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On veut rejoindre la population en l’informant, en créant un lien, en parlant entre autres de hockey, pour montrer qu’on est une personne ordinaire. […] Ça permet de montrer l’individu derrière le politicien et de créer un lien émotif avec la population.

Mireille Lalancette, professeure au département de lettres et communication sociale de l’UQTR

Les sujets qui les intéressent

Une fois ce lien créé, les chefs de parti présentent des enjeux d’actualité, qu’ils utilisent afin de créer un pont vers leurs prises de position politiques ou, au cours des prochains mois, vers leurs promesses électorales.

Dans son analyse des publications Facebook des chefs de parti pour les dernières semaines de la session parlementaire, La Presse a répertorié quelques sujets qu’ils ont abordés. François Legault publie par exemple systématiquement les points de presse auxquels il participe, notamment ceux qui concernent la situation sanitaire. Dominique Anglade le fait aussi, mais de façon moins régulière. Elle tente également de prendre la plume pour commenter certains dossiers chauds de l’actualité, notamment sur les féminicides présumés, ou bien sur la situation critique dans les urgences.

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Manon Massé est la politicienne qui parle le plus (et de loin) des enjeux autochtones. Au cours des dernières semaines, elle a abondamment utilisé sa page Facebook pour commenter les tombes découvertes près d’anciens pensionnats. Gabriel Nadeau-Dubois parle des dossiers défendus par son parti, comme la crise du logement ou la lutte contre la violence conjugale. De son côté, Paul St-Pierre Plamondon aborde particulièrement les thèmes qui sont chers au Parti québécois, en particulier l’indépendance. Il relaie entre autres activement la campagne promotionnelle des pancartes « On se dit OUI ».

Mais qu’ils réussissent ou non à créer un engagement auprès de leurs électeurs éventuels, le professeur Olivier Turbide de l’UQAM juge que les chefs n’exploitent pas à ce jour tout le potentiel de Facebook.

« Facebook et tous les médias sociaux sont des réseaux d’interactions et de dialogues. S’il y a des gens qui devraient nourrir le dialogue, c’est bien les politiciens. Mais à ce jour, on [reste] vraiment dans un schéma classique de communication unidirectionnelle. […] Le politicien va rarement intervenir dans le fil de discussion. Pour moi, c’est une occasion ratée », juge-t-il.

Les bons coups

ILLUSTRATION LA PRESSE

Les réseaux sociaux sont utilisés par les partis politiques pour tester des messages et créer un lien plus personnel avec la population, ou, du moins, avec ceux qui les suivent. Nous avons demandé aux directions des communications des quatre principaux politiques présents à Québec de soumettre un bon coup réalisé sur la page Facebook de leur chef au cours de la dernière année.

Coalition avenir Québec : la diffusion des points de presse sur la COVID-19 avec François Legault

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault, flanqué du Dr Horacio Arruda (à gauche) et du ministre de la Santé, Christian Dubé, à Québec, le 1er juin

« [Leur diffusion en direct] a permis de rejoindre des milliers de Québécois et de les informer sur les mesures sanitaires. La montée en popularité de la page Facebook du premier ministre depuis un an et demi démontre toute l’importance que ça a eue », estime Nadia Talbot, attachée de presse au cabinet du premier ministre François Legault.

Parti libéral du Québec : l’anniversaire de mariage de Dominique Anglade

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« Ce qu’on tente de faire sur Facebook, [c’est] faire connaître le côté plus humain de Dominique Anglade. C’est une bonne occasion de faire découvrir la femme qu’elle est, Dominique dans son quotidien, [puisque] c’est une plateforme qui se prête bien à ça. Le monde y va pour s’informer, mais aussi pour regarder ce que font leurs amis », explique Julie White, directrice des communications au cabinet de la cheffe de l’opposition officielle.

Québec solidaire : les prédictions du hockey de Gabriel Nadeau-Dubois

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« Gabriel Nadeau-Dubois s’intéresse au hockey et réagissait sur les réseaux sociaux de façon légère. Mais avec sa première prédiction [qui s’est avérée] en mai, ça a explosé ! Il a ensuite réussi à transformer cette passion des Québécois pour le hockey vers de bonnes causes, en invitant les gens à faire des dons [à l’organisme] Femmes autochtones du Québec et au Wapikoni mobile », rappelle Nicolas Lévesque, directeur des communications de Québec solidaire.

Parti québécois : une vidéo sur la monarchie britannique

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Paul St-Pierre Plamondon dans une vidéo satirique sur la monarchie britannique

« Voilà un exemple de contenu qui traite d’un enjeu sérieux et d’actualité, mais en utilisant un ton léger qui correspond à ce qui fonctionne sur Facebook. C’est aussi un très bon exemple d’un contenu que l’on a bâti autour des principes directeurs du parti, à savoir que le Québec serait bien mieux en étant libre, mais aussi autour de la personnalité du chef, qui a de l’humour et qui veut faire la promotion de la souveraineté », affirme Lucas Medernach, directeur des communications du Parti québécois.

Attention aux faux pas

ILLUSTRATION LA PRESSE

Les chefs des partis politiques sont armés de conseillers qui les aident à cibler leurs publications sur les réseaux sociaux. Avec eux, ils dosent leur ton entre la promotion de leurs réalisations, les propositions politiques, les critiques et, bien souvent, une vitrine sur leur vie personnelle. Si le résultat est parfois réussi, certaines stratégies peuvent rater la cible. Analyse de deux chercheurs associés au Groupe de recherche en communication politique (GRCP).

François Legault : critique des bonnes poutines

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Philippe Dubois est doctorant en science politique à l’Université Laval et spécialiste de la question de l’utilisation des médias sociaux à des fins politiques. En analysant le contenu des dernières semaines sur la page Facebook du premier ministre François Legault, il y a trouvé une « stratégie [qui] présente un habile mélange entre la communication gouvernementale et une communication personnelle ».

« [Mais] c’est le revers de la médaille qui peut faire sourciller. Lorsqu’il se met à jouer à l’influenceur, on peut se questionner sur les limites que doit se donner un premier ministre dans la promotion de [produits] », dit-il.

C’est le cas d’une récente publication de François Legault, où il fait la critique (positive) d’une poutine dans un restaurant de sa circonscription. « Une fois qu’on en prend une bouchée, on ne peut pas s’arrêter. C’est pour ça qu’il faut y aller avec modération. Pas trop souvent ! », écrit le premier ministre.

« C’est un bon coup de communication, mais est-ce que c’est vraiment le rôle d’un premier ministre ? Pourquoi ce resto et pas un autre ? Existe-t-il un risque de ne pas être sur le bon ton au bon moment ? », se demande le chercheur.

Dominique Anglade : le risque d’être mal compris

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Philippe Dubois et Olivier Turbide, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM, estiment que le fin dosage qu’un politicien doit faire entre sa vie politique et sa vie privée n’est pas encore atteint sur la page Facebook de la cheffe libérale Dominique Anglade.

« Si se montrer en femme, en mère de famille, en conjointe ou en amie permet de susciter de la sympathie, il est nécessaire de ne pas franchir la ligne entre le privé et l’intime, ce que fait à quelques occasions la cheffe du Parti libéral du Québec (vacances familiales, célébration d’anniversaire de mariage, etc.) », souligne M. Turbide.

Selon Philippe Dubois, de récentes publications de Mme Anglade avec ses enfants ou son mari sont de « bons exemples de [ce] qui vise à personnaliser un politicien, mais qui comporte un risque d’être mal compris ».

« Dans ce cas précis, il n’y a rien de grave. [Mais] à force de vouloir exposer des moments de sa vie intime, on peut donner des armes » à ses adversaires, prévient-il.

Manon Massé : attention au ton agressif

IMAGE TIRÉE DE TWITTER

Les solidaires ont été critiqués l’hiver dernier pour un tweet (qui a finalement été retiré) de Manon Massé, où elle écrivait, en lien avec la vague de féminicides présumés : « La pandémie, c’est pas une excuse pour laisser mourir les femmes, M. Legault. »

Le professeur Olivier Turbide souligne que « bien qu’en phase avec son image de militante engagée, Manon Massé adopte un ton revendicateur dans ses publications qui navigue entre la critique et l’indignation ».

« Il s’agit d’un discours agressif qui laisse peu de place à un discours plus positif axé sur les propositions de son parti », juge-t-il.

Philippe Dubois souligne à son tour qu’il « y a un danger quand on mélange un langage familier et populaire avec un ton revendicateur, comme c’est le cas à Québec solidaire ».

« C’est donc un risque, mais les conséquences peuvent aussi être stratégiquement intéressantes pour le parti, si le fait d’avoir des gens fâchés contre toi sert à mobiliser ta base électorale », note-t-il.

Paul St-Pierre Plamondon : la page la plus convenue

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Paul St-Pierre Plamondon apporte une pancarte du « Oui » à une indépendantiste, lors de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin.

En analysant la page Facebook de Paul St-Pierre Plamondon, le chercheur Philippe Dubois l’a désignée comme la plus « convenue » sur les réseaux sociaux.

« Si on fait abstraction des dates et des sujets traités, cette page pourrait être celle d’un chef de 2012, 2014, 2018, 2021… Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas maladroit, mais c’est conventionnel », juge-t-il à propos du chef du Parti québécois.

M. Dubois estime également que l’équipe de M. St-Pierre Plamondon devrait systématiquement mettre des sous-titres aux vidéos qu’elle diffuse, afin que les personnes qui voient ses publications puissent suivre son contenu peu importe où elles sont.

« Sans doute que les cibles naturelles du PQ sont plus nombreuses à consulter la page du chef sur un ordinateur, avec du son, mais quand on veut attirer l’attention à l’extérieur de ses appuis naturels, il faut rendre le tout un peu plus sexy », affirme le chercheur en communication politique.